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KATEB YACINE: Un écrivain de tous les conflits

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Message  Aokas Ultras Mer 31 Oct - 11:35

Dramaturge, poète et romancier de talent, le génie de Kateb Yacine se traduit par l'extériorisation, dans une oeuvre écrite, forgée dans la douleur et les conflits intérieurs «d'un homme enfanté par la mort et l'oppression», comme aime à le définir un de ses anciens collaborateurs. C'est à la prison de Sétif, où il s'est retrouvé après les manifestations du 8 mai 1945, que le jeune Kateb Yacine a découvert l'oppression, la mort, le vrai visage de la colonisation et surtout son peuple. Suite à cette expérience, traumatisante pour un adolescent de 16 ans, Kateb entame l'écriture de son premier recueil de poésie «Soliloques» en 1946 où il écrivit, en préface: «j'ai commencé à comprendre les gens qui étaient avec moi, les gens du peuple (...) Devant la mort, on se comprend, on se parle plus et mieux». Le collégien studieux qui écrivait des poèmes avait embrassé la cause de la patrie usurpée et mettait son talent au service de cette cause. A peine ses blessures carcérales refermées que Yacine se retrouve pris au piège d'un amour impossible pour sa cousine, Nedjma, comme il aime à l'appeler, une passion qui le marquera jusqu'à sa mort. Durant son séjour à Annaba le jeune Yacine se radicalise politiquement et écrit des poèmes oscillant entre «l'amour et la révolution», avant de partir pour Paris où il donne, en 1947, une conférence sur l'Emir Abdelkader intitulée «Abdelkader et l'indépendance algérienne». Déchiré entre sa cousine mariée et sa «fascination pour les militants», Kateb Yacine transcende cette «contradiction » par la plume et publie le célèbre «Nedjma». Une nouvelle forme d'expression s'impose, cependant, aux yeux de Kateb, la littérature ne suffisant plus pour véhiculer ses idées et toucher les «masses populaires» qu'il admire tant. Par ses expressions corporelles et en lui faisant prendre conscience que sa littérature ne s'adressait pas à elle et donc pas aux Algériens, sa mère, qui avait perdu la raison après son incarcération, poussait inconsciemment Kateb vers le théâtre. Sa fascination pour les révolutions pousse le jeune dramaturge à publier ses premières pièces dans le recueil «Le cercle des représailles», comprenant quatre pièces différentes, dont «le cadavre encerclé» mis en scène par le Français Jean-Marie Serreau, en 1954. La guerre d'Algérie, la guerre du Vietnam et l'occupation de la Palestine mettront Kateb Yacine sur la voie d'un nouveau procédé théâtral, celui d'écrire l'histoire universelle des révolutions et les mettre en scène à la façon du théâtre grec. «L'homme aux sandales de caoutchouc», «Palestine trahie», à La guerre de deux mille ans» étaient les prémices de la grande oeuvre que Kateb voulait monter. Pendant que ces pièces germaient dans son esprit, Kateb Yacine travaillait comme écrivain public dans un café à Paris où il rédige les lettres envoyées par les ouvriers algériens à leurs familles, devenant ainsi le confident des émigrés algériens. Conforté par sa mère qui «par ses expressions inspirait même les comédiens les plus expérimentés», Kateb Yacine abandonnait la littérature française au profit d'un théâtre populaire pour parvenir à partager ses idéaux avec son peuple, un souhait qu'il a concrétisé sur les scènes et les places publiques 18 ans durant. Après avoir réalisé son rêve de dramaturge de la révolution universelle avec «La guerre de deux mille ans», une pièce sans cesse modifiée, Kateb écrit son oeuvre ultime de par l'ampleur de sa symbolique, «Le bourgeois sans culotte ou le spectre du parc Manceau», à l'occasion du bicentenaire de la révolution française en 1989.

Le «révélateur» du théâtre populaire algérien

Art d'expression dialectale avec un objectif pédagogique, ou encore un art politisé avec un discours artistique, le théâtre populaire algérien est né d'une rencontre entre Kateb Yacine, dramaturge de génie, et la jeune troupe du «Théâtre de la mer». Après son roman, Nedjma, qui a révélé le potentiel littéraire algérien, la nécessité d'un théâtre qui s'adresse au peuple et non à un public était claire pour Kateb Yacine. C'est que, pour lui, cette forme d'expression représentait le meilleur moyen de communiquer avec les Algériens, sans distinction d'âge ni de niveau d'instruction. Merzoug Hamiane, compagnon de Kateb Yacine, le confirme à l'APS par ces mots: «quand Kateb a vu qu'il fallait communiquer avec les Algériens, il a opté pour un théâtre populaire dans la langue du peuple, conscient qu'en continuant sur sa lancée littéraire il ne toucherait qu'une minorité». S'adressant à la classe ouvrière avec, en trame de fond, un objectif pédagogique, le théâtre de Kateb se jouait aussi bien devant 5.000 personnes au théâtre antique (romain) de Guelma que sur la benne d'un camion sur les quais du port d'Alger, sans oublier les tournées dans les établissements de formation professionnelle. Le théâtre populaire était produit par l'Action culturelle des travailleurs (Act) initiée par Mohamed Saïd Mazouzi, ministre du Travail dans les années 1960- 1970, qui a arrangé la rencontre entre le texte de «L'homme aux sandales de caoutchouc » et la troupe théâtrale «Le théâtre de la mer», créée en 1968 par Kadour Naimi, un jeune metteur en scène d'Oran qui a tenté les premières expériences de théâtre populaire inspiré du traditionnel théâtre de la «Halqa» ou «ronde populaire », animée par les «Gouals» sur les places publiques. De cette rencontre sortira le premier spectacle écrit par Kateb Yacine, mis en scène par Mustapha Kateb et joué par le théâtre de la mer de Kadour Naimi. C'était la célèbre pièce «L'homme aux sandales de caoutchouc» jouée, pour la première fois, au Théâtre national d'Alger en 1971. En parallèle, un second spectacle était monté dans des locaux du ministère du Travail à Kouba (Alger): le tout aussi réputé «Mohamed prends ta valise», qui remporta un succès tel qu'il fit de l'ombre à la première oeuvre. Pendant que Kateb Yacine explorait le Vietnam, entre 1967 et 1970, le théâtre de la mer entamait les premiers coups d'essai du théâtre populaire en présentant des pièces comme «Mon corps, ta voix et sa pensée» ou «La fourmi et l'éléphant» qualifiées à l'époque de «véritable coup de maître». Après ce premier succès, les deux pionniers du théâtre populaire se séparent en 1972. Kateb Yacine continue le développer le théâtre populaire avec quelques comédiens de la troupe initiale, et Kadour Naimi s'en va connaître le succès en Belgique avec des pièces comme «Palestine». Après avoir monté» La voix des femmes», l'Act s'installe à Bab El Oued (Alger) à la demande de Kateb Yacine qui voulait se rapprocher du centre d'Alger. «Ce local, qui servait de centre de visite médical pour les ouvriers algériens en partance pour la France, était partiellement détruit et a dû être retapé petit à petit’, confie Ahcène Assous, comédien de la troupe et actuel directeur du théâtre régional de Sidi Bel-Abbes. Après «L'homme aux sandales de caoutchouc», tiré de la lutte des classes dans la guerre de libération au Vietnam, l'oeuvre de Kateb Yacine s'est universalisée avec «La Guerre de deux mille ans», inspirée du théâtre grec et qui a valu à la troupe une tournée de trois ans en France. A partir de cette oeuvre, Kateb Yacine se focalise sur l'écriture de l'histoire universelle et celle des révolutions dans le monde, tout en traduisant ses écrits en arabe dialectal avec l'aide de sa troupe. En 1977, l'Act qui reçoit son dernier salaire en décembre est invitée à quitter les locaux «pour un avenir incertain», se remémore Ahcène Assous. La troupe continue, néanmoins, à se produire sur scène en entreposant ses décors chez le comédien Hassan Hassani, l'inénarrable «Boubagra». Au printemps 1978, il est proposé à Kateb Yacine de diriger le Théâtre régional de Sidi Bel-Abbès. C'est de cette proposition que sont parties toutes sortes de spéculations sur le départ de Kateb, entre mise à l'écart, voire exil, et départ volontaire. Un exil imaginaire selon Ahcène Assous: «Kateb était la coqueluche de Paris à cette époque, ses pièces se jouant à guichet fermé tous les soirs, (...)et exil pour exil, n'aurait-il pas pu repartir à Paris savourer son succès?», s'interroge encore le comédien qui affirme que l'arrivée de Kateb à Sidi Bel-Abbes fut «avant tout un choix». Durant près de dix ans, la troupe a sillonné les villages et les places publiques de la région pour faire découvrir le théâtre à ceux qui n'y ont pas accès.Tout au long de cette période, Kateb avait modifié ses oeuvres, jouant avec les personnages, pour coller à l'actualité et aux préoccupations populaires. Quelques années avant sa disparition, le 28 octobre 1989, Kateb se rapproche de son idéal d'oeuvre historique universelle en écrivant, en 1986, un extrait de pièce sur Nelson Mandela, puis deux ans plus tard lors du festival d'Avignon (France) «Le bourgeois sans culotte ou le spectre du parc Manceau», à la demande du centre culturel d'Arras qui l'a sollicité pour le bicentenaire de la révolution française. Une dernière oeuvre qui sera mise en scène par Thomas Gennari mais en l'absence du dramaturge, emporté trop tôt par la maladie

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