Wassyla Tamzali : « la question des femmes a toujours été un grand débat en Algérie »
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Wassyla Tamzali : « la question des femmes a toujours été un grand débat en Algérie »
Wassyla Tamzali : « la question des femmes a toujours été un grand débat en Algérie »
Publié le 14 janvier 2011 par fatea
Nous avons rencontré Wassyla Tamzali en juin dernier à Paris. Cette avocate et féministe universaliste née en Algérie en 1941 défend les droits des femmes à l'Unesco et milite dans les milieux féministes maghrébins depuis plus de trente ans. Dans son dernier ouvrage "Une femme en colère" elle dénonce un islamisme de plus en plus triomphant au Maghreb et en Europe. Elle insiste ici sur la nécessaire reconnaissance de l'égalité entre hommes et femmes pour une amélioration de leur condition.
Wassyla Tamzali
Fatea : Vous dîtes que la question des femmes est plus politique que sociologique. Pourquoi ?
Wassyla Tamzali : Jusqu'en 1984 (date de la mise en place du Code de la famille, ndlr), la question des femmes a toujours été une question de débat en Algérie, contrairement à d'autres thèmes comme la nationalisation des biens, même au sein du FLN, le parti unique. Le débat sur les femmes était très attendu car il allait donner un élément de réponse à la question qu'on se posait : "Quelle est la nature du régime algérien ?" La réponse donnée à travers le Code de la famille (plus d'infos sur le Code ici) est que l'Algérie est d'abord un pays musulman, et ensuite républicain, socialiste etc. D'ailleurs, le Code précède de quelques années l'arrivée du FIS au pouvoir et on peut dire qu'il n'y a pas de vraie différence de cultures entre les hommes du FLN et du FIS.
En 2005, la petite réforme engagée par le Président a été ressenti comme une énorme défaite. On attendait une réforme profonde pour entamer une nouvelle étape dans la vie de l'Algérie. J'ai été frappée par l'impact qu'à eu cette réforme, plutôt cette absence de réforme, sur les Algériens et Algériennes. On a mesuré à travers cet acte manqué que l'Algérie était entrée dans une phase d'immobilisme.
La question des femmes était importante, centrale, vécue par la population et les intellectuels qui attendait que l'Algérie, tout en reconnaissant ses liens avec la religion, dise clairement "il faut nous engager dans la modernité, dans l'égalité". Ca été ensuite sans fin, jusqu'à aujourd'hui : 64 % des femmes sont voilées de nos jours. C'est un pays complètement islamisé, seuls des intellectuels et artistes y résistent et sont très marginalisés. Car la question, ce n'est plus d'être contre une appartenance religieuse, c'est juste de pouvoir ouvrir un débat là-dessus. Peut-on parler différement ? Peut-on laisser la parole dans ce pays aux gens qui ne croient pas ? C'est la question à laquelle nous sommes confrontés dans tout le monde musulman. Et elle est essentielle pour les femmes.
La domination des femmes, l'absence de liberté de conscience, l'absence de démocratie, tout est lié. C'est un paquet, et reconnaître l'égalité des hommes et des femmes permettrait de dénouer entièrement ce paquet. C'est pour ça que je répète et martèle : la question des femmes n'est pas une question sociologique mais politique.
Que faire pour changer cette situation ?
Il faut faire de la formation, de l'éducation et changer la mentalité transmise dans les écoles. Les instituteurs véhiculent une pensée sur les femmes que l'on retrouve dans les mosquées, allant jusqu'à l'assassinat de la femme ! Ce qu'on apprend aujourd'hui aux petits garçons dans les écoles produit ensuite de la violence, comme ce qui est écrit dans la loi. En 1984, à travers le Code de la famille, il y a eu un acte de violence très fort contre les femmes : "Maintenant c'est fini, ce sont les hommes qui commandent, maintenant vous allez vous tenir à carreau". C'est ce qui est dit dans la loi, ce qui se pratique dans les rues, dans les institutions et sur les lieux de travail.
Car ce qui est ambigüe, c'est qu'on a une égalité totale dans le Code du travail mais elle ne peut pas être effective à cause du Code de la famille. Comment une femme peut aller voter alors qu'à la maison elle ne peut pas imposer son point de vue à son mari et ses enfants ?
Le travail, justement, peut-il être une solution ?
Au travail, on a maintenu cette loi qui a légitimé la culture du harem. On est arrivé à la problèmatique suivante : au lieu que ce soit le travail qui rentre à la maison et qui donne de l'autonomie ; c'est la culture du harem qui est entrée à l'usine : les rapports entre le patron et la femme sont plus marqués par la tradition islamique que par le droit du travail. La femme n'a pas droit à la parole dans son espace de travail.
Le drame des femmes d'Hassi Messaoud illustre ce problème. Quand on les a rencontré, elles se sont plaintes d'avoir été traitées de prostituées. Mais si elles avaient été prostituées, elles n'auraient pas subi ça ! C'est parce qu'elles étaient travailleuses, indépendantes qu'elles ont déchaîné cette haine contre elle. Je mettrais l'accent sur un changement fort : les femmes, pour travailler, font beaucoup d'effort. Elles quittent leur maison, leur famille. Quitter sa famille en Algérie, c'est une vraie transgression et c'est cette transgression qu'on leur fait payer.
A partir des années 2000, l'Algérie a développé des sociétés de service et les femmes y travaillent en nombre conséquent. L'Etat avait réparti la rente nationale de telle sorte que la femme puisse rester à la maison. Aujourd'hui une jeune femme qui est diplômée et qui est mariée à un jeune homme diplômé doit travailler pour avoir une vie décente alors qu'avant, ce n'était pas le cas.
Mais une jeune femme algérienne, même si elle travaille, ne peut pas vivre toute seule, avoir son propre appartement. Elle a un statut différent mais il faut que la société suive avec. Une femme ministre qui veut se marier alors qu'elle est divorcée doit encore demander l'accord de son fils pour pouvoir le faire.
En Tunisie et au Maroc, comment cela se passe-t-il ?
Les trois pays du Maghreb vivent sous la pression de l'islamisme. Chaque Etat règle ses problèmes à sa manière. En Tunisie, malgré une loi moderne et très égalitaire pour les femmes, l'islamisation des moeurs gagne du terrain à l'encontre de la loi. L'islamisme, pendant longtemps, a été une des seules manières de contester le pouvoir en place. Et ce dernier donne des gages aux islamistes sans les rencontrer.
Au Maroc, il y a un jeu très subtil entre le roi et les islamistes. Le roi a proposé un amendement au Code de la famille en faveur des femmes, lorsqu'il y a eu l'attentat à la bombe dans un restaurant espagnol en 2003. Dans deux pays, il y a donc deux réactions différentes: en Algérie, un Code pour amadouer les islamistes et au Maroc, on se saisit de l'occasion de cet attentat pour améliorer la Moudawana (Code de la famille marocain). Les islamistes n'ont pas pu dire non, à moins de se faire les alliés des terroristes.
Publié le 14 janvier 2011 par fatea
Nous avons rencontré Wassyla Tamzali en juin dernier à Paris. Cette avocate et féministe universaliste née en Algérie en 1941 défend les droits des femmes à l'Unesco et milite dans les milieux féministes maghrébins depuis plus de trente ans. Dans son dernier ouvrage "Une femme en colère" elle dénonce un islamisme de plus en plus triomphant au Maghreb et en Europe. Elle insiste ici sur la nécessaire reconnaissance de l'égalité entre hommes et femmes pour une amélioration de leur condition.
Wassyla Tamzali
Fatea : Vous dîtes que la question des femmes est plus politique que sociologique. Pourquoi ?
Wassyla Tamzali : Jusqu'en 1984 (date de la mise en place du Code de la famille, ndlr), la question des femmes a toujours été une question de débat en Algérie, contrairement à d'autres thèmes comme la nationalisation des biens, même au sein du FLN, le parti unique. Le débat sur les femmes était très attendu car il allait donner un élément de réponse à la question qu'on se posait : "Quelle est la nature du régime algérien ?" La réponse donnée à travers le Code de la famille (plus d'infos sur le Code ici) est que l'Algérie est d'abord un pays musulman, et ensuite républicain, socialiste etc. D'ailleurs, le Code précède de quelques années l'arrivée du FIS au pouvoir et on peut dire qu'il n'y a pas de vraie différence de cultures entre les hommes du FLN et du FIS.
En 2005, la petite réforme engagée par le Président a été ressenti comme une énorme défaite. On attendait une réforme profonde pour entamer une nouvelle étape dans la vie de l'Algérie. J'ai été frappée par l'impact qu'à eu cette réforme, plutôt cette absence de réforme, sur les Algériens et Algériennes. On a mesuré à travers cet acte manqué que l'Algérie était entrée dans une phase d'immobilisme.
La question des femmes était importante, centrale, vécue par la population et les intellectuels qui attendait que l'Algérie, tout en reconnaissant ses liens avec la religion, dise clairement "il faut nous engager dans la modernité, dans l'égalité". Ca été ensuite sans fin, jusqu'à aujourd'hui : 64 % des femmes sont voilées de nos jours. C'est un pays complètement islamisé, seuls des intellectuels et artistes y résistent et sont très marginalisés. Car la question, ce n'est plus d'être contre une appartenance religieuse, c'est juste de pouvoir ouvrir un débat là-dessus. Peut-on parler différement ? Peut-on laisser la parole dans ce pays aux gens qui ne croient pas ? C'est la question à laquelle nous sommes confrontés dans tout le monde musulman. Et elle est essentielle pour les femmes.
La domination des femmes, l'absence de liberté de conscience, l'absence de démocratie, tout est lié. C'est un paquet, et reconnaître l'égalité des hommes et des femmes permettrait de dénouer entièrement ce paquet. C'est pour ça que je répète et martèle : la question des femmes n'est pas une question sociologique mais politique.
Que faire pour changer cette situation ?
Il faut faire de la formation, de l'éducation et changer la mentalité transmise dans les écoles. Les instituteurs véhiculent une pensée sur les femmes que l'on retrouve dans les mosquées, allant jusqu'à l'assassinat de la femme ! Ce qu'on apprend aujourd'hui aux petits garçons dans les écoles produit ensuite de la violence, comme ce qui est écrit dans la loi. En 1984, à travers le Code de la famille, il y a eu un acte de violence très fort contre les femmes : "Maintenant c'est fini, ce sont les hommes qui commandent, maintenant vous allez vous tenir à carreau". C'est ce qui est dit dans la loi, ce qui se pratique dans les rues, dans les institutions et sur les lieux de travail.
Car ce qui est ambigüe, c'est qu'on a une égalité totale dans le Code du travail mais elle ne peut pas être effective à cause du Code de la famille. Comment une femme peut aller voter alors qu'à la maison elle ne peut pas imposer son point de vue à son mari et ses enfants ?
Le travail, justement, peut-il être une solution ?
Au travail, on a maintenu cette loi qui a légitimé la culture du harem. On est arrivé à la problèmatique suivante : au lieu que ce soit le travail qui rentre à la maison et qui donne de l'autonomie ; c'est la culture du harem qui est entrée à l'usine : les rapports entre le patron et la femme sont plus marqués par la tradition islamique que par le droit du travail. La femme n'a pas droit à la parole dans son espace de travail.
Le drame des femmes d'Hassi Messaoud illustre ce problème. Quand on les a rencontré, elles se sont plaintes d'avoir été traitées de prostituées. Mais si elles avaient été prostituées, elles n'auraient pas subi ça ! C'est parce qu'elles étaient travailleuses, indépendantes qu'elles ont déchaîné cette haine contre elle. Je mettrais l'accent sur un changement fort : les femmes, pour travailler, font beaucoup d'effort. Elles quittent leur maison, leur famille. Quitter sa famille en Algérie, c'est une vraie transgression et c'est cette transgression qu'on leur fait payer.
A partir des années 2000, l'Algérie a développé des sociétés de service et les femmes y travaillent en nombre conséquent. L'Etat avait réparti la rente nationale de telle sorte que la femme puisse rester à la maison. Aujourd'hui une jeune femme qui est diplômée et qui est mariée à un jeune homme diplômé doit travailler pour avoir une vie décente alors qu'avant, ce n'était pas le cas.
Mais une jeune femme algérienne, même si elle travaille, ne peut pas vivre toute seule, avoir son propre appartement. Elle a un statut différent mais il faut que la société suive avec. Une femme ministre qui veut se marier alors qu'elle est divorcée doit encore demander l'accord de son fils pour pouvoir le faire.
En Tunisie et au Maroc, comment cela se passe-t-il ?
Les trois pays du Maghreb vivent sous la pression de l'islamisme. Chaque Etat règle ses problèmes à sa manière. En Tunisie, malgré une loi moderne et très égalitaire pour les femmes, l'islamisation des moeurs gagne du terrain à l'encontre de la loi. L'islamisme, pendant longtemps, a été une des seules manières de contester le pouvoir en place. Et ce dernier donne des gages aux islamistes sans les rencontrer.
Au Maroc, il y a un jeu très subtil entre le roi et les islamistes. Le roi a proposé un amendement au Code de la famille en faveur des femmes, lorsqu'il y a eu l'attentat à la bombe dans un restaurant espagnol en 2003. Dans deux pays, il y a donc deux réactions différentes: en Algérie, un Code pour amadouer les islamistes et au Maroc, on se saisit de l'occasion de cet attentat pour améliorer la Moudawana (Code de la famille marocain). Les islamistes n'ont pas pu dire non, à moins de se faire les alliés des terroristes.
fatima- Nombre de messages : 1074
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Re: Wassyla Tamzali : « la question des femmes a toujours été un grand débat en Algérie »
http://fatea.blog.lemonde.fr/2011/01/14/wassyla-tamzali-la-question-des-femmes-a-toujours-ete-un-grand-debat-en-algerie/
fatima- Nombre de messages : 1074
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