Youcef Zirem : "Il est temps de donner un vrai pouvoir aux régions en Algérie"
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Youcef Zirem : "Il est temps de donner un vrai pouvoir aux régions en Algérie"
Youcef Zirem vient de publier chez les éditions Michalon "L'homme qui n'avait rien compris", un voyage en introspection d'un homme qui se raconte et déroule en parallèle le fil de deux pays : l'Algérie et la France. L'auteur est par ailleurs animateur de "Graffiti", une émission sur Brtv. Rencontre donc avec Youcef Zirem.
Youcef Zirem Lematindz : Tu viens de publier L'Homme qui n'avait rien compris. Quels sont les premiers retours que tu as eus ?
Oui, cela fait maintenant un peu plus d’un mois que L’Homme qui n’avait rien compris est en librairie : le roman a surpris plus d’un lecteur : finalement c’est un livre assez différent qui brise plein de tabous...Pratiquement tous ceux qui l’ont lu l’ont aimé et chaque lecteur en fait une lecture différente ; chaque lecteur est captivé par un aspect du livre qui raconte deux pays, la France et l’Algérie. Je rappelle que cette fiction est le premier roman français qui aborde la terrible canicule de l’été 2003 qui avait vu la mort de plus de 15000 personnes en France... Cela fait déjà dix ans... Beaucoup d’écrivains français de renom, à l’instar d’Irène Frain, ont été subjugués par cette histoire qui pose tant d’interrogations sur le monde d’aujourd’hui. En librairie, le livre marche très bien ; je crois qu’il y a en France, il désir fort d’une autre littérature qui raconte les choses de manière osée.
En dépit du fait qu'il est sans doute l'un des romans le plus abouti que tu aies publiés jusqu'à présent, la presse française et algérienne a fait peu d'écho du livre. Pourquoi à ton avis ?
Je ne sais pas trop. Mon éditeur a envoyé plus de 200 livres, dédicacés, aux journalistes en France. Mais jusqu’à présent, seul Le Parisien a fait une lecture élogieuse du roman. Est-ce une nouvelle fois une manière de protéger le pouvoir algérien qui est décrit tel qu’il est dans le livre ? Est-ce que la canicule de 2003 reste encore un tabou en France ? Pourtant, en privé, beaucoup de ces journalistes m’ont avoué avoir été touchés par ce roman qu’ils ont beaucoup aimé... Mais ce boycott de la presse ne me dérange pas ; je suis habitué à ce comportement ; ce roman est mon dixième livre ; cela ne va pas m’empêcher de continuer mon chemin dans l’écriture ; cela ne va pas m’empêcher de me servir de la poésie pour dénoncer l’arbitraire et tous ceux qui écrasent les valeurs humaines pour ramasser de l’argent...
L'histoire du roman a lieu à Paris mais on retrouve l'Algérie, elle est toujours présente. Comment vous est venue l'idée de ce roman ?
L’idée de ce roman m’est venue durant l’été 2003. J’ai vécu cette terrible canicule à Paris. Et puis le fait que des personnes refusent d’enterrer leurs proches m’avait vraiment choqué. Mais il m’a fallu près de dix ans pour écrire cette fiction ; en réalité, ce livre je l’écrivais inconsciemment même quand je n’écrivais pas. Quand je me suis mis à sa rédaction, les mots me venaient facilement. On me dit, ici et là, que le roman est abouti ; cela me fait plaisir. J’aime bien cette histoire franco-algérienne qui est dans le livre... Après, des personnages sont venus peupler ce roman : à Paris, on rencontre tant de gens intéressants qui sont tous, chacun à sa manière, un personnage de roman. Il y a des personnages de L’Homme qui n’avait rien compris qui existent vraiment dans la réalité... Daniel Benyacoub Laurriat, un juif berbère algérien, le narrateur du roman, porte souvent un regard lucide et désabusé sur le monde d’aujourd’hui ; et pourtant sa rencontre avec Laurent, un journaliste parisien, révolté, en guerre contre le microcosme parisien des médias et des privilèges, lui apporte un certain espoir...
L'écriture de ce roman est d'un dépouillement chirurgical. Simple et pur. Finalement, est-il facile d'écrire simple ?
Je ne sais pas s’il est facile d’écrire simplement. Ce que je sais c’est que dans la vie, pas simplement dans l’écriture, il n’y a que les choses simples qui nous donnent les vrais et grands bonheurs... J’ai appris, avec le temps, à dire les choses simplement, sans trahir la réalité, sans essayer de plaire aux uns et aux autres... Peut-être que pour atteindre une certaine profondeur, il est nécessaire d’écrire simple... Je peux dire aujourd’hui que ma carrière de journaliste que j’ai commencée au début des années 1990, au quotidien Alger-Républicain (où a commencé à écrire en tant que journaliste Albert Camus...) m’a beaucoup aidé à saisir l’essentiel quand le superflu tente de prendre le dessus, pour faire ainsi un clin d’œil à l’immense poète qu’est René Char... Oui, on peut dire que « L’Homme qui n’avait rien compris » est d’un dépouillement chirurgical ; ce roman apporte du soleil dans la vie de ses lecteurs : ils se retrouvent dans cette pureté, dans ce combat pour un monde meilleur, pour un peu plus d’humanisme au moment où les vrais repères se perdent, ici et là...
Quel regard portez-vous sur la situation en Algérie ?
Ce qui se passe en Algérie est triste. Ce pays peut faire cent fois mieux à tous les niveaux et pourtant, il va de régression en régression. Le premier responsable de terrible malaise que vivent les Algériens, à tous les niveaux, c’est d’abord le système politique en place qui date de plus de 50 ans... Mais aujourd’hui, la société elle-même est à l’image de ce système en place qui a réussi la prouesse de corrompre presque toute l’intelligentsia algérienne. Le peuple lui-même admet aujourd’hui cette corruption : les vraies valeurs se perdent de jour en jour en Algérie. Il y a un travail urgent à faire au niveau de la société par tous ceux qui peuvent autonomes par rapport à ce régime autoritaire. Il y a également une urgence à ce que tous ce qui ne se retrouvent pas dans les pratiques malsaines de ce régime se réunissent autour au moins de trois idées : démocratie, libertés et justice sociale...Il y a lieu de faire taire les divergences des uns et des autres, le temps de voir ce régime partir...Et ce n’est pas une utopie...
On est en avril, on ne peut oublier le printemps 1980. Depuis ces formidables manifestations, n'observe-t-on pas une certaine frilosité à l'engagement dans les luttes citoyennes ?
Oui, les luttes citoyennes sont gagnées par le désespoir généré principalement par l’échec du formidable Mouvement citoyen de Kabylie des années 2001-2003... Le printemps 1980 avait porté, pour la première fois, la contestation dans la rue ; c’est un repère important de l’Histoire de l’Algérie. Malheureusement beaucoup d’animateurs de ce printemps berbère de 1980 n’ont pas toujours été à la hauteur de la construction démocratique par la suite. Le pouvoir algérien excelle dans le processus de corruption des élites. Le Mouvement citoyen de Kabylie des années 2001-2003 n’a pas beaucoup été aidé par le reste de l’Algérie ...Grâce à sa politique de diviser pour régner, le pouvoir algérien ne se gêne pas pour opposer une région du pays à une autre... Et pourtant l’Algérie est un pays immense où il y a de la place pour tous les Algériens, sans aucune marginalisation... Chaque choix politique, religieux, philosophique ou linguistique doit avoir droit de cité...Il y a lieu de faire le bilan, sans concession, de toutes ces luttes citoyennes pour espérer sortir l’Algérie de sa prison...Il y a lieu d’avoir de l’imagination pour une autre gestion de l’Algérie ; il est peut-être temps de donner un vrai pouvoir aux régions en Algérie.
Entretien réalisé par Hamid Arab
Youcef Zirem L'homme qui n'avait rien compris, éditions Michalon.
Youcef Zirem Lematindz : Tu viens de publier L'Homme qui n'avait rien compris. Quels sont les premiers retours que tu as eus ?
Oui, cela fait maintenant un peu plus d’un mois que L’Homme qui n’avait rien compris est en librairie : le roman a surpris plus d’un lecteur : finalement c’est un livre assez différent qui brise plein de tabous...Pratiquement tous ceux qui l’ont lu l’ont aimé et chaque lecteur en fait une lecture différente ; chaque lecteur est captivé par un aspect du livre qui raconte deux pays, la France et l’Algérie. Je rappelle que cette fiction est le premier roman français qui aborde la terrible canicule de l’été 2003 qui avait vu la mort de plus de 15000 personnes en France... Cela fait déjà dix ans... Beaucoup d’écrivains français de renom, à l’instar d’Irène Frain, ont été subjugués par cette histoire qui pose tant d’interrogations sur le monde d’aujourd’hui. En librairie, le livre marche très bien ; je crois qu’il y a en France, il désir fort d’une autre littérature qui raconte les choses de manière osée.
En dépit du fait qu'il est sans doute l'un des romans le plus abouti que tu aies publiés jusqu'à présent, la presse française et algérienne a fait peu d'écho du livre. Pourquoi à ton avis ?
Je ne sais pas trop. Mon éditeur a envoyé plus de 200 livres, dédicacés, aux journalistes en France. Mais jusqu’à présent, seul Le Parisien a fait une lecture élogieuse du roman. Est-ce une nouvelle fois une manière de protéger le pouvoir algérien qui est décrit tel qu’il est dans le livre ? Est-ce que la canicule de 2003 reste encore un tabou en France ? Pourtant, en privé, beaucoup de ces journalistes m’ont avoué avoir été touchés par ce roman qu’ils ont beaucoup aimé... Mais ce boycott de la presse ne me dérange pas ; je suis habitué à ce comportement ; ce roman est mon dixième livre ; cela ne va pas m’empêcher de continuer mon chemin dans l’écriture ; cela ne va pas m’empêcher de me servir de la poésie pour dénoncer l’arbitraire et tous ceux qui écrasent les valeurs humaines pour ramasser de l’argent...
L'histoire du roman a lieu à Paris mais on retrouve l'Algérie, elle est toujours présente. Comment vous est venue l'idée de ce roman ?
L’idée de ce roman m’est venue durant l’été 2003. J’ai vécu cette terrible canicule à Paris. Et puis le fait que des personnes refusent d’enterrer leurs proches m’avait vraiment choqué. Mais il m’a fallu près de dix ans pour écrire cette fiction ; en réalité, ce livre je l’écrivais inconsciemment même quand je n’écrivais pas. Quand je me suis mis à sa rédaction, les mots me venaient facilement. On me dit, ici et là, que le roman est abouti ; cela me fait plaisir. J’aime bien cette histoire franco-algérienne qui est dans le livre... Après, des personnages sont venus peupler ce roman : à Paris, on rencontre tant de gens intéressants qui sont tous, chacun à sa manière, un personnage de roman. Il y a des personnages de L’Homme qui n’avait rien compris qui existent vraiment dans la réalité... Daniel Benyacoub Laurriat, un juif berbère algérien, le narrateur du roman, porte souvent un regard lucide et désabusé sur le monde d’aujourd’hui ; et pourtant sa rencontre avec Laurent, un journaliste parisien, révolté, en guerre contre le microcosme parisien des médias et des privilèges, lui apporte un certain espoir...
L'écriture de ce roman est d'un dépouillement chirurgical. Simple et pur. Finalement, est-il facile d'écrire simple ?
Je ne sais pas s’il est facile d’écrire simplement. Ce que je sais c’est que dans la vie, pas simplement dans l’écriture, il n’y a que les choses simples qui nous donnent les vrais et grands bonheurs... J’ai appris, avec le temps, à dire les choses simplement, sans trahir la réalité, sans essayer de plaire aux uns et aux autres... Peut-être que pour atteindre une certaine profondeur, il est nécessaire d’écrire simple... Je peux dire aujourd’hui que ma carrière de journaliste que j’ai commencée au début des années 1990, au quotidien Alger-Républicain (où a commencé à écrire en tant que journaliste Albert Camus...) m’a beaucoup aidé à saisir l’essentiel quand le superflu tente de prendre le dessus, pour faire ainsi un clin d’œil à l’immense poète qu’est René Char... Oui, on peut dire que « L’Homme qui n’avait rien compris » est d’un dépouillement chirurgical ; ce roman apporte du soleil dans la vie de ses lecteurs : ils se retrouvent dans cette pureté, dans ce combat pour un monde meilleur, pour un peu plus d’humanisme au moment où les vrais repères se perdent, ici et là...
Quel regard portez-vous sur la situation en Algérie ?
Ce qui se passe en Algérie est triste. Ce pays peut faire cent fois mieux à tous les niveaux et pourtant, il va de régression en régression. Le premier responsable de terrible malaise que vivent les Algériens, à tous les niveaux, c’est d’abord le système politique en place qui date de plus de 50 ans... Mais aujourd’hui, la société elle-même est à l’image de ce système en place qui a réussi la prouesse de corrompre presque toute l’intelligentsia algérienne. Le peuple lui-même admet aujourd’hui cette corruption : les vraies valeurs se perdent de jour en jour en Algérie. Il y a un travail urgent à faire au niveau de la société par tous ceux qui peuvent autonomes par rapport à ce régime autoritaire. Il y a également une urgence à ce que tous ce qui ne se retrouvent pas dans les pratiques malsaines de ce régime se réunissent autour au moins de trois idées : démocratie, libertés et justice sociale...Il y a lieu de faire taire les divergences des uns et des autres, le temps de voir ce régime partir...Et ce n’est pas une utopie...
On est en avril, on ne peut oublier le printemps 1980. Depuis ces formidables manifestations, n'observe-t-on pas une certaine frilosité à l'engagement dans les luttes citoyennes ?
Oui, les luttes citoyennes sont gagnées par le désespoir généré principalement par l’échec du formidable Mouvement citoyen de Kabylie des années 2001-2003... Le printemps 1980 avait porté, pour la première fois, la contestation dans la rue ; c’est un repère important de l’Histoire de l’Algérie. Malheureusement beaucoup d’animateurs de ce printemps berbère de 1980 n’ont pas toujours été à la hauteur de la construction démocratique par la suite. Le pouvoir algérien excelle dans le processus de corruption des élites. Le Mouvement citoyen de Kabylie des années 2001-2003 n’a pas beaucoup été aidé par le reste de l’Algérie ...Grâce à sa politique de diviser pour régner, le pouvoir algérien ne se gêne pas pour opposer une région du pays à une autre... Et pourtant l’Algérie est un pays immense où il y a de la place pour tous les Algériens, sans aucune marginalisation... Chaque choix politique, religieux, philosophique ou linguistique doit avoir droit de cité...Il y a lieu de faire le bilan, sans concession, de toutes ces luttes citoyennes pour espérer sortir l’Algérie de sa prison...Il y a lieu d’avoir de l’imagination pour une autre gestion de l’Algérie ; il est peut-être temps de donner un vrai pouvoir aux régions en Algérie.
Entretien réalisé par Hamid Arab
Youcef Zirem L'homme qui n'avait rien compris, éditions Michalon.
laic-aokas- Nombre de messages : 14024
Date d'inscription : 03/06/2011
Re: Youcef Zirem : "Il est temps de donner un vrai pouvoir aux régions en Algérie"
http://www.lematindz.net/news/11569-youcef-zirem-il-est-temps-de-donner-un-vrai-pouvoir-aux-regions-dalgerie.html
laic-aokas- Nombre de messages : 14024
Date d'inscription : 03/06/2011
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