ALI MEBROUKINE RÉPOND À SAÏD SADI : «Je n’écris pas sur commande»
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ALI MEBROUKINE RÉPOND À SAÏD SADI : «Je n’écris pas sur commande»
La réponse de Saïd Sadi ( Le Soir d’Algérie du 6 mai 2010) aux réflexions que son ouvrage m’a inspirées me donne l’occasion de procéder à quelques mises au point.
1- La considération, le respect et l’affection que j’ai pour le défunt président H. Boumediène (à l’instar d’un grand nombre d’Algériens de ma génération aujourd’hui quinquagénaires et sexagénaires) ne m’aveuglent pas. Dans un article à paraître le 19 juin prochain, j’évoquerai un certain nombre d’épisodes du parcours militaire et politique de H. Boumediène que l’historien soucieux d’objectivité classera dans la colonne passive de son bilan.
2- Il eût mieux valu, pour rendre compte de façon impartiale de l’histoire de notre pays, dissocier H. Boumediène de A. Boussouf. Le premier considérait que l’État algérien ne pouvait être édifié sans une solide armature institutionnelle (qui devait obligatoirement passer par la réorganisation de l’ALN, avant même l’indépendance) mais sans que jamais l’armée puisse se fixer à elle-même ses propres fins. Le second, quant à lui, était porteur d’une vision policière de l’histoire à laquelle il convenait de tout sacrifier. Entre autres historiens éminents, peu suspects de sympathie pour H. Boumediène, M. Harbi et L. Addi ont délibérément rejeté la catégorie de «dictature militaire» pour qualifier le régime de l’ancien président de la République (Cf. respectivement, L’Algérie et son destin, Arcantère, 1992, et l’Algérie et la démocratie, Éditions la Découverte, 1994).
3- Il eût été également de bonne méthode de dissocier Abane Ramdane du colonel Amirouche dont personne ne peut nier la qualité exceptionnelle des états de service. Mais, malheureusement, seul Larbi Ben M’hidi partageait l’idéal de Abane, dont la conception exigeante de l’indépendance lui avait permis d’élaborer une véritable épure du futur État algérien que tous les acteurs politiques influents mettront sous le boisseau, dès le CNRA du Caire d‘août 1957.
4- Quel que soit le bilan que chacun est en droit de dresser de l’action du président Boumediène, il est difficile de ne pas lui reconnaître une profonde détermination à construire un État fort dans une société qui était totalement dominée, en 1962, par les sentiments et les groupes primordiaux (tribu, région, ethnie, clan, coterie, micropouvoirs de toutes sortes) et où la voie de développement non capitaliste (théorisée, non par des éminences soviétiques, mais par les plus brillants économistes français de l’époque, F. Perroux et G. de Bernis) était présentée comme le seul viatique pour briser la désarticulation économique et sociale léguée par 132 ans de capitalisme colonial.
5- Il y a deux périodes qui se succèdent dans le régime de H. Boumediène. La première va de 1965 à 1977 et constitue une phase d’expérimentation sur les plans économique, social et culturel (et comment pouvait-il en aller autrement, dès lors que H. Boumediène et tous les responsables algériens étaient des pionniers d’un État en gestation ?) et aussi une phase d’accommodement de la part de H. Boumediène avec des clans et des factions hostiles au projet socialiste, autant qu’à l’émergence d’un État moderne recélant des potentialités de démocratisation, si l’on veut bien admettre que celle-ci suppose un processus de maturation long et complexe. La deuxième phase débute en avril 1977 et s’achève au moment où le président Boumediène tombe malade (septembre 1978). Elle se caractérise, en dépit de sa brièveté, par la résolution du chef de l’État algérien à rompre tous ses attachements antérieurs et à instaurer une saine gestion des affaires de l’État, totalement dégagée des stigmates du nationalisme populiste dont il n’avait été que le continuateur, cette idéologie ayant été un invariant de l’histoire politique de l’Algérie, depuis au moins la naissance de l’Étoile nord africaine, en 1926. Il est clair que cet aggiornamento finalement avorté ne vaut pas solde de tout compte. H. Boumediène avait commis bien des erreurs (comme tout être humain et comme tout acteur politique prenant des risques) et aussi conclu bien des alliances insolites dont il cherchera en vain à se déprendre. Il avait sa part de lumière que je me suis efforcé de livrer, avec sans doute une certaine dose de subjectivisme mais sans sublimation compulsive et sa part d’ombre que le Dr Sadi restitue, à sa façon, dans son récit.
6- Lorsque j’ai dit qu’il y avait déjà 32 ans depuis que H. Boumediène a disparu, je ne voulais en aucune manière signifier à qui que ce soit qu’il était désobligeant de critiquer l’ancien président algérien. Il s’agissait pour moi, surtout, de relativiser l’impact négatif qu’auraient pu avoir ses choix des années 1960 et 1970 sur le présent et de m’interroger sur les vertus d’une exhumation de faits historiques patentés ou du rappel de l’itinéraire de gloires disparues à des fins qui me semblent étrangères au souci affiché d’écrire objectivement l’histoire. Je persiste à penser que si les formations politiques d’obédience démocratique avaient joué leur rôle vis-à-vis de la société algérienne depuis 1989, une grande partie de l’historiographie officielle aurait été démystifiée.
7- Enfin, que S. Sadi se rassure, s’il en a besoin, nul ne me dicte ma façon de penser et je n’écris jamais sur commande. Je crois avoir payé un prix très élevé à une certaine indépendance d’esprit (plus sans doute que celui de S. Sadi) et je continuerai à défendre les idées auxquelles je crois, tout en admettant sans aucune peine les failles et les défauts de tel ou tel de mes arguments.
Ali Mebroukine
1- La considération, le respect et l’affection que j’ai pour le défunt président H. Boumediène (à l’instar d’un grand nombre d’Algériens de ma génération aujourd’hui quinquagénaires et sexagénaires) ne m’aveuglent pas. Dans un article à paraître le 19 juin prochain, j’évoquerai un certain nombre d’épisodes du parcours militaire et politique de H. Boumediène que l’historien soucieux d’objectivité classera dans la colonne passive de son bilan.
2- Il eût mieux valu, pour rendre compte de façon impartiale de l’histoire de notre pays, dissocier H. Boumediène de A. Boussouf. Le premier considérait que l’État algérien ne pouvait être édifié sans une solide armature institutionnelle (qui devait obligatoirement passer par la réorganisation de l’ALN, avant même l’indépendance) mais sans que jamais l’armée puisse se fixer à elle-même ses propres fins. Le second, quant à lui, était porteur d’une vision policière de l’histoire à laquelle il convenait de tout sacrifier. Entre autres historiens éminents, peu suspects de sympathie pour H. Boumediène, M. Harbi et L. Addi ont délibérément rejeté la catégorie de «dictature militaire» pour qualifier le régime de l’ancien président de la République (Cf. respectivement, L’Algérie et son destin, Arcantère, 1992, et l’Algérie et la démocratie, Éditions la Découverte, 1994).
3- Il eût été également de bonne méthode de dissocier Abane Ramdane du colonel Amirouche dont personne ne peut nier la qualité exceptionnelle des états de service. Mais, malheureusement, seul Larbi Ben M’hidi partageait l’idéal de Abane, dont la conception exigeante de l’indépendance lui avait permis d’élaborer une véritable épure du futur État algérien que tous les acteurs politiques influents mettront sous le boisseau, dès le CNRA du Caire d‘août 1957.
4- Quel que soit le bilan que chacun est en droit de dresser de l’action du président Boumediène, il est difficile de ne pas lui reconnaître une profonde détermination à construire un État fort dans une société qui était totalement dominée, en 1962, par les sentiments et les groupes primordiaux (tribu, région, ethnie, clan, coterie, micropouvoirs de toutes sortes) et où la voie de développement non capitaliste (théorisée, non par des éminences soviétiques, mais par les plus brillants économistes français de l’époque, F. Perroux et G. de Bernis) était présentée comme le seul viatique pour briser la désarticulation économique et sociale léguée par 132 ans de capitalisme colonial.
5- Il y a deux périodes qui se succèdent dans le régime de H. Boumediène. La première va de 1965 à 1977 et constitue une phase d’expérimentation sur les plans économique, social et culturel (et comment pouvait-il en aller autrement, dès lors que H. Boumediène et tous les responsables algériens étaient des pionniers d’un État en gestation ?) et aussi une phase d’accommodement de la part de H. Boumediène avec des clans et des factions hostiles au projet socialiste, autant qu’à l’émergence d’un État moderne recélant des potentialités de démocratisation, si l’on veut bien admettre que celle-ci suppose un processus de maturation long et complexe. La deuxième phase débute en avril 1977 et s’achève au moment où le président Boumediène tombe malade (septembre 1978). Elle se caractérise, en dépit de sa brièveté, par la résolution du chef de l’État algérien à rompre tous ses attachements antérieurs et à instaurer une saine gestion des affaires de l’État, totalement dégagée des stigmates du nationalisme populiste dont il n’avait été que le continuateur, cette idéologie ayant été un invariant de l’histoire politique de l’Algérie, depuis au moins la naissance de l’Étoile nord africaine, en 1926. Il est clair que cet aggiornamento finalement avorté ne vaut pas solde de tout compte. H. Boumediène avait commis bien des erreurs (comme tout être humain et comme tout acteur politique prenant des risques) et aussi conclu bien des alliances insolites dont il cherchera en vain à se déprendre. Il avait sa part de lumière que je me suis efforcé de livrer, avec sans doute une certaine dose de subjectivisme mais sans sublimation compulsive et sa part d’ombre que le Dr Sadi restitue, à sa façon, dans son récit.
6- Lorsque j’ai dit qu’il y avait déjà 32 ans depuis que H. Boumediène a disparu, je ne voulais en aucune manière signifier à qui que ce soit qu’il était désobligeant de critiquer l’ancien président algérien. Il s’agissait pour moi, surtout, de relativiser l’impact négatif qu’auraient pu avoir ses choix des années 1960 et 1970 sur le présent et de m’interroger sur les vertus d’une exhumation de faits historiques patentés ou du rappel de l’itinéraire de gloires disparues à des fins qui me semblent étrangères au souci affiché d’écrire objectivement l’histoire. Je persiste à penser que si les formations politiques d’obédience démocratique avaient joué leur rôle vis-à-vis de la société algérienne depuis 1989, une grande partie de l’historiographie officielle aurait été démystifiée.
7- Enfin, que S. Sadi se rassure, s’il en a besoin, nul ne me dicte ma façon de penser et je n’écris jamais sur commande. Je crois avoir payé un prix très élevé à une certaine indépendance d’esprit (plus sans doute que celui de S. Sadi) et je continuerai à défendre les idées auxquelles je crois, tout en admettant sans aucune peine les failles et les défauts de tel ou tel de mes arguments.
Ali Mebroukine
Azul- Nombre de messages : 29959
Date d'inscription : 09/07/2008
Re: ALI MEBROUKINE RÉPOND À SAÏD SADI : «Je n’écris pas sur commande»
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Azul- Nombre de messages : 29959
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