Fatma Oussedik et Dalila Iamarène. Sociologues et membres du réseau Wassyla: «Il y a détournement du religieux au bénéfice d’enjeux politiques»
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Fatma Oussedik et Dalila Iamarène. Sociologues et membres du réseau Wassyla: «Il y a détournement du religieux au bénéfice d’enjeux politiques»
Que pensez-vous du «projet chasteté» visant à faire porter le voile à des fillettes de 10 à 15 ans ?
Dalila Iamarène : est-ce que des enfants de 10 à 15 ans ont la capacité de formuler une décision autonome de port de hidjab ? Est-ce que les parents de ces enfants ont donné leur accord pour qu’ils servent ainsi de faire-valoir à une association ? Parler de chasteté à une petite fille, c’est déjà lui enlever son innocence. C’est par l’éducation qu’on protège une fillette et non par un voile. D’ailleurs, les femmes voilées sont autant victimes de viol et de harcèlement sexuel que les autres.
Il est absolument scandaleux d’utiliser des enfants pour faire la publicité d’un projet politique, car c’est un projet politique que de faire des enfants les responsables de la «chasteté» d’adultes. On assiste à une hyperféminisation de ces filles car, en les voilant, on en fait des femmes adultes qui doivent «se couvrir pour ne pas détourner les hommes de leurs responsabilités». Qu’est-ce que cela signifie ? Que les enfants sont responsables du comportement des adultes ? Que les enfants sont responsables des abus sexuels, des incestes, des enlèvements et des viols dont ils sont victimes ? Ce sont généralement les proches qui agressent les petites filles et elles ne sont pas censées être voilées en leur présence ! Est-ce que cette tenue vestimentaire va les protéger de la violence des adultes ?
Fatma Oussedik : ce projet nous amène à nous poser plusieurs questions. D’abord, celle du statut de l’association qui a émis ce texte. Comment une association peut-elle s’approprier la lecture du Texte au détriment de l’ensemble des autres musulmans du pays, y compris le Haut-Conseil islamique ? Si chaque groupe de pression se mettait à édicter des normes et des conduites en les érigeant en règle collective, cela viendrait à signifier que l’Etat n’est plus celui qui fait la loi, qui dit la loi et qui a en charge de veiller à son application. Ensuite, celle du problème du rapport de toutes les Algériennes à la foi et au Texte sacré. Accepter ce fait, c’est dire qu’il n’y aurait plus de vie spirituelle possible mais la seule nécessité de vivre les règles édictées par des lectures conduites par des groupes ayant autorité sur le Texte et sur notre foi.
Par ailleurs, ici, si les enfants ne sont plus des enfants, c’est l’ensemble de la question sur la condition humaine qui est posée. Etre enfant, est-ce la même chose qu’être femme ou homme adulte ? Les enfants n’ont-ils pas droit à notre protection et les petites filles peuvent-elles légalement être l’objet du désir des adultes ? Car leur mettre le voile, c’est reconnaître ce désir possible, le légitimer.
Pourtant l’Algérie, comme l’ensemble des pays musulmans, a ratifié la Convention des droits de l’enfant reconnaissant ainsi la spécificité de cette période de la vie qu’est l’enfance.
Le Maghreb existe-t-il encore ? Ou est-ce faute de l’avoir construit que nous sommes aujourd’hui livrés à la puissance des monarchies du Golfe ? Avons-nous une histoire, y compris une histoire religieuse ? L’Andalousie a-t-elle existé ? Les oulémas étaient-ils des savants ? Malik Ibn Anas fut-il un exégète respectable ? Toutes ces questions méritent qu’on s’y attarde afin de produire ensemble un projet de société. Et quelle société nous propose-t-on quand les enfants sont définis en fonction de leur caractère sexuel ?
- Pourquoi, selon vous, peu de voix se sont élevées contre un tel projet ?
Fatma Oussedik : nous sommes nombreuses et nombreux à penser qu’il existe aujourd’hui un détournement du religieux au bénéfice d’enjeux politiques ici et maintenant. Ce sont ces forces assoiffées de pouvoir, soutenues par des réseaux d’argent, qui se sont dotées de capacités de communication qui leur permettent d’occuper un espace incontrôlé. Certaines émissions de télévision font frémir ! Nous n’appelons pas à la censure, mais demandons de la mesure et de la rationalité. Quand nous entendons durant toute une émission que les femmes célibataires sont un danger pour notre société, qu’elles sont la source de tous les maux, nous sommes sidérés par les propos tenus sur les femmes, mais pourquoi et comment serions nous les ennemis de notre propre société ? Y compris les petites filles ! J’avoue que ces positions, ces propos me laissent perplexes. On doit aussi s’interroger sur l’origine des moyens financiers qui permettent à ces apprentis sorciers de proposer à notre société des modèles contre lesquels elle se bat depuis 20 ans. Dans ce combat nous avons, certes, par le passé, bénéficié de soutien extérieur mais de quel soutien intérieur bénéficions-nous ? Quelles sont les forces qui se mobilisent en faveur d’un projet porteur d’avenir pour les petites filles et les petits garçons d’Algérie ? D’une Algérie enfin apaisée.
Dalila Iamarène : il y a un tel formatage des esprits à travers les medias, les chaînes de télévision, tous ces cheikhs de tous les pays qui lancent des fatwas absurdes dans la presse à sensation, un tel matraquage où l’on rend les femmes responsables de toutes les turpitudes. En même temps, on utilise le corps des femmes comme objets sexuels qui font vendre. Il semble que le simple bon sens n’a plus cours dans nos sociétés, c’est la course à l’exhibitionnisme. Ce que nous voyons des suites du Printemps arabe, ce qui se passe en Tunisie, en Egypte nous donne un avant-goût des intérêts politiques des pays du Golfe et de leurs pratiques sociales, les mêmes dérives que nous voyons s’installer progressivement dans notre pays.
- Est-ce là le signe d’un essoufflement des associations féminines en Algérie ?
Fatma Oussedik : vous enterrez vite notre mouvement qui ne le mérite pas ! Par ailleurs, cette attitude fait le jeu de trop d’ennemis de notre cause mais aussi de notre pays. Car notre cause quelle est-elle ? Celle de la construction d’un Etat de droit, d’une société juste et égale pour tous. C’est à cela que les associations de femmes travaillent sur le terrain, difficilement car elles n’ont pas les capitaux et les moyens matériels de ce type d’association que vous citez et sont en butte à toute sorte de tracasseries administratives, pour parler uniquement de la dernière loi sur les associations. Ces associations ont pour objectif de faire de la dignité humaine une valeur centrale dans notre société, pour les femmes mais aussi pour les hommes, pour les petites filles comme pour les petits garçons.
Et sur le terrain, nous nous heurtons à ceux qui font précisément usage du corps des petites filles pour accroître un contrôle social sur l’ensemble de la société. Cela ne devrait politiquement pas être permis car cela s’oppose à l’idée même d’une société démocratique.
Dalila Iamarène : les associations ont réagi sur notre page facebook et elles n’ont pas été les seules à le faire, voyez sur internet les réactions, particulièrement celles des jeunes qui utilisent les réseaux. Nous, association féministe, avons toujours dénoncé les discriminations, les inégalités, les violences contre les femmes et les enfants, et revendiqué l’égalité des droits et la dignité des femmes et des hommes. Que des adultes choisissent de porter le kamis et le hidjab, c’est leur droit absolu, mais qu’on ne manipule pas l’esprit des enfants. Qu’on les laisse d’abord réfléchir, penser librement à leur condition et à leur devenir, c’est la première des libertés. On fait tout pour pousser les femmes à paraître «musulmanes» alors que c’est en leur donnant les moyens de se protéger (éducation, travail, droits, autonomie) qu’on leur permettra d’avoir la personnalité et l’identité de leur choix. Quant aux associations, il est prématuré de les enterrer, elles travaillent sur le terrain, difficilement car elles n’ont ni les capitaux ni les moyens matériels de ce genre d’association que vous citez, et leur essoufflement peut se comprendre quand on sait qu’elles sont en butte à toutes sortes de tracasseries administratives, pour ne parler que de la dernière loi sur les associations. En tant que citoyennes et citoyens, nous devons protéger les enfants et ne pas les utiliser dans des luttes politiques.
Amel Blidi
Dalila Iamarène : est-ce que des enfants de 10 à 15 ans ont la capacité de formuler une décision autonome de port de hidjab ? Est-ce que les parents de ces enfants ont donné leur accord pour qu’ils servent ainsi de faire-valoir à une association ? Parler de chasteté à une petite fille, c’est déjà lui enlever son innocence. C’est par l’éducation qu’on protège une fillette et non par un voile. D’ailleurs, les femmes voilées sont autant victimes de viol et de harcèlement sexuel que les autres.
Il est absolument scandaleux d’utiliser des enfants pour faire la publicité d’un projet politique, car c’est un projet politique que de faire des enfants les responsables de la «chasteté» d’adultes. On assiste à une hyperféminisation de ces filles car, en les voilant, on en fait des femmes adultes qui doivent «se couvrir pour ne pas détourner les hommes de leurs responsabilités». Qu’est-ce que cela signifie ? Que les enfants sont responsables du comportement des adultes ? Que les enfants sont responsables des abus sexuels, des incestes, des enlèvements et des viols dont ils sont victimes ? Ce sont généralement les proches qui agressent les petites filles et elles ne sont pas censées être voilées en leur présence ! Est-ce que cette tenue vestimentaire va les protéger de la violence des adultes ?
Fatma Oussedik : ce projet nous amène à nous poser plusieurs questions. D’abord, celle du statut de l’association qui a émis ce texte. Comment une association peut-elle s’approprier la lecture du Texte au détriment de l’ensemble des autres musulmans du pays, y compris le Haut-Conseil islamique ? Si chaque groupe de pression se mettait à édicter des normes et des conduites en les érigeant en règle collective, cela viendrait à signifier que l’Etat n’est plus celui qui fait la loi, qui dit la loi et qui a en charge de veiller à son application. Ensuite, celle du problème du rapport de toutes les Algériennes à la foi et au Texte sacré. Accepter ce fait, c’est dire qu’il n’y aurait plus de vie spirituelle possible mais la seule nécessité de vivre les règles édictées par des lectures conduites par des groupes ayant autorité sur le Texte et sur notre foi.
Par ailleurs, ici, si les enfants ne sont plus des enfants, c’est l’ensemble de la question sur la condition humaine qui est posée. Etre enfant, est-ce la même chose qu’être femme ou homme adulte ? Les enfants n’ont-ils pas droit à notre protection et les petites filles peuvent-elles légalement être l’objet du désir des adultes ? Car leur mettre le voile, c’est reconnaître ce désir possible, le légitimer.
Pourtant l’Algérie, comme l’ensemble des pays musulmans, a ratifié la Convention des droits de l’enfant reconnaissant ainsi la spécificité de cette période de la vie qu’est l’enfance.
Le Maghreb existe-t-il encore ? Ou est-ce faute de l’avoir construit que nous sommes aujourd’hui livrés à la puissance des monarchies du Golfe ? Avons-nous une histoire, y compris une histoire religieuse ? L’Andalousie a-t-elle existé ? Les oulémas étaient-ils des savants ? Malik Ibn Anas fut-il un exégète respectable ? Toutes ces questions méritent qu’on s’y attarde afin de produire ensemble un projet de société. Et quelle société nous propose-t-on quand les enfants sont définis en fonction de leur caractère sexuel ?
- Pourquoi, selon vous, peu de voix se sont élevées contre un tel projet ?
Fatma Oussedik : nous sommes nombreuses et nombreux à penser qu’il existe aujourd’hui un détournement du religieux au bénéfice d’enjeux politiques ici et maintenant. Ce sont ces forces assoiffées de pouvoir, soutenues par des réseaux d’argent, qui se sont dotées de capacités de communication qui leur permettent d’occuper un espace incontrôlé. Certaines émissions de télévision font frémir ! Nous n’appelons pas à la censure, mais demandons de la mesure et de la rationalité. Quand nous entendons durant toute une émission que les femmes célibataires sont un danger pour notre société, qu’elles sont la source de tous les maux, nous sommes sidérés par les propos tenus sur les femmes, mais pourquoi et comment serions nous les ennemis de notre propre société ? Y compris les petites filles ! J’avoue que ces positions, ces propos me laissent perplexes. On doit aussi s’interroger sur l’origine des moyens financiers qui permettent à ces apprentis sorciers de proposer à notre société des modèles contre lesquels elle se bat depuis 20 ans. Dans ce combat nous avons, certes, par le passé, bénéficié de soutien extérieur mais de quel soutien intérieur bénéficions-nous ? Quelles sont les forces qui se mobilisent en faveur d’un projet porteur d’avenir pour les petites filles et les petits garçons d’Algérie ? D’une Algérie enfin apaisée.
Dalila Iamarène : il y a un tel formatage des esprits à travers les medias, les chaînes de télévision, tous ces cheikhs de tous les pays qui lancent des fatwas absurdes dans la presse à sensation, un tel matraquage où l’on rend les femmes responsables de toutes les turpitudes. En même temps, on utilise le corps des femmes comme objets sexuels qui font vendre. Il semble que le simple bon sens n’a plus cours dans nos sociétés, c’est la course à l’exhibitionnisme. Ce que nous voyons des suites du Printemps arabe, ce qui se passe en Tunisie, en Egypte nous donne un avant-goût des intérêts politiques des pays du Golfe et de leurs pratiques sociales, les mêmes dérives que nous voyons s’installer progressivement dans notre pays.
- Est-ce là le signe d’un essoufflement des associations féminines en Algérie ?
Fatma Oussedik : vous enterrez vite notre mouvement qui ne le mérite pas ! Par ailleurs, cette attitude fait le jeu de trop d’ennemis de notre cause mais aussi de notre pays. Car notre cause quelle est-elle ? Celle de la construction d’un Etat de droit, d’une société juste et égale pour tous. C’est à cela que les associations de femmes travaillent sur le terrain, difficilement car elles n’ont pas les capitaux et les moyens matériels de ce type d’association que vous citez et sont en butte à toute sorte de tracasseries administratives, pour parler uniquement de la dernière loi sur les associations. Ces associations ont pour objectif de faire de la dignité humaine une valeur centrale dans notre société, pour les femmes mais aussi pour les hommes, pour les petites filles comme pour les petits garçons.
Et sur le terrain, nous nous heurtons à ceux qui font précisément usage du corps des petites filles pour accroître un contrôle social sur l’ensemble de la société. Cela ne devrait politiquement pas être permis car cela s’oppose à l’idée même d’une société démocratique.
Dalila Iamarène : les associations ont réagi sur notre page facebook et elles n’ont pas été les seules à le faire, voyez sur internet les réactions, particulièrement celles des jeunes qui utilisent les réseaux. Nous, association féministe, avons toujours dénoncé les discriminations, les inégalités, les violences contre les femmes et les enfants, et revendiqué l’égalité des droits et la dignité des femmes et des hommes. Que des adultes choisissent de porter le kamis et le hidjab, c’est leur droit absolu, mais qu’on ne manipule pas l’esprit des enfants. Qu’on les laisse d’abord réfléchir, penser librement à leur condition et à leur devenir, c’est la première des libertés. On fait tout pour pousser les femmes à paraître «musulmanes» alors que c’est en leur donnant les moyens de se protéger (éducation, travail, droits, autonomie) qu’on leur permettra d’avoir la personnalité et l’identité de leur choix. Quant aux associations, il est prématuré de les enterrer, elles travaillent sur le terrain, difficilement car elles n’ont ni les capitaux ni les moyens matériels de ce genre d’association que vous citez, et leur essoufflement peut se comprendre quand on sait qu’elles sont en butte à toutes sortes de tracasseries administratives, pour ne parler que de la dernière loi sur les associations. En tant que citoyennes et citoyens, nous devons protéger les enfants et ne pas les utiliser dans des luttes politiques.
Amel Blidi
Nouara- Nombre de messages : 1104
Date d'inscription : 31/01/2009
Re: Fatma Oussedik et Dalila Iamarène. Sociologues et membres du réseau Wassyla: «Il y a détournement du religieux au bénéfice d’enjeux politiques»
http://www.elwatan.com/actualite/il-y-a-detournement-du-religieux-au-benefice-d-enjeux-politiques-11-03-2013-206266_109.php
Nouara- Nombre de messages : 1104
Date d'inscription : 31/01/2009
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