L'Islam des interdits
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L'Islam des interdits
http://www.amazon.fr/LIslam-interdits-Anne-Marie-Delcambre/dp/2220054152/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1319826715&sr=1-1
Taremant.Ighil.Alemmas- Nombre de messages : 562
Date d'inscription : 17/08/2011
Re: L'Islam des interdits
Extrait
Introduction
Appelé à donner son avis sur l’attentat du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, Salman Rushdie déclara, dans un article paru dans le New York Times à propos de la phrase : « Cela n’a rien à voir avec l’Islam ! » : « Nombreux sont les leaders de ce monde qui répètent ce thème, en partie dans l’espoir louable d’éviter que des musulmans innocents ne soient victimes de représailles en Occident depuis le drame de New York. L’ennui, avec ce démenti nécessaire, c’est qu’il est trop rapide et largement inexact. Si cela n’a rien à voir avec l’Islam, pourquoi ces manifesta-tions de soutien à Oussama Ben Laden et à Al Qaida qui ont eu lieu dans tout le monde musulman ? Bien sûr que si, cela a « à voir avec l’Islam ». Reste à savoir ce que l’on entend exactement par là. »
Il est en effet devenu politiquement et religieuse-ment correct, de distinguer entre d’une part, l’Islam présenté comme religion de paix et de tolérance et d’autre part, ce qui en serait la dérive extrémiste – l’islamisme – qualifiée de « politique », de « terro-risme islamique », d’intégrisme, de fondamentalisme. L’islamisme serait la maladie de l’Islam, l’Islam reli-gion n’ayant rien à voir, bien entendu, avec les attentats perpétrés et revendiqués par des musulmans à travers le monde, comme ceux qui ont suivi la guerre en Irak !
Cette distinction, même si elle part de la meilleure volonté du monde, voire d’un souci de dédramatisa-tion ou de dialogue, ne rend pas service au débat. La première question indiscrète à propos de l’Islam est bien celle-ci : les « islamistes » sont-ils des musulmans « normaux » ou sont-ce des musulmans « déviants », voire « malades » ? Abdelwahab Meddeb frôle une réponse courageuse à la question quand il écrit : « La lettre coranique, soumise à une lecture littérale, peut résonner dans l’espace balisé par le projet intégriste ; elle peut obéir à qui tient à la faire parler dans l’étroi-tesse de ses contours. » En termes plus simples, celui qui veut s’en tenir au texte, à la lettre, à la lecture litté-rale du Coran, peut trouver de quoi justifier une action guerrière et même terroriste. L’Islam pose en effet problème parce qu’il est dans l’impossibilité absolue d’échapper à ses textes fondateurs.
Or on ne pourra pas éternellement faire comme si le Coran ne comportait que des versets de paix et de tolérance et comme si le Prophète de l’Islam n’avait jamais appelé à la vengeance, jamais versé le sang. Au risque de choquer, il faut avoir le courage de dire que l’intégrisme n’est pas la maladie de l’Islam. Il est l’intégralité de l’Islam. Il en est la lecture littérale, globale et totale de ses textes fondateurs. L’Islam des intégristes, des islamistes, c’est tout simplement l’Islam juridique qui colle à la norme. Aussi, même si on arrive, ce qui est souhaitable, à juguler ce qu’on appelle l’intégrisme militant, à éviter les attentats, à mettre tous les islamismes sous les verrous, il restera toujours et partout cet intégrisme diffus dans la société musulmane qui n’est en fait que le désir d’application totale du Coran et de la Sunna à la lettre. Cet Islam intégriste inquiète les non-musulmans d’autant plus qu’ils le connaissent mal. Il est courant d’entendre dire : « l’Islam est une religion guerrière », « l’Islam impose le port du voile », « les musulmans n’aiment pas les chiens », « l’Islam est contre les images et les statues », « l’Islam est contre la modernité », « l’Islam déteste l’Occident » Ces idées reçus perdurent parce qu’elles comportent malheureusement une grande part de vérité. Seulement on n’ose pas l’avouer, paralysé par la crainte d’aller à contre-courant ou de passer pour raciste, voire adepte de théories politiques extrêmes.
Au risque de choquer beaucoup de musulmans et de non-musulmans, partisans par exemple d’un dialogue islamo-chrétien où les questions qui fâchent ne sont jamais vraiment abordées, il me semble souhaitable d’aborder ces interdits qui font difficultés.
La méconnaissance quasi totale du droit musulman, aussi bien par les politologues que par les musulmans eux-mêmes, conduit à des contresens dangereux. Les textes fondateurs constituent un édifice à trois étages : le Coran en est le premier, la Tradition prophétique (Sunna), le deuxième et le droit musulman (fïqh), le troisième. Ces étages sont reliés et renvoient le même écho. Ce que le musulman lit dans le Coran, il en trouve l’exemple illustré par le Prophète dans la Sunna et il découvre la réglementation dans les traités de droit musulman. Tous ces textes fondateurs ont finalement acquis un statut anhistorique d’éternité selon lequel ils sont considérés comme valables pour tous les temps et pour tous les lieux. Seuls les savants de l’Islam connaissent avec précision les textes du Coran, de la Tradition et du droit musulman. Le pieux musulman a certes une culture islamique mais il ne sait pas toujours très bien si telle injonction se trouve dans le Coran, dans la Sunna ou dans le droit musulman seulement. Il s’agit souvent pour lui d’une culture par osmose.
Cette culture islamique n’a que peu à voir avec la civilisation artistique brillante qualifiée d’arabo-musulmane, qui est d’abord le fait des apports civilisa-tionnels des peuples conquis comme les Byzantins et les Persans. En d’autres termes, les arts et les sciences qui ont fleuri en terre d’Islam sont en grande partie étrangers à la pure religion des Arabes à Médine au VIIe siècle. En revanche le droit musulman, qui est à la base de la culture islamique, repose entièrement sur le Coran et la Sunna. Il faut avoir le courage de regarder le catalogue des interdits islamiques pour constater le poids du carcan qui pèse sur le musulman et encore plus sur la musulmane. Il est prohibé, pour la femme, de laisser voir ses cheveux, ses bras, ses jambes, ses cuisses, de faire l’amour en dehors du mariage, d’épouser un non-musulman, de mettre des vêtements d’homme, de porter une perruque, de se limer les dents, de recourir à la magie, de chercher à conaître l’avenir. Pour l’homme, il est défendu d’être homosexuel, de porter des vêtements de femme comme le font les travestis, d’être sculpteur ou dessinateur, de porter des vêtements en soie et des bijoux en or, de jouer d’un instrument de musique, de pratiquer les jeux de hasard, de se laisser prédire l’avenir, de s’adonner à la magie, de prêter de l’argent avec intérêt, de diriger une société de crédit ou d’être agent d’assurances et bien sûr, pour l’homme comme pour la femme, il est interdit d’outrager la religion, de blasphémer, de commettre l’adultère, de faire un faux témoignage, de voler, de frauder, d’être un brigand, de quitter la religion musulmane, de porter une croix, de boire de l’alcool, de manger du porc, de consommer de la viande non saignée rituellement... Et l’on peut continuer ainsi à l’infini jusqu’à arriver à un nombre d’interdits impressionnant. Soixante-dix pour certains jurisconsultes, mais beaucoup plus selon d’autres. Il ne s’agit pas d’un jeu amusant qui pourrrait s’intituler : « t’as le droit... t’as pas le droit » (yajûz…là yajûz) », comme disent les jeunes musulmans des cités, mais d’injonctions morales et juridiques dont certaines, quand le droit musulman est appliqué, peuvent aboutir à avoir la main coupée et, en cas de récidive, le pied (pour le vol), ou à être flagellée ou lapidée (pour la femme adultère). Cette loi islamique n’est évidemment pas compatible avec les droits de l’homme mais elle fait partie intégrante de l’Islam. Elle en est la « substantifique moelle ».
Qu’on ne se méprenne pas. Ce livre n’a rien d’une étude exhaustive sur l’Islam, ni d’une présentation générale que nous avons pu faire ailleurs. L’originalité de son propos est qu’il se focalise sur l’Islam des interdits. Dans un souci de clarté pédagogique, seront évoquées en vingt-trois courts chapitres toutes les interrogations qui viennent à l’esprit de ceux qui ne tolèrent plus le double langage mais veulent savoir ce que les textes disent. Et ces lecteurs curieux pourront constater qu’entre des textes musulmans vieux de treize ou quatorze siècles et des faits islamiques récents rapportés par les médias existe bien une parenté. Ce qu’il faut souhaiter, cependant, c’est que la parole mortifère de certains textes fondateurs soit neutralisée par l’instinct de vie, le désir de développement, d’évolution des peuples musulmans. Je me suis souvent appuyée dans ma démonstration sur le Coran. Les versets portent parfois un double numéro : l’un est celui de l’édition Flügel très souvent utilisée encore en Europe ; l’autre est celui de l’édition du Caire.
Que mon éditeur soit ici remercié pour ses remarques apportées au cours de la relecture de ce livre.
L’Islam et la loi ?
Nous ne pouvons pas interpréter correctement le comportement et la manière d’être des musulmans contemporains, depuis le port du voile pour les femmes ou de la barbe pour les hommes, sans savoir que s’ils sont ainsi, c’est qu’ils suivent les règles et que ces règles normatives se trouvent dans la loi (charia)(40) et dans la jurisprudence de cette loi (fïqh)(41).
Derrière le voile comme derrière la barbe, derrière les boucheries hallal, derrière les interdits alimentaires, derrière l’horreur du célibat, derrière la répugnance à laisser un chien entrer dans une maison, il y a la loi. La norme est au coeur du comportement du musulman en ce qui concerne le culte, mais aussi le mode de vie. Le droit musulman est à la base de la culture islamique. Cet attachement à la règle s’explique par le fait que l’Islam est à la fois normatif et profondément ritualiste. La foi n’est pas seulement théorique. Elle exige des actes où le corps intervient. Il faut se plier à la règle physiquement. Mais si le musulman se soumet si volontiers à la norme, c’est que pour lui elle mène au salut. Mohammed H. Benkheira parle d’« amour de la loi ». En portant le voile ou la barbe, le sujet musulman « enlace le corps imaginaire de la loi ». Mais pourquoi cet empressement à épouser la norme ? C’est que son non-respect ferait du musulman un « déviant », un « égaré », sur le chemin de la perdition.
Alors le musulman va coller à l’exemple du Prophète (42). Pour comprendre l’empressement du croyant à suivre l’exemple de Mahomet, il faut avoir à l’esprit le poids que revêt le rite dans la vie musul-mane. On ne prie pas n’importe quand et n’importe comment. On ne fait pas le jeûne du Ramadan quand et comme on veut. Il en est de même de toutes les obli-gations religieuses, qui obéissent à des règles bien précises. Du berceau jusqu’à la tombe, le musulman est ligoté dans un réseau de prescriptions dont il ne saurait se libérer.
Mais suivre la loi ne veut rien dire. Que trouve-t-on derrière la loi ? L’INTERDIT. Toutes les règles, quel que soit leur domaine d’expression, tournent autour de l’interdit, la sexualité comme l’alimentation, ou les multiples autres domaines. La question essentielle demeure : « Est-ce conforme à la loi islamique ? » et ceci pour chaque comportement. On confronte à la norme écrite. Si on se reporte aux recueils contempo-rains de consultations juridiques (fatwas), on voit ce genre de questions : la transfusion sanguine est-elle permise ? La transplantation cardiaque est-elle licite ? La chirurgie esthétique est-elle autorisée ? On comprend l’importance du rôle du mufti (43). Il donne des consultations juridiques (fatwas). Il est chargé d’interpréter non pas le Coran et la Sunna, mais les traités de droit musulman. Son rôle est de calmer les inquiétudes des fidèles. En effet, l’obsession du croyant musulman est de bien coller à la norme. Il veut être un musulman conforme à ce que veut la loi !
L’Islam déteste ce qui est hors norme, anormal, marginal. Il faut être copie conforme du musulman parfait. Le musulman se sent toujours coupable de ne pas être assez bien, de ne pas être un musulman parfait. Un livre du docteur Youcef Quardhaoui : Le licite et l’illicite en Islam (44) prouve bien l’importance de la loi et des cinq qualifications juridico-morales : permis, recommandé, obligatoire, blâmable, interdit. Même Averroès dans le Discours décisif raisonne en cadi et non en philosophe lorsqu’il écrit en introduction : « Le propos de ce discours est de rechercher si l’étude de la philosophie et des sciences de la logique est permise par la loi révélée ou bien condamnée par elle, ou bien encore prescrite, soit en tant que recommandation, soit en tant qu’obligation. » Ainsi en Islam, la répudiation (divorce unilatéral) est certes licite mais c’est le licite le plus haïssable. Le licite est ce qui est permis sans aucune interdiction et ce que la législation divine a autorisé à faire. L’interdit c’est ce que la législation divine a interdit de façon formelle, d’où châtiment de Dieu dans l’au-delà et sanction légale dans ce bas monde. N’est interdit que ce qui l’a été par un texte. Le recommandé c’est ce qui entraîne une récompense pour l’accomplissement de l’acte. La règle est la permission mais l’interdit, c’est non seulement l’interdit mais tout ce qui mène à l’interdit qui est lui-même interdit. En ce qui concerne le vin, est maudit celui qui le boit, celui qui le presse, celui qui le transporte, celui qui le vend.
Les actes sont examinés toujours en fonction du licite et de l’illicite. Et la recherche du licite fait qu’on scrute à la loupe le comportement du Prophète, ce qu’il faisait, comment il le faisait. S’agissant de cette recherche du licite, Al-Ghazâlî au XIe siècle dira : « Il y a du clairement licite, du clairement illicite et entre les deux des cas équivoques […]. Ceux qui se préservent des cas ambigus se mettent à l’abri dans leur honneur et leur religion. » Ghazâlî a tracé définitivement les frontières qui montraient jusqu’où le croyant pouvait ne pas aller trop loin. Au-delà de ces limites, le musulman n’avait plus l’assurance d’être dans la voie de l’orthopraxie, la voie du comportement vrai qui assure le salut. Si la recherche du licite est si importante c’est que « le monde d’Ici-bas, dit Al-Ghazâlî, est la terre dans laquelle est ensemencée la vie de l’Au-delà ». On comprend que le musulman ait perpétuellement à l’esprit ce conseil : « Agir pour ce Bas-monde comme si on devait vivre toujours. Agir pour l’autre monde comme si on devait mourir demain.
Présentation de l'éditeur
Dans les débats actuels sur l'Islam, la question des interdits et des blocages à l'égard de la modernité revient de manière permanente. Il est souvent de bon ton de distinguer un islam ouvert, pacifique et compatible avec la modernité, d'un islamisme intégriste, mettant en valeur une approche intolérante de la foi. Mais cette distinction est-elle pertinente ? Ne relève-t-elle pas d'abord d'une attitude " politiquement correcte ", qui évacue tout débat de fond, au détriment des évolutions nécessaires ? A travers un propos incisif, Anne-Marie Delcambre montre que nombre d'interdits ou de blocages actuels de la religion musulmane ne sont pas seulement des dérives intégristes mais font partie intégrante de l'Islam lui-même. Bien des éléments de ces interdits se retrouvent en effet dans le Coran ou dans la tradition la plus établie. Ainsi du statut discriminatoire des juifs et des chrétiens, de l'appel à la guerre sainte voire au meurtre, de la place des femmes, du regard non critique et non historique sur les textes fondateurs, de la place assignée au Prophète... Cet examen lucide est indispensable pour engager aujourd'hui un dialogue authentique avec l'Islam
Introduction
Appelé à donner son avis sur l’attentat du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, Salman Rushdie déclara, dans un article paru dans le New York Times à propos de la phrase : « Cela n’a rien à voir avec l’Islam ! » : « Nombreux sont les leaders de ce monde qui répètent ce thème, en partie dans l’espoir louable d’éviter que des musulmans innocents ne soient victimes de représailles en Occident depuis le drame de New York. L’ennui, avec ce démenti nécessaire, c’est qu’il est trop rapide et largement inexact. Si cela n’a rien à voir avec l’Islam, pourquoi ces manifesta-tions de soutien à Oussama Ben Laden et à Al Qaida qui ont eu lieu dans tout le monde musulman ? Bien sûr que si, cela a « à voir avec l’Islam ». Reste à savoir ce que l’on entend exactement par là. »
Il est en effet devenu politiquement et religieuse-ment correct, de distinguer entre d’une part, l’Islam présenté comme religion de paix et de tolérance et d’autre part, ce qui en serait la dérive extrémiste – l’islamisme – qualifiée de « politique », de « terro-risme islamique », d’intégrisme, de fondamentalisme. L’islamisme serait la maladie de l’Islam, l’Islam reli-gion n’ayant rien à voir, bien entendu, avec les attentats perpétrés et revendiqués par des musulmans à travers le monde, comme ceux qui ont suivi la guerre en Irak !
Cette distinction, même si elle part de la meilleure volonté du monde, voire d’un souci de dédramatisa-tion ou de dialogue, ne rend pas service au débat. La première question indiscrète à propos de l’Islam est bien celle-ci : les « islamistes » sont-ils des musulmans « normaux » ou sont-ce des musulmans « déviants », voire « malades » ? Abdelwahab Meddeb frôle une réponse courageuse à la question quand il écrit : « La lettre coranique, soumise à une lecture littérale, peut résonner dans l’espace balisé par le projet intégriste ; elle peut obéir à qui tient à la faire parler dans l’étroi-tesse de ses contours. » En termes plus simples, celui qui veut s’en tenir au texte, à la lettre, à la lecture litté-rale du Coran, peut trouver de quoi justifier une action guerrière et même terroriste. L’Islam pose en effet problème parce qu’il est dans l’impossibilité absolue d’échapper à ses textes fondateurs.
Or on ne pourra pas éternellement faire comme si le Coran ne comportait que des versets de paix et de tolérance et comme si le Prophète de l’Islam n’avait jamais appelé à la vengeance, jamais versé le sang. Au risque de choquer, il faut avoir le courage de dire que l’intégrisme n’est pas la maladie de l’Islam. Il est l’intégralité de l’Islam. Il en est la lecture littérale, globale et totale de ses textes fondateurs. L’Islam des intégristes, des islamistes, c’est tout simplement l’Islam juridique qui colle à la norme. Aussi, même si on arrive, ce qui est souhaitable, à juguler ce qu’on appelle l’intégrisme militant, à éviter les attentats, à mettre tous les islamismes sous les verrous, il restera toujours et partout cet intégrisme diffus dans la société musulmane qui n’est en fait que le désir d’application totale du Coran et de la Sunna à la lettre. Cet Islam intégriste inquiète les non-musulmans d’autant plus qu’ils le connaissent mal. Il est courant d’entendre dire : « l’Islam est une religion guerrière », « l’Islam impose le port du voile », « les musulmans n’aiment pas les chiens », « l’Islam est contre les images et les statues », « l’Islam est contre la modernité », « l’Islam déteste l’Occident » Ces idées reçus perdurent parce qu’elles comportent malheureusement une grande part de vérité. Seulement on n’ose pas l’avouer, paralysé par la crainte d’aller à contre-courant ou de passer pour raciste, voire adepte de théories politiques extrêmes.
Au risque de choquer beaucoup de musulmans et de non-musulmans, partisans par exemple d’un dialogue islamo-chrétien où les questions qui fâchent ne sont jamais vraiment abordées, il me semble souhaitable d’aborder ces interdits qui font difficultés.
La méconnaissance quasi totale du droit musulman, aussi bien par les politologues que par les musulmans eux-mêmes, conduit à des contresens dangereux. Les textes fondateurs constituent un édifice à trois étages : le Coran en est le premier, la Tradition prophétique (Sunna), le deuxième et le droit musulman (fïqh), le troisième. Ces étages sont reliés et renvoient le même écho. Ce que le musulman lit dans le Coran, il en trouve l’exemple illustré par le Prophète dans la Sunna et il découvre la réglementation dans les traités de droit musulman. Tous ces textes fondateurs ont finalement acquis un statut anhistorique d’éternité selon lequel ils sont considérés comme valables pour tous les temps et pour tous les lieux. Seuls les savants de l’Islam connaissent avec précision les textes du Coran, de la Tradition et du droit musulman. Le pieux musulman a certes une culture islamique mais il ne sait pas toujours très bien si telle injonction se trouve dans le Coran, dans la Sunna ou dans le droit musulman seulement. Il s’agit souvent pour lui d’une culture par osmose.
Cette culture islamique n’a que peu à voir avec la civilisation artistique brillante qualifiée d’arabo-musulmane, qui est d’abord le fait des apports civilisa-tionnels des peuples conquis comme les Byzantins et les Persans. En d’autres termes, les arts et les sciences qui ont fleuri en terre d’Islam sont en grande partie étrangers à la pure religion des Arabes à Médine au VIIe siècle. En revanche le droit musulman, qui est à la base de la culture islamique, repose entièrement sur le Coran et la Sunna. Il faut avoir le courage de regarder le catalogue des interdits islamiques pour constater le poids du carcan qui pèse sur le musulman et encore plus sur la musulmane. Il est prohibé, pour la femme, de laisser voir ses cheveux, ses bras, ses jambes, ses cuisses, de faire l’amour en dehors du mariage, d’épouser un non-musulman, de mettre des vêtements d’homme, de porter une perruque, de se limer les dents, de recourir à la magie, de chercher à conaître l’avenir. Pour l’homme, il est défendu d’être homosexuel, de porter des vêtements de femme comme le font les travestis, d’être sculpteur ou dessinateur, de porter des vêtements en soie et des bijoux en or, de jouer d’un instrument de musique, de pratiquer les jeux de hasard, de se laisser prédire l’avenir, de s’adonner à la magie, de prêter de l’argent avec intérêt, de diriger une société de crédit ou d’être agent d’assurances et bien sûr, pour l’homme comme pour la femme, il est interdit d’outrager la religion, de blasphémer, de commettre l’adultère, de faire un faux témoignage, de voler, de frauder, d’être un brigand, de quitter la religion musulmane, de porter une croix, de boire de l’alcool, de manger du porc, de consommer de la viande non saignée rituellement... Et l’on peut continuer ainsi à l’infini jusqu’à arriver à un nombre d’interdits impressionnant. Soixante-dix pour certains jurisconsultes, mais beaucoup plus selon d’autres. Il ne s’agit pas d’un jeu amusant qui pourrrait s’intituler : « t’as le droit... t’as pas le droit » (yajûz…là yajûz) », comme disent les jeunes musulmans des cités, mais d’injonctions morales et juridiques dont certaines, quand le droit musulman est appliqué, peuvent aboutir à avoir la main coupée et, en cas de récidive, le pied (pour le vol), ou à être flagellée ou lapidée (pour la femme adultère). Cette loi islamique n’est évidemment pas compatible avec les droits de l’homme mais elle fait partie intégrante de l’Islam. Elle en est la « substantifique moelle ».
Qu’on ne se méprenne pas. Ce livre n’a rien d’une étude exhaustive sur l’Islam, ni d’une présentation générale que nous avons pu faire ailleurs. L’originalité de son propos est qu’il se focalise sur l’Islam des interdits. Dans un souci de clarté pédagogique, seront évoquées en vingt-trois courts chapitres toutes les interrogations qui viennent à l’esprit de ceux qui ne tolèrent plus le double langage mais veulent savoir ce que les textes disent. Et ces lecteurs curieux pourront constater qu’entre des textes musulmans vieux de treize ou quatorze siècles et des faits islamiques récents rapportés par les médias existe bien une parenté. Ce qu’il faut souhaiter, cependant, c’est que la parole mortifère de certains textes fondateurs soit neutralisée par l’instinct de vie, le désir de développement, d’évolution des peuples musulmans. Je me suis souvent appuyée dans ma démonstration sur le Coran. Les versets portent parfois un double numéro : l’un est celui de l’édition Flügel très souvent utilisée encore en Europe ; l’autre est celui de l’édition du Caire.
Que mon éditeur soit ici remercié pour ses remarques apportées au cours de la relecture de ce livre.
L’Islam et la loi ?
Nous ne pouvons pas interpréter correctement le comportement et la manière d’être des musulmans contemporains, depuis le port du voile pour les femmes ou de la barbe pour les hommes, sans savoir que s’ils sont ainsi, c’est qu’ils suivent les règles et que ces règles normatives se trouvent dans la loi (charia)(40) et dans la jurisprudence de cette loi (fïqh)(41).
Derrière le voile comme derrière la barbe, derrière les boucheries hallal, derrière les interdits alimentaires, derrière l’horreur du célibat, derrière la répugnance à laisser un chien entrer dans une maison, il y a la loi. La norme est au coeur du comportement du musulman en ce qui concerne le culte, mais aussi le mode de vie. Le droit musulman est à la base de la culture islamique. Cet attachement à la règle s’explique par le fait que l’Islam est à la fois normatif et profondément ritualiste. La foi n’est pas seulement théorique. Elle exige des actes où le corps intervient. Il faut se plier à la règle physiquement. Mais si le musulman se soumet si volontiers à la norme, c’est que pour lui elle mène au salut. Mohammed H. Benkheira parle d’« amour de la loi ». En portant le voile ou la barbe, le sujet musulman « enlace le corps imaginaire de la loi ». Mais pourquoi cet empressement à épouser la norme ? C’est que son non-respect ferait du musulman un « déviant », un « égaré », sur le chemin de la perdition.
Alors le musulman va coller à l’exemple du Prophète (42). Pour comprendre l’empressement du croyant à suivre l’exemple de Mahomet, il faut avoir à l’esprit le poids que revêt le rite dans la vie musul-mane. On ne prie pas n’importe quand et n’importe comment. On ne fait pas le jeûne du Ramadan quand et comme on veut. Il en est de même de toutes les obli-gations religieuses, qui obéissent à des règles bien précises. Du berceau jusqu’à la tombe, le musulman est ligoté dans un réseau de prescriptions dont il ne saurait se libérer.
Mais suivre la loi ne veut rien dire. Que trouve-t-on derrière la loi ? L’INTERDIT. Toutes les règles, quel que soit leur domaine d’expression, tournent autour de l’interdit, la sexualité comme l’alimentation, ou les multiples autres domaines. La question essentielle demeure : « Est-ce conforme à la loi islamique ? » et ceci pour chaque comportement. On confronte à la norme écrite. Si on se reporte aux recueils contempo-rains de consultations juridiques (fatwas), on voit ce genre de questions : la transfusion sanguine est-elle permise ? La transplantation cardiaque est-elle licite ? La chirurgie esthétique est-elle autorisée ? On comprend l’importance du rôle du mufti (43). Il donne des consultations juridiques (fatwas). Il est chargé d’interpréter non pas le Coran et la Sunna, mais les traités de droit musulman. Son rôle est de calmer les inquiétudes des fidèles. En effet, l’obsession du croyant musulman est de bien coller à la norme. Il veut être un musulman conforme à ce que veut la loi !
L’Islam déteste ce qui est hors norme, anormal, marginal. Il faut être copie conforme du musulman parfait. Le musulman se sent toujours coupable de ne pas être assez bien, de ne pas être un musulman parfait. Un livre du docteur Youcef Quardhaoui : Le licite et l’illicite en Islam (44) prouve bien l’importance de la loi et des cinq qualifications juridico-morales : permis, recommandé, obligatoire, blâmable, interdit. Même Averroès dans le Discours décisif raisonne en cadi et non en philosophe lorsqu’il écrit en introduction : « Le propos de ce discours est de rechercher si l’étude de la philosophie et des sciences de la logique est permise par la loi révélée ou bien condamnée par elle, ou bien encore prescrite, soit en tant que recommandation, soit en tant qu’obligation. » Ainsi en Islam, la répudiation (divorce unilatéral) est certes licite mais c’est le licite le plus haïssable. Le licite est ce qui est permis sans aucune interdiction et ce que la législation divine a autorisé à faire. L’interdit c’est ce que la législation divine a interdit de façon formelle, d’où châtiment de Dieu dans l’au-delà et sanction légale dans ce bas monde. N’est interdit que ce qui l’a été par un texte. Le recommandé c’est ce qui entraîne une récompense pour l’accomplissement de l’acte. La règle est la permission mais l’interdit, c’est non seulement l’interdit mais tout ce qui mène à l’interdit qui est lui-même interdit. En ce qui concerne le vin, est maudit celui qui le boit, celui qui le presse, celui qui le transporte, celui qui le vend.
Les actes sont examinés toujours en fonction du licite et de l’illicite. Et la recherche du licite fait qu’on scrute à la loupe le comportement du Prophète, ce qu’il faisait, comment il le faisait. S’agissant de cette recherche du licite, Al-Ghazâlî au XIe siècle dira : « Il y a du clairement licite, du clairement illicite et entre les deux des cas équivoques […]. Ceux qui se préservent des cas ambigus se mettent à l’abri dans leur honneur et leur religion. » Ghazâlî a tracé définitivement les frontières qui montraient jusqu’où le croyant pouvait ne pas aller trop loin. Au-delà de ces limites, le musulman n’avait plus l’assurance d’être dans la voie de l’orthopraxie, la voie du comportement vrai qui assure le salut. Si la recherche du licite est si importante c’est que « le monde d’Ici-bas, dit Al-Ghazâlî, est la terre dans laquelle est ensemencée la vie de l’Au-delà ». On comprend que le musulman ait perpétuellement à l’esprit ce conseil : « Agir pour ce Bas-monde comme si on devait vivre toujours. Agir pour l’autre monde comme si on devait mourir demain.
Présentation de l'éditeur
Dans les débats actuels sur l'Islam, la question des interdits et des blocages à l'égard de la modernité revient de manière permanente. Il est souvent de bon ton de distinguer un islam ouvert, pacifique et compatible avec la modernité, d'un islamisme intégriste, mettant en valeur une approche intolérante de la foi. Mais cette distinction est-elle pertinente ? Ne relève-t-elle pas d'abord d'une attitude " politiquement correcte ", qui évacue tout débat de fond, au détriment des évolutions nécessaires ? A travers un propos incisif, Anne-Marie Delcambre montre que nombre d'interdits ou de blocages actuels de la religion musulmane ne sont pas seulement des dérives intégristes mais font partie intégrante de l'Islam lui-même. Bien des éléments de ces interdits se retrouvent en effet dans le Coran ou dans la tradition la plus établie. Ainsi du statut discriminatoire des juifs et des chrétiens, de l'appel à la guerre sainte voire au meurtre, de la place des femmes, du regard non critique et non historique sur les textes fondateurs, de la place assignée au Prophète... Cet examen lucide est indispensable pour engager aujourd'hui un dialogue authentique avec l'Islam
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