Elections législatives et dictature consultative
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Elections législatives et dictature consultative
Depuis toujours, notre pays vit sous la tyrannie de l’extraordinarité.
De la spécificité à l’exception, de l’urgence au danger, toutes sortes de spectres sont inlassablement brandis pour peser sur les représentations sociales et contraindre les citoyens à abdiquer leur droit de disposer librement de leur destin. L’ensemble des actes de nos dirigeants porte le sceau du coup de force, du fait accompli et de l’absolu.
Fondé sur la violence, le factionnalisme et l’exclusion de la société, le système autoritaire ne peut s’accommoder de règles ni de procédures stables.
D’ou cette incapacité à intérioriser les expériences et à ériger une culture politique. Notre histoire est une juxtaposition de séquences, les discontinuités correspondant aux périodes de rupture du consensus au sommet. Ce qui condamne à un perpétuel recommencement dans la douleur.
Abordant l’élection législative du mois de mai prochain, le président de la République déclare que «cette échéance est différente des précédentes» comme pour réinstaller cette normalité paradoxale de l’exception. Hanté par une abstention qui risque de contrarier son dessein successoral, il s’autorise les plus impertinentes comparaisons dans le vain espoir de réveiller un sentiment national hélas érodé par trop de privations et d’impostures.
L’intermédiation de la religion ayant fait ses preuves dans l’exaltation et le délire collectif, on décide, par calcul ou nostalgie, d’en référer aux imams. Ces derniers, un Coran dans une main et une bourse dans l’autre, se lancent à la conquête des esprits récalcitrants.
La trotskyste attitrée, en sempiternel baromètre de la République, s’empresse de donner l’alerte : il semblerait, d’après elle, que l’armée s’apprête à frauder massivement à Tindouf et Illizi.
L’institution militaire serait-elle devenue subitement «la grande aveugle» pour se livrer inutilement à une malversation dans des wilayas n’ayant montré aucune velléité de dissidence ?
Cette guerre feutrée sur fond de controverses susurrées, de promesses chuchotées et d’arrangements secrets révèle bien un de ces moments de grande bataille que s’inflige et nous inflige fréquemment la dictature.
Il apparaît de toute évidence que l’enjeu se trouve loin du simple renouvellement de l’Assemblée nationale. Le rendez-vous du 10 mai n’est qu’accessoirement une élection législative.
DE NAEGELAN à OUYAHIA
De façon plus générale, l’élection en Algérie n’a pas la fonction qui est la sienne en situation démocratique. Avec un degré zéro d’incertitude, elle s’apparente à une procédure d’approbation d’un choix préétabli. Elle prend parfois les allures d’un arbitrage des luttes claniques.
L’expérience politique qui a suivi le soulèvement populaire d’Octobre 1988 jusqu’à l’élection avortée de décembre 1991 inspirera largement nos décideurs dans leur entreprise de verrouillage du champ de la libre expression. La dernière série de textes liberticides, votés à la hussarde, vient consolider une tendance à la fermeture amorcée en 1992.
Loin de nous livrer à une exploration exhaustive des artifices juridiques inventés à cet effet, notre propos se limitera à quelques exemples appropriés qui illustrent parfaitement l’état d’esprit néronien de nos dirigeants, fondement de leur rapport au peuple et à la chose politique.
LE «SERMON» PRÉSIDENTIEL
Le texte du serment présidentiel devant être prononcé par les membres du HCE à leur intronisation en janvier 1992 a été modifié pour mieux coller à la conjoncture. Il est en effet malséant, voire provocant, de jurer, la main sur le Coran, «de défendre la Constitution» et «de respecter le libre choix du peuple» quand on vient juste de substituer à l’institution présidentielle une instance étrangère à la Constitution et que l’on s’apprête à interrompre un processus électoral. Cet écueil sera contourné par l’insertion d’une nouvelle section de texte entre les deux phrases encombrantes et dont voici la teneur : «De veiller à la continuité de l’Etat, de réunir les conditions nécessaires au fonctionnement normal des institutions et de l’ordre constitutionnel, d’œuvrer au renforcement du processus démocratique.»
Nul besoin d’exégèse pour se rendre compte que le vocable choisi est ingénieux et lourd de sens. La dictature s’arroge un droit absolu d’appréciation des situations et s’aménage du même coup une large plage d’intervention autoritaire. Le gangstérisme politique vient d’être élevé à la respectabilité constitutionnelle.
Les citoyens sont sommés de réprimer leur soif de liberté et doivent dorénavant se garder de tout ce qui peut irriter le prince. Depuis, le sang et les larmes coulent à flots. Le pétrole aussi.
LES ÉLUS NON ÉLUS
Un tiers des membres du Conseil de la Nation est choisi de façon discrétionnaire par le président de la République foulant par là le principe cardinal de la souveraineté nationale. C’est une aberration et un grave égarement que de doter le président de la République d’un pouvoir de délégation de la souveraineté, attribut exclusif du peuple.
Le procédé de désignation aurait pu apparaître moins scandaleux et susciter de l’indulgence n’était la majorité des trois quarts exigée de la Chambre haute pour l’adoption des textes de loi. Le pouvoir de blocage concédé à ce tiers désigné est d’une démesure telle qu’il s’apparente à un droit de veto. La volonté populaire est ainsi tributaire du bon vouloir de cette poignée de personnes affublées par effraction de la qualité de délégataire.
LA DÉRIVE SULTANIQUE
De tous les tripatouillages juridiques injectés ici et là dans la Loi fondamentale, la révision de 2008 aura incontestablement été celle qui a opéré le plus spectaculaire recul par rapport à la norme démocratique. La suppression de la disposition limitant le nombre de mandats présidentiels a injustement polarisé le débat politique, alors même que le cœur de la modification se trouve dans le bouleversement induit par le nouvel «équilibre» des pouvoirs.
Le Conseil constitutionnel, par peur de s’attirer les foudres du maître, n’a pas jugé nécessaire de prescrire la procédure référendaire, au mépris des dispositions de l’article 176 de la constitution. En effet, l’article 79 amendé stipule que «le Premier ministre met en œuvre le programme du président de la République et coordonne, à cet effet, l’action du gouvernement».En dissociant le gouvernement de la majorité parlementaire, la Constitution introduit un élément de rupture entre souveraineté populaire et exercice du pouvoir, accentuant du coup la distorsion entre élection et représentation. La notion de majorité est extirpée de sa substance démocratique, notamment l’habilitation à gérer les affaires publiques. Si la majorité parlementaire n’est pas du même bord politique que le Président, elle est littéralement mise en demeure de se démettre de son identité politique. Une invite au reniement.
Ce dispositif constitutionnel vient en renfort aux habituelles pratiques de la fraude et de la corruption, édictant ouvertement que «nul ne gouverne s’il n’est des nôtres». Pourquoi les rédacteurs de la Constitution ont-ils méconnu l’hypothèse pleinement envisageable de scrutins à majorités politiquement différentes ? Cette omission volontaire est prédictive d’un retour obstiné à la pensée unique. Le renoncement au pluralisme est explicite. Sinon, quel principe obligerait une majorité à mettre en œuvre un programme pour lequel elle n’a pas reçu mandat ?
Par ailleurs, le Premier ministre est amputé de sa dimension politique, sans pouvoirs propres, et réduit au statut de laquais du Président. Ce qui ne l’a pas dispensé pour autant de la responsabilité devant la représentation nationale.Sauf à soutenir que la révision vise à instituer un régime de séparation stricte entre l’Exécutif et le législatif. Ce qui est totalement fallacieux car, dans ce cas, pourquoi avoir maintenu le pouvoir de dissolution du Président, la législation par ordonnance, la mainmise du gouvernement sur le processus législatif, etc. ?
Le but recherché est d’organiser une dominance à partir de la citadelle la plus imprenable et la mieux protégée de la dictature : l’institution présidentielle. C’est le retour à l’ancienne régence turque avec ses beys, ses caïds, ses bachaghas et ses janissaires. Tout danger d’alternance par les urnes est définitivement écarté en dehors du bloc autoritaire constitué de l’ancienne nomenklatura, assistée d’une fraction des islamistes contraints de se mouvoir sous le masque de la modération. Le jeu politique est désormais circonscrit dans les strictes limites de cette intimité idéologique. Le reste est confiné dans une marginalité inoffensive et placé sous le régime de précarité.
LE PIÈGE RÉTICULAIRE
La Constitution actuelle, comme toutes ses devancières, consacre un régime de négation, de déni et d’exclusion. Le pays est régenté selon une architecture institutionnelle articulant le formel à l’informel. Les divers cercles décideurs déploient du sommet leurs tentacules dans un enveloppement total de la société. Une toile où s’entrelacent les institutions formelles, les structures traditionnelles, les noyaux maffieux et autres groupes spécialisés dans la médiation clientélaire enserre les moindres recoins du tissu social.
Pour tous ses besoins, le citoyen est condamné à négocier en permanence une insertion dans les méandres opaques de cette organisation réticulaire. Parce que fondé sur le passe-droit et de par sa nature clientéliste, cet édifice exclut toute possibilité d’action collective et réprime toute tentative de regroupement horizontal.
La verticalité est le mode privilégié de production et de reproduction du rapport autoritaire et le gage d’une domination consentie.
A l’ombre de ce monstre institutionnel, seuls peuvent prospérer les tenants des utopies communautaristes.
UNE ÉLECTION PEUT EN CACHER UNE AUTRE
Ce rapide survol montre sans la moindre ambiguïté que l’élection législative a cessé d’être un moment d’expression de la souveraineté populaire. Dès lors que le programme du gouvernement est préalablement fixé par injonction constitutionnelle, il y a lieu de s’interroger sur l’enjeu politique réel de cette compétition.
En ce qui nous concerne, nous sommes persuadés que cette élection est un prélude au scrutin présidentiel. Une consultation destinée à préfigurer les contours de rapports de forces internes à l’establishment en prévision d’une imminente succession qui s’annonce d’ores et déjà problématique.
Les électeurs ne sont pas invités à se prononcer sur des projets, mais à se ranger derrière des coteries. La recomposition autoritaire est en marche. Elle risque cependant de déborder de son périmètre habituel car la situation est inédite. En effet, le Président sortant ambitionne d’organiser lui-même sa succession. Ce qui n’est pas du goût de certains secteurs du pouvoir. Pour asseoir son autorité et prendre de l’avance sur ses concurrents, Bouteflika se serait assuré de précieux soutiens en murmurant ici et là une probable dérogation au statu quo dans le sens d’une reconfiguration du pouvoir, plus ouverte, et d’une gouvernance plus permissive.
Certains parlent même d’une option à l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance qui aurait déjà eu les faveurs d’une partie de l’opposition. M’rahba bel djeria djdida. Y croire serait faire preuve d’amnésie. Quel crédit accorder à un hypothétique propos de coulisses quand on sait que les seules garanties que connaisse le pouvoir sont celles qu’il se donne à lui-même ? Si réellement volonté de changement il y a, pourquoi avoir choisi le mode de l’intrigue et le canal de la confidence en lieu et place d’un dialogue national franc, transparent et large ? Tout cela sent la combine et l’arnaque.
Dans ces conditions, pourquoi s’embarquer dans une telle aventure ?
LE PLAIDOYER COUPABLE
De tous les arguments avancés pour justifier la participation et exhorter le citoyen à aller voter, trois ont particulièrement retenu notre attention. Le premier relève de la sphère de la fatalité. Il s’appuie sur l’assertion erronée qu’il n’y a de choix qu’entre deux modalités : accepter de se dissoudre dans le système ou alors disparaître. Argument traditionnel d’une partie des classes moyennes comprimées dans leur désir d’ascension sociale, il nourrit l’illusion que, vu la situation, seul le rapport autoritaire peut conférer une visibilité politique. Cette posture s’inscrit directement dans la perspective clientéliste. Elle induit nécessairement un devoir de reconnaissance et de «redevabilité», socles par excellence de l’obéissance et de la normalisation. C’est par ailleurs le canal d’affirmation privilégié de tous les opportunismes.
Le deuxième argument est d’ordre instrumental. Il consiste à se saisir de cette opportunité pour relancer le débat politique. Une des illustrations est donnée par l’excellente idée de Hocine Aït Ahmed de vouloir «remettre du mouvement dans le statu quo». Sauf qu’elle n’a aucune chance de trouver écho dans une opinion largement désabusée et finira inévitablement par se fondre et se confondre dans l’odeur nauséabonde que dégage cette messe des prédateurs.
Les capacités d’absorption et de récupération du système étant, il ne sera rien toléré au-delà du rôle de rabatteur. Ce qui ne sied nullement à un parti qui a, de tout temps, incarné l’alternative démocratique de par sa légendaire résistance à l’autoritarisme. En opposant la participation au chaos, le troisième argument puise dans les canons de l’idéologie sécuritaire. Il participe de la volonté de renforcer les clôtures politiques et les écrans mystificateurs pour mieux obscurcir les réalités et les enjeux. On joue sur les peurs et les fragilités sociales pour faire oublier que le chaos est déjà là.
Y a-t-il pire chaos que le désarroi, la désillusion et le désespoir que renvoie le regard de nos enfants. L’immolation, le suicide et la harga seraient-ils de vulgaires distractions juvéniles ? Le recours de notre jeunesse aux moyens d’affirmation extrêmes et cette tendance de plus en plus prononcée pour l’autodestruction sont la marque d’une faillite flagrante. L’artisan du chaos est celui-là même qui organise cette mascarade électorale pour pouvoir continuer à gouverner le pays par l’opium et le bâton. Endosser cet argumentaire, c’est se placer d’emblée dans la logique de la connivence et renoncer à toute dynamique d’action autonome. Le pouvoir doit assumer seul ses propres contradictions.
L’ÉNORME GâCHIS
Le contexte né de l’effet combiné des bouleversements survenus dans la région et de la crise aigüe du capitalisme international devait suggérer de nouvelles perspectives pour notre pays.
Hélas, l’intransigeance de nos dirigeants et leur rejet de tout changement pacifique négocié l’enfonce davantage dans les profondeurs de l’incertain et l’expose au risque de dislocation et de satellisation. Affaiblie de l’intérieur par une gouvernance désastreuse, coupée de l’espace stratégique maghrébin par une absence pour le moins suspecte, l’Algérie est acculée, du côté du Sahel, par une prolifération de contre-Etats ethno-terroristes mêlant le sacré et le commerce d’otages. Elle est livrée pieds et poings liés aux appétits des blocs mondialistes et autres marchands de misère.
QUE FAIRE ?
Rupture et convergence sont les impératifs pour un renouvellement de la perspective politique en Algérie loin des voies dangereuses de l’émeute et de la jacquerie. La rupture, c’est d’abord l’effort incessant pour s’affranchir de l’autoritarisme comme mode politique, mais également comme rapport social. Il s’agit aussi de se libérer de l’immédiateté en se projetant dans la durée à travers un large mouvement de reconstruction des espaces politique et social. La société doit se construire avant l’Etat. La convergence, quant à elle, consiste en cette capacité à donner un sens politique à une contestation générale mais dispersée. C’est la fameuse problématique du passage de la quantité à la qualité. C’est enfin cette volonté de concevoir rationnellement la vie collective et l’aptitude à bâtir des compromis. C’est là toute la différence entre la cohabitation et le «vivre ensemble». Réhabiliter le politique exige en premier lieu de l’arracher à cette perversion qui le présente comme un moyen d’accès aux privilèges.
Nous ne cesserons jamais d’insister enfin sur la nécessité de réinventer le militantisme. L’espoir est dans la capacité à résister tant à la compromission qu’au recours extrême. Nous n’avons pas combattu le diktat de la casquette pour accepter aujourd’hui la dictature de la chéchia. La construction de l’alternative démocratique est possible, pour peu que les volontés patriotiques se rassemblent. C’est la seule voie véritable de la démocratie et elle commence par la disqualification du scrutin du 10 mai prochain. Le boycott de cet abject cérémonial est une chance pour la paix et la stabilité de l’Algérie.
Djamel Zenati
De la spécificité à l’exception, de l’urgence au danger, toutes sortes de spectres sont inlassablement brandis pour peser sur les représentations sociales et contraindre les citoyens à abdiquer leur droit de disposer librement de leur destin. L’ensemble des actes de nos dirigeants porte le sceau du coup de force, du fait accompli et de l’absolu.
Fondé sur la violence, le factionnalisme et l’exclusion de la société, le système autoritaire ne peut s’accommoder de règles ni de procédures stables.
D’ou cette incapacité à intérioriser les expériences et à ériger une culture politique. Notre histoire est une juxtaposition de séquences, les discontinuités correspondant aux périodes de rupture du consensus au sommet. Ce qui condamne à un perpétuel recommencement dans la douleur.
Abordant l’élection législative du mois de mai prochain, le président de la République déclare que «cette échéance est différente des précédentes» comme pour réinstaller cette normalité paradoxale de l’exception. Hanté par une abstention qui risque de contrarier son dessein successoral, il s’autorise les plus impertinentes comparaisons dans le vain espoir de réveiller un sentiment national hélas érodé par trop de privations et d’impostures.
L’intermédiation de la religion ayant fait ses preuves dans l’exaltation et le délire collectif, on décide, par calcul ou nostalgie, d’en référer aux imams. Ces derniers, un Coran dans une main et une bourse dans l’autre, se lancent à la conquête des esprits récalcitrants.
La trotskyste attitrée, en sempiternel baromètre de la République, s’empresse de donner l’alerte : il semblerait, d’après elle, que l’armée s’apprête à frauder massivement à Tindouf et Illizi.
L’institution militaire serait-elle devenue subitement «la grande aveugle» pour se livrer inutilement à une malversation dans des wilayas n’ayant montré aucune velléité de dissidence ?
Cette guerre feutrée sur fond de controverses susurrées, de promesses chuchotées et d’arrangements secrets révèle bien un de ces moments de grande bataille que s’inflige et nous inflige fréquemment la dictature.
Il apparaît de toute évidence que l’enjeu se trouve loin du simple renouvellement de l’Assemblée nationale. Le rendez-vous du 10 mai n’est qu’accessoirement une élection législative.
DE NAEGELAN à OUYAHIA
De façon plus générale, l’élection en Algérie n’a pas la fonction qui est la sienne en situation démocratique. Avec un degré zéro d’incertitude, elle s’apparente à une procédure d’approbation d’un choix préétabli. Elle prend parfois les allures d’un arbitrage des luttes claniques.
L’expérience politique qui a suivi le soulèvement populaire d’Octobre 1988 jusqu’à l’élection avortée de décembre 1991 inspirera largement nos décideurs dans leur entreprise de verrouillage du champ de la libre expression. La dernière série de textes liberticides, votés à la hussarde, vient consolider une tendance à la fermeture amorcée en 1992.
Loin de nous livrer à une exploration exhaustive des artifices juridiques inventés à cet effet, notre propos se limitera à quelques exemples appropriés qui illustrent parfaitement l’état d’esprit néronien de nos dirigeants, fondement de leur rapport au peuple et à la chose politique.
LE «SERMON» PRÉSIDENTIEL
Le texte du serment présidentiel devant être prononcé par les membres du HCE à leur intronisation en janvier 1992 a été modifié pour mieux coller à la conjoncture. Il est en effet malséant, voire provocant, de jurer, la main sur le Coran, «de défendre la Constitution» et «de respecter le libre choix du peuple» quand on vient juste de substituer à l’institution présidentielle une instance étrangère à la Constitution et que l’on s’apprête à interrompre un processus électoral. Cet écueil sera contourné par l’insertion d’une nouvelle section de texte entre les deux phrases encombrantes et dont voici la teneur : «De veiller à la continuité de l’Etat, de réunir les conditions nécessaires au fonctionnement normal des institutions et de l’ordre constitutionnel, d’œuvrer au renforcement du processus démocratique.»
Nul besoin d’exégèse pour se rendre compte que le vocable choisi est ingénieux et lourd de sens. La dictature s’arroge un droit absolu d’appréciation des situations et s’aménage du même coup une large plage d’intervention autoritaire. Le gangstérisme politique vient d’être élevé à la respectabilité constitutionnelle.
Les citoyens sont sommés de réprimer leur soif de liberté et doivent dorénavant se garder de tout ce qui peut irriter le prince. Depuis, le sang et les larmes coulent à flots. Le pétrole aussi.
LES ÉLUS NON ÉLUS
Un tiers des membres du Conseil de la Nation est choisi de façon discrétionnaire par le président de la République foulant par là le principe cardinal de la souveraineté nationale. C’est une aberration et un grave égarement que de doter le président de la République d’un pouvoir de délégation de la souveraineté, attribut exclusif du peuple.
Le procédé de désignation aurait pu apparaître moins scandaleux et susciter de l’indulgence n’était la majorité des trois quarts exigée de la Chambre haute pour l’adoption des textes de loi. Le pouvoir de blocage concédé à ce tiers désigné est d’une démesure telle qu’il s’apparente à un droit de veto. La volonté populaire est ainsi tributaire du bon vouloir de cette poignée de personnes affublées par effraction de la qualité de délégataire.
LA DÉRIVE SULTANIQUE
De tous les tripatouillages juridiques injectés ici et là dans la Loi fondamentale, la révision de 2008 aura incontestablement été celle qui a opéré le plus spectaculaire recul par rapport à la norme démocratique. La suppression de la disposition limitant le nombre de mandats présidentiels a injustement polarisé le débat politique, alors même que le cœur de la modification se trouve dans le bouleversement induit par le nouvel «équilibre» des pouvoirs.
Le Conseil constitutionnel, par peur de s’attirer les foudres du maître, n’a pas jugé nécessaire de prescrire la procédure référendaire, au mépris des dispositions de l’article 176 de la constitution. En effet, l’article 79 amendé stipule que «le Premier ministre met en œuvre le programme du président de la République et coordonne, à cet effet, l’action du gouvernement».En dissociant le gouvernement de la majorité parlementaire, la Constitution introduit un élément de rupture entre souveraineté populaire et exercice du pouvoir, accentuant du coup la distorsion entre élection et représentation. La notion de majorité est extirpée de sa substance démocratique, notamment l’habilitation à gérer les affaires publiques. Si la majorité parlementaire n’est pas du même bord politique que le Président, elle est littéralement mise en demeure de se démettre de son identité politique. Une invite au reniement.
Ce dispositif constitutionnel vient en renfort aux habituelles pratiques de la fraude et de la corruption, édictant ouvertement que «nul ne gouverne s’il n’est des nôtres». Pourquoi les rédacteurs de la Constitution ont-ils méconnu l’hypothèse pleinement envisageable de scrutins à majorités politiquement différentes ? Cette omission volontaire est prédictive d’un retour obstiné à la pensée unique. Le renoncement au pluralisme est explicite. Sinon, quel principe obligerait une majorité à mettre en œuvre un programme pour lequel elle n’a pas reçu mandat ?
Par ailleurs, le Premier ministre est amputé de sa dimension politique, sans pouvoirs propres, et réduit au statut de laquais du Président. Ce qui ne l’a pas dispensé pour autant de la responsabilité devant la représentation nationale.Sauf à soutenir que la révision vise à instituer un régime de séparation stricte entre l’Exécutif et le législatif. Ce qui est totalement fallacieux car, dans ce cas, pourquoi avoir maintenu le pouvoir de dissolution du Président, la législation par ordonnance, la mainmise du gouvernement sur le processus législatif, etc. ?
Le but recherché est d’organiser une dominance à partir de la citadelle la plus imprenable et la mieux protégée de la dictature : l’institution présidentielle. C’est le retour à l’ancienne régence turque avec ses beys, ses caïds, ses bachaghas et ses janissaires. Tout danger d’alternance par les urnes est définitivement écarté en dehors du bloc autoritaire constitué de l’ancienne nomenklatura, assistée d’une fraction des islamistes contraints de se mouvoir sous le masque de la modération. Le jeu politique est désormais circonscrit dans les strictes limites de cette intimité idéologique. Le reste est confiné dans une marginalité inoffensive et placé sous le régime de précarité.
LE PIÈGE RÉTICULAIRE
La Constitution actuelle, comme toutes ses devancières, consacre un régime de négation, de déni et d’exclusion. Le pays est régenté selon une architecture institutionnelle articulant le formel à l’informel. Les divers cercles décideurs déploient du sommet leurs tentacules dans un enveloppement total de la société. Une toile où s’entrelacent les institutions formelles, les structures traditionnelles, les noyaux maffieux et autres groupes spécialisés dans la médiation clientélaire enserre les moindres recoins du tissu social.
Pour tous ses besoins, le citoyen est condamné à négocier en permanence une insertion dans les méandres opaques de cette organisation réticulaire. Parce que fondé sur le passe-droit et de par sa nature clientéliste, cet édifice exclut toute possibilité d’action collective et réprime toute tentative de regroupement horizontal.
La verticalité est le mode privilégié de production et de reproduction du rapport autoritaire et le gage d’une domination consentie.
A l’ombre de ce monstre institutionnel, seuls peuvent prospérer les tenants des utopies communautaristes.
UNE ÉLECTION PEUT EN CACHER UNE AUTRE
Ce rapide survol montre sans la moindre ambiguïté que l’élection législative a cessé d’être un moment d’expression de la souveraineté populaire. Dès lors que le programme du gouvernement est préalablement fixé par injonction constitutionnelle, il y a lieu de s’interroger sur l’enjeu politique réel de cette compétition.
En ce qui nous concerne, nous sommes persuadés que cette élection est un prélude au scrutin présidentiel. Une consultation destinée à préfigurer les contours de rapports de forces internes à l’establishment en prévision d’une imminente succession qui s’annonce d’ores et déjà problématique.
Les électeurs ne sont pas invités à se prononcer sur des projets, mais à se ranger derrière des coteries. La recomposition autoritaire est en marche. Elle risque cependant de déborder de son périmètre habituel car la situation est inédite. En effet, le Président sortant ambitionne d’organiser lui-même sa succession. Ce qui n’est pas du goût de certains secteurs du pouvoir. Pour asseoir son autorité et prendre de l’avance sur ses concurrents, Bouteflika se serait assuré de précieux soutiens en murmurant ici et là une probable dérogation au statu quo dans le sens d’une reconfiguration du pouvoir, plus ouverte, et d’une gouvernance plus permissive.
Certains parlent même d’une option à l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance qui aurait déjà eu les faveurs d’une partie de l’opposition. M’rahba bel djeria djdida. Y croire serait faire preuve d’amnésie. Quel crédit accorder à un hypothétique propos de coulisses quand on sait que les seules garanties que connaisse le pouvoir sont celles qu’il se donne à lui-même ? Si réellement volonté de changement il y a, pourquoi avoir choisi le mode de l’intrigue et le canal de la confidence en lieu et place d’un dialogue national franc, transparent et large ? Tout cela sent la combine et l’arnaque.
Dans ces conditions, pourquoi s’embarquer dans une telle aventure ?
LE PLAIDOYER COUPABLE
De tous les arguments avancés pour justifier la participation et exhorter le citoyen à aller voter, trois ont particulièrement retenu notre attention. Le premier relève de la sphère de la fatalité. Il s’appuie sur l’assertion erronée qu’il n’y a de choix qu’entre deux modalités : accepter de se dissoudre dans le système ou alors disparaître. Argument traditionnel d’une partie des classes moyennes comprimées dans leur désir d’ascension sociale, il nourrit l’illusion que, vu la situation, seul le rapport autoritaire peut conférer une visibilité politique. Cette posture s’inscrit directement dans la perspective clientéliste. Elle induit nécessairement un devoir de reconnaissance et de «redevabilité», socles par excellence de l’obéissance et de la normalisation. C’est par ailleurs le canal d’affirmation privilégié de tous les opportunismes.
Le deuxième argument est d’ordre instrumental. Il consiste à se saisir de cette opportunité pour relancer le débat politique. Une des illustrations est donnée par l’excellente idée de Hocine Aït Ahmed de vouloir «remettre du mouvement dans le statu quo». Sauf qu’elle n’a aucune chance de trouver écho dans une opinion largement désabusée et finira inévitablement par se fondre et se confondre dans l’odeur nauséabonde que dégage cette messe des prédateurs.
Les capacités d’absorption et de récupération du système étant, il ne sera rien toléré au-delà du rôle de rabatteur. Ce qui ne sied nullement à un parti qui a, de tout temps, incarné l’alternative démocratique de par sa légendaire résistance à l’autoritarisme. En opposant la participation au chaos, le troisième argument puise dans les canons de l’idéologie sécuritaire. Il participe de la volonté de renforcer les clôtures politiques et les écrans mystificateurs pour mieux obscurcir les réalités et les enjeux. On joue sur les peurs et les fragilités sociales pour faire oublier que le chaos est déjà là.
Y a-t-il pire chaos que le désarroi, la désillusion et le désespoir que renvoie le regard de nos enfants. L’immolation, le suicide et la harga seraient-ils de vulgaires distractions juvéniles ? Le recours de notre jeunesse aux moyens d’affirmation extrêmes et cette tendance de plus en plus prononcée pour l’autodestruction sont la marque d’une faillite flagrante. L’artisan du chaos est celui-là même qui organise cette mascarade électorale pour pouvoir continuer à gouverner le pays par l’opium et le bâton. Endosser cet argumentaire, c’est se placer d’emblée dans la logique de la connivence et renoncer à toute dynamique d’action autonome. Le pouvoir doit assumer seul ses propres contradictions.
L’ÉNORME GâCHIS
Le contexte né de l’effet combiné des bouleversements survenus dans la région et de la crise aigüe du capitalisme international devait suggérer de nouvelles perspectives pour notre pays.
Hélas, l’intransigeance de nos dirigeants et leur rejet de tout changement pacifique négocié l’enfonce davantage dans les profondeurs de l’incertain et l’expose au risque de dislocation et de satellisation. Affaiblie de l’intérieur par une gouvernance désastreuse, coupée de l’espace stratégique maghrébin par une absence pour le moins suspecte, l’Algérie est acculée, du côté du Sahel, par une prolifération de contre-Etats ethno-terroristes mêlant le sacré et le commerce d’otages. Elle est livrée pieds et poings liés aux appétits des blocs mondialistes et autres marchands de misère.
QUE FAIRE ?
Rupture et convergence sont les impératifs pour un renouvellement de la perspective politique en Algérie loin des voies dangereuses de l’émeute et de la jacquerie. La rupture, c’est d’abord l’effort incessant pour s’affranchir de l’autoritarisme comme mode politique, mais également comme rapport social. Il s’agit aussi de se libérer de l’immédiateté en se projetant dans la durée à travers un large mouvement de reconstruction des espaces politique et social. La société doit se construire avant l’Etat. La convergence, quant à elle, consiste en cette capacité à donner un sens politique à une contestation générale mais dispersée. C’est la fameuse problématique du passage de la quantité à la qualité. C’est enfin cette volonté de concevoir rationnellement la vie collective et l’aptitude à bâtir des compromis. C’est là toute la différence entre la cohabitation et le «vivre ensemble». Réhabiliter le politique exige en premier lieu de l’arracher à cette perversion qui le présente comme un moyen d’accès aux privilèges.
Nous ne cesserons jamais d’insister enfin sur la nécessité de réinventer le militantisme. L’espoir est dans la capacité à résister tant à la compromission qu’au recours extrême. Nous n’avons pas combattu le diktat de la casquette pour accepter aujourd’hui la dictature de la chéchia. La construction de l’alternative démocratique est possible, pour peu que les volontés patriotiques se rassemblent. C’est la seule voie véritable de la démocratie et elle commence par la disqualification du scrutin du 10 mai prochain. Le boycott de cet abject cérémonial est une chance pour la paix et la stabilité de l’Algérie.
Djamel Zenati
laic-aokas- Nombre de messages : 14024
Date d'inscription : 03/06/2011
Re: Elections législatives et dictature consultative
http://www.elwatan.com/contributions/elections-legislatives-et-dictature-consultative-03-04-2012-165335_120.php
laic-aokas- Nombre de messages : 14024
Date d'inscription : 03/06/2011
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