Qatar : « Tamim, apprenti émir, pour le meilleur et pour le pire »
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Qatar : « Tamim, apprenti émir, pour le meilleur et pour le pire »
http://www.rue89.com/2013/06/28/qatar-tamim-apprenti-emir-meilleur-pire-243724
laic-aokas- Nombre de messages : 14024
Date d'inscription : 03/06/2011
Re: Qatar : « Tamim, apprenti émir, pour le meilleur et pour le pire »
Qatar : « Tamim, apprenti émir, pour le meilleur et pour le pire »
Cheikh Tamin est devenu mardi le nouvel émir du Qatar, succédant à son père. L’homme de 33 ans, passionné de foot, est plus conservateur et moins francophile.
« Le Vilain petit Qatar », de Nicolas Beau et Jacques-Marie Bourget, éd. Fayard, mai 2013
Mardi, l’émir du Qatar a abdiqué en faveur de son fils Tamim. Ce geste, très rare pour l’émirat, permet à Hamad Ben Khalifa Al-Thani de « ringardiser » ses voisins qui s’accrochent au pouvoir (dont le roi Abdallah, en Arabie saoudite). Mais il relève aussi de « raisons internes et externes » selon le journaliste Nicolas Beau, co-auteur de « Le Vilain petit Qatar » (éd. Fayard, mai 2013), et annonce quelques changements, pour la France aussi.
Rue89 : Comment interprétez-vous l’abdication, à 61 ans, de Hamad Ben Khalifa Al-Thani ?
Nicolas Beau : Ce changement a des raisons internes et externes à l’émirat. En interne, tout le monde sait qu’il y a eu une concurrence effrénée entre deux prétendants au trône : l’ex-Premier ministre Hamad ben Jassem Al Thani dit « HBJ » et le quatrième fils de l’émir, Tamim. Les deux clans se sont livré une guerre sans merci, notamment à travers des accusations de corruption.
L’émir, qui n’a plus qu’un seul rein, est assez souffrant. Il pouvait craindre, s’il disparaissait brutalement, que la guerre des clans s’envenime. Que tous les efforts entrepris depuis 1995 – pour faire d’un non-Etat un pays connu à l’international, qui a réalisé des investissements et des transferts de savoirs technologiques –, que tout le bilan de son règne soit totalement mis à bas. Et que ce pays divisé soit la proie de ses grands voisins, l’Iran et l’Arabie saoudite, dont on sait qu’ils détestent le petit émirat qu’ils ont toujours méprisé.
Pour cette raison, cette transition est le signe d’une grande intelligence politique de l’émir, qui a préféré veiller au grain pour neutraliser son Premier ministre, dont il connaît l’ambition et le talent, et assurer la pérennité de sa dynastie.
La deuxième raison de ce changement est liée au contexte international et notamment au dossier syrien. Incontestablement, les Américains et certains pays européens trouvent que le Qatar en a fait trop en soutenant ostensiblement des groupes djihadistes loin d’avoir l’aval des Occidentaux : il est temps pour eux que le Qatar reste, dans ses initiatives diplomatiques, le fidèle second des Etats-Unis, et non qu’il prenne des initiatives intempestives comme il l’a fait sur la Syrie.
Les Américains demandaient un signal fort. L’émir l’a compris en annonçant qu’une page est tournée : je pense que cette page, c’est celle d’une certaine diplomatie agressive de Doha, notamment dans le dossier syrien. C’est le signe que les Américains voulaient obtenir.
A partir de là, est-ce que la réalité du pouvoir va changer ? Relativement peu. L’« omni-émir » va surveiller de près les initiatives de son fils, mis sous surveillance. La réalité du pouvoir reste dans les mains de l’émir. Le vrai changement, c’est l’effacement de HBJ.
Sur le plan intérieur, la modernité va prendre un coup dans l’aile. On va revenir à des valeurs religieuses conservatrices. C’est déjà le cas ne serait-ce que pour Al Jazeera ces derniers mois, qui est retombée dans des ornières classiques wahhabites : des éléments modernistes ou démocrates qui composaient la rédaction sont partis, et la chaîne n’est plus l’outil de transformation diplomatique qu’elle a pu être dans les années 2000-2010.
Le nouvel émir du Qatar, en visite en Corée du Sud en mai 2009 (YOUNG HO/SIPA)
Que dire de Tamim, 33 ans, le nouvel émir ?
C’est un passionné de foot, il a été pour beaucoup dans l’achat du PSG et l’obtention de la Coupe du monde. Jusqu’en 2004, c’était son frère [aîné, Jassim, ndlr] qui était désigné successeur. Et encore à cette date, c’était un dauphin putatif : l’émir n’a fait son choix qu’en 2010. A partir de là, il lui a donné des dossiers plus importants.
Il reste un apprenti émir, pour le meilleur et pour le pire. On sait peu de ce qu’il va montrer, il a beaucoup été dans l’ombre de sa mère qui l’a protégé, l’a couvé, et a tout fait pour que l’émir le choisisse à la place de HBJ.
Tamim s’est ensuite éloigné de sa mère pour deux raisons : dans un pays traditionnel comme le Qatar, il n’est pas question que le chef suprême soit dans les jupes de sa mère et dépende d’une femme, fut-elle la cheikha Mozah.
Et deuxièmement, Tamim est, sur le plan des valeurs religieuses, plus conservateur que sa mère qui a incarné une forme de modernité. Son goût du foot ne l’a pas transformé en un jeune prince moderne, même si on sait que sur le plan humain il est assez chaleureux et relativement abordable.
Tamin était le candidat du gouvernement et des services français, qui le préféraient à HBJ, l’homme des Américains. Mais Tamim est beaucoup moins francophile que ses parents. Le courant fort des investissements continuera. Mais c’est l’Angleterre, où les Qataris investissent déjà plus largement, qui sera un partenaire économique privilégié.
Et les Qataris, que peuvent-ils attendre de ce changement ?
Le Qatar jouera moins le rôle de ces dernières années d’une espèce de forum où se rencontrent politiques et intellectuels, qui avaient trouvé un havre pour confronter les points de vue dans un certain nombre de dossiers.
En matière de libertés publiques, où il y a d’immenses progrès à faire, aussi par rapport au sort des travailleurs étrangers, privés de passeport et exploités, on peut imaginer qu’il y aura extrêmement peu de changements.
Parmi les signaux à suivre, on évoque le remplacement du cheikh Qaradawi, prédicateur très médiatique d’Al Jazeera, dont on dit qu’il s’adresse à 50 millions de téléspectateurs, même si c’est un peu grossi.
Le choix de la personne qui lui succédera sera un indice très clair des nouvelles orientations. Lui a beaucoup poussé l’émir – l’universitaire Nabil Ennasri le dit dans son livre [« L’Enigme du Qatar », éd. Armand Colin, mars 2013, ndlr] – à intervenir en faveur des groupes radicaux en Syrie.
Cheikh Tamin est devenu mardi le nouvel émir du Qatar, succédant à son père. L’homme de 33 ans, passionné de foot, est plus conservateur et moins francophile.
« Le Vilain petit Qatar », de Nicolas Beau et Jacques-Marie Bourget, éd. Fayard, mai 2013
Mardi, l’émir du Qatar a abdiqué en faveur de son fils Tamim. Ce geste, très rare pour l’émirat, permet à Hamad Ben Khalifa Al-Thani de « ringardiser » ses voisins qui s’accrochent au pouvoir (dont le roi Abdallah, en Arabie saoudite). Mais il relève aussi de « raisons internes et externes » selon le journaliste Nicolas Beau, co-auteur de « Le Vilain petit Qatar » (éd. Fayard, mai 2013), et annonce quelques changements, pour la France aussi.
Rue89 : Comment interprétez-vous l’abdication, à 61 ans, de Hamad Ben Khalifa Al-Thani ?
Nicolas Beau : Ce changement a des raisons internes et externes à l’émirat. En interne, tout le monde sait qu’il y a eu une concurrence effrénée entre deux prétendants au trône : l’ex-Premier ministre Hamad ben Jassem Al Thani dit « HBJ » et le quatrième fils de l’émir, Tamim. Les deux clans se sont livré une guerre sans merci, notamment à travers des accusations de corruption.
L’émir, qui n’a plus qu’un seul rein, est assez souffrant. Il pouvait craindre, s’il disparaissait brutalement, que la guerre des clans s’envenime. Que tous les efforts entrepris depuis 1995 – pour faire d’un non-Etat un pays connu à l’international, qui a réalisé des investissements et des transferts de savoirs technologiques –, que tout le bilan de son règne soit totalement mis à bas. Et que ce pays divisé soit la proie de ses grands voisins, l’Iran et l’Arabie saoudite, dont on sait qu’ils détestent le petit émirat qu’ils ont toujours méprisé.
Pour cette raison, cette transition est le signe d’une grande intelligence politique de l’émir, qui a préféré veiller au grain pour neutraliser son Premier ministre, dont il connaît l’ambition et le talent, et assurer la pérennité de sa dynastie.
La deuxième raison de ce changement est liée au contexte international et notamment au dossier syrien. Incontestablement, les Américains et certains pays européens trouvent que le Qatar en a fait trop en soutenant ostensiblement des groupes djihadistes loin d’avoir l’aval des Occidentaux : il est temps pour eux que le Qatar reste, dans ses initiatives diplomatiques, le fidèle second des Etats-Unis, et non qu’il prenne des initiatives intempestives comme il l’a fait sur la Syrie.
Les Américains demandaient un signal fort. L’émir l’a compris en annonçant qu’une page est tournée : je pense que cette page, c’est celle d’une certaine diplomatie agressive de Doha, notamment dans le dossier syrien. C’est le signe que les Américains voulaient obtenir.
A partir de là, est-ce que la réalité du pouvoir va changer ? Relativement peu. L’« omni-émir » va surveiller de près les initiatives de son fils, mis sous surveillance. La réalité du pouvoir reste dans les mains de l’émir. Le vrai changement, c’est l’effacement de HBJ.
Sur le plan intérieur, la modernité va prendre un coup dans l’aile. On va revenir à des valeurs religieuses conservatrices. C’est déjà le cas ne serait-ce que pour Al Jazeera ces derniers mois, qui est retombée dans des ornières classiques wahhabites : des éléments modernistes ou démocrates qui composaient la rédaction sont partis, et la chaîne n’est plus l’outil de transformation diplomatique qu’elle a pu être dans les années 2000-2010.
Le nouvel émir du Qatar, en visite en Corée du Sud en mai 2009 (YOUNG HO/SIPA)
Que dire de Tamim, 33 ans, le nouvel émir ?
C’est un passionné de foot, il a été pour beaucoup dans l’achat du PSG et l’obtention de la Coupe du monde. Jusqu’en 2004, c’était son frère [aîné, Jassim, ndlr] qui était désigné successeur. Et encore à cette date, c’était un dauphin putatif : l’émir n’a fait son choix qu’en 2010. A partir de là, il lui a donné des dossiers plus importants.
Il reste un apprenti émir, pour le meilleur et pour le pire. On sait peu de ce qu’il va montrer, il a beaucoup été dans l’ombre de sa mère qui l’a protégé, l’a couvé, et a tout fait pour que l’émir le choisisse à la place de HBJ.
Tamim s’est ensuite éloigné de sa mère pour deux raisons : dans un pays traditionnel comme le Qatar, il n’est pas question que le chef suprême soit dans les jupes de sa mère et dépende d’une femme, fut-elle la cheikha Mozah.
Et deuxièmement, Tamim est, sur le plan des valeurs religieuses, plus conservateur que sa mère qui a incarné une forme de modernité. Son goût du foot ne l’a pas transformé en un jeune prince moderne, même si on sait que sur le plan humain il est assez chaleureux et relativement abordable.
Tamin était le candidat du gouvernement et des services français, qui le préféraient à HBJ, l’homme des Américains. Mais Tamim est beaucoup moins francophile que ses parents. Le courant fort des investissements continuera. Mais c’est l’Angleterre, où les Qataris investissent déjà plus largement, qui sera un partenaire économique privilégié.
Et les Qataris, que peuvent-ils attendre de ce changement ?
Le Qatar jouera moins le rôle de ces dernières années d’une espèce de forum où se rencontrent politiques et intellectuels, qui avaient trouvé un havre pour confronter les points de vue dans un certain nombre de dossiers.
En matière de libertés publiques, où il y a d’immenses progrès à faire, aussi par rapport au sort des travailleurs étrangers, privés de passeport et exploités, on peut imaginer qu’il y aura extrêmement peu de changements.
Parmi les signaux à suivre, on évoque le remplacement du cheikh Qaradawi, prédicateur très médiatique d’Al Jazeera, dont on dit qu’il s’adresse à 50 millions de téléspectateurs, même si c’est un peu grossi.
Le choix de la personne qui lui succédera sera un indice très clair des nouvelles orientations. Lui a beaucoup poussé l’émir – l’universitaire Nabil Ennasri le dit dans son livre [« L’Enigme du Qatar », éd. Armand Colin, mars 2013, ndlr] – à intervenir en faveur des groupes radicaux en Syrie.
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