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LE PROBLÈME BERBÈRE ET LA PROTECTION D'UNE CULTURE FONCIÈREMENT MÉDITERRANÉENNE

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LE PROBLÈME BERBÈRE ET LA PROTECTION D'UNE CULTURE FONCIÈREMENT MÉDITERRANÉENNE Empty LE PROBLÈME BERBÈRE ET LA PROTECTION D'UNE CULTURE FONCIÈREMENT MÉDITERRANÉENNE

Message  Zhafit Jeu 4 Sep - 15:50

LE PROBLÈME BERBÈRE ET LA PROTECTION
D'UNE CULTURE FONCIÈREMENT MÉDITERRANÉENNE


par Roger TEBIB


On peut dire que la population algérienne est
fondamentalement berbère malgré les transformations
réalisées par l'élément arabe. Les arabophones actuels
sont, pour la plupart, des berbères arabisés
(Musta'rab) et les berbérophones ne constituent pas un
groupe pur. Traditions orales et toponymie le montrent
si bien que les nationalistes sont obligés d'en tenir
compte. La Charte d'Alger " ne veut pas faire
référence à des critères ethniques et s'oppose,
dit-elle, à toute sous-estimation de l'apport
antérieur à la pénétration arabe ".

Pas d'invasions arabes

Il est évident qu'il n'y a jamais eu en Algérie
d'Arabes venus du Moyen-Orient ou de l'Afrique
subsaharienne. " Les prétendues invasions sahariennes
étaient des mythes, car au Sahara, la population était
clairsemée, et elle n'avait pas de chevaux ; elle
était bien éloignée de toutes choses civilisées ! Je
connaissais, comme tout le monde, le passage de
Strabon, cité si souvent, où il précise qu'à son
époque, au premier siècle, il n'y avait en Arabie ni
chevaux, ni ânes, ni sangliers, animaux qui y sont si
nombreux aujourd'hui. [...] Par ailleurs, il
apparaissait sans discussion possible qu'il n'y avait
pas de " race arabe ", l'Arabie étant habitée par des
populations de types fort différents, aussi différents
que peut l'être un Slave d'un Espagnol, pour le moins.
" (G. BRÉMOND, Berbères et Arabes, Payot, 1950).
Les bandes " arabes " qui arrivèrent au cours des
siècles dans le Maghreb ne comprenaient que très peu
de Sémites. Un fort contingent des tribus hilaliennes
était bien musulman, mais de race tourano-aryenne,
c'est-à-dire apparentée aux Berbères. On a donc pu
écrire : " La conclusion est que la très grande
majorité des indigènes du continent nord-africain est
de race et de langue européennes. " (G. PEYRONNET, Le
problème nord-africain).
Quant aux Hilaliens, il est impossible de croire que
des centaines de milliers d'hommes et de femmes soient
sortis du désert qui s'étend entre Médine et La Mecque
et aient parcouru six mille kilomètres pour
s'installer en Afrique du Nord. La réalité est que ces
bandes n'ont pas eu plus d'influence en ce pays que
les reîtres d'Allemagne en France à l'époque des
guerres de religion. " Le nombre d'Arabes, très minime
au départ, l'était encore bien plus à l'arrivée. Ces
bandes étaient composées, comme toujours, de tous les
éléments de désordre qui s'y joignaient dans l'espoir
de pillage fructueux, et qui, recrutés et pays
berbères, étaient Berbères. " (V. PIQUET, Les
civilisations de l'Afrique du Nord).
Il convient donc de parler seulement d'arabophones
issus d'un brassage extraordinaire de populations et
vivant à côté des Kabyles, des Chaouïa et des
Mozabites, dont la langue est le berbère. (voir Pierre
BOURDIEU, Sociologie de l'Algérie, P.U.F., 1963).

Des traditions religieuses méditerranéennes

Les ethnologues ont aussi remarqué la persistance en
Afrique du Nord de coutumes religieuses venues du
polythéisme gréco-romain.
Ainsi, jusque dans ses rites en apparence les plus
insignifiants, le sacrifice d'automne
(taferka-uidjiben) prolonge ceux de la Grèce antique
qui, d'après une inscription de Mycènes, étaient
consacrés à Zeus, dieu du ciel et à Gé, la terre-mère,
avec un repas commun rassemblant les membres d'un clan
autour du même autel. (Voir L.R. FARNELL, Sacrifice,
in Hastings's Encyclopedia for ethics and religion).
En Algérie, les rites accompagnant les troupeaux
partant au premier pâturage de printemps - avec le
passage entre l'araire et le métier à tisser - sont
les mêmes que ceux de l'Antiquité fêtant la saison de
l'accouplement (voir COLUMELLE, De re rustica, VIII).
A la moisson, les laboureurs kabyles accompagnent
leur travail de chants pieux, comme les moissonneurs
de l'Égypte et de la Syrie antiques qui avançaient en
ligne pendant que flûtistes et chanteurs rythmaient
leurs mouvements. (voir G. MASPÉRO, Histoire ancienne
des peuples de l'Orient, Hachette, 3e édition, 1884,
tome I).
Le sacrifice du taureau, animal agraire par
excellence, associé à tous les travaux des champs, est
chargé de représentations cosmiques sur tout le
pourtour de la Méditerranée. La mort de Dionysos
Zagreus mis en pièces préfigure certainement ce
sacrifice (voir P. LAVEDAN, Dictionnaire illustré de
la mythologie et des antiquités grecques et romaines,
Hachette, 4e édition, 1931).
Corippus, poète latin africain du Vie siècle montre
le roi des Louata (Levates), Berbères de Tripolitaine,
tué dans une bataille contre les Byzantins, parce
qu'il s'obstinait à sauver la statue du dieu de son
peuple, Gurzil. Celui-ci avait la forme d'un taureau
et son nom servait de cri de guerre. El Bekri signale
qu'au XIe siècle encore les tribus berbères offraient
des sacrifices à une idole qu'il appelle Guerza.
Les traditions populaires qui, en Algérie, sont liées
à la fin de l'année et au début de l'an nouveau
appartiennent aussi au vieux fonds méditerranéen. A
cette époque, les âmes des morts reviennent sur terre,
profitant du chaos de cette période incertaine. En
Europe orientale comme en Afrique du Nord, il ne faut
pas faire sortir le feu de la maison, que l'on balaie
soigneusement pour ne pas offenser les esprits qui y
sont présents. C'est aussi l'époque des mascarades qui
manifestent la présence des morts au seuil de la
nouvelle année. Par exemple, " dans le village de
Khemis, chez les Bäni Snus, les masques sortent du
sanctuaire de Sidi Salah, tombeau de l'ancêtre
protecteur, bâti au nord du village. Ils sont escortés
de tous les jeunes gens, qui poussent le cri des
masques : " Aïrad ! usba'a rahmaji, haidhu " (le lion
va arriver, faites-lui place). " (H. MARCHAND, Masques
carnavalesques et carnaval en Kabylie, Rabat, 1938).
On sait que le masque vêtu de haillons et sortant du
sanctuaire de l'ancêtre est à l'origine du drame sacré
et du théâtre. Pausanias mentionne Dionysos
Mélanaigis, c'est-à-dire à la peau de chère noire,
dieu gardien de chaque foyer, auquel on présentait les
nouveau-nés lors des Apaturies, fête des phratries
(voir Description de la Grèce, traduction, Paris,
1821). Virgile parle des masques d'écorce creusée dont
se servaient les Troyens pour honorer Bacchus
(Géorgiques, II, 385).
L'esprit méditerranéen est chez lui en Kabylie même
si les coutumes religieuses de cette région ont été
laminées par les autres religions au cours des
siècles. En effet, " il fallut la force des armes, des
répressions sanglantes, pour imposer aux Berbères de
jadis une doctrine et une loi religieuses, morales et
civiques, dont ils ne voulaient point. " (René
POTTIER, Saint Augustin le Berbère, Publications
techniques et artistiques, 1945).

La notion de pseudomorphose et la civilisation berbère

Problème de l'au-delà
o Sur les bords de la Méditerranée, les fèves sont les
prémices de la terre, le symbole de tous les bienfaits
des " gens de dessous terre " ;
o Les vieux textes égyptiens appellent " champ des
fèves " le séjour temporaire des morts avant la
réincarnation ; c'est pourquoi Pythagoriciens et
prêtres d'Isis s'abstenaient de manger des fèves, pour
montrer qu'ils fuyaient la réincarnation ;
o En Kabylie, la jeune mariée jette des fèves à la
fontaine avant de puiser de l'eau pour la première
fois, sept jours après les noces ;
o Le repas qui accompagne le premier labour chez les
paysans du nord de l'Afrique comprend presque toujours
des fèves, symboles de fécondité et de résurrection,
parce que premières des prémices du printemps ;
o Chez les Berbères d'Afrique du Nord, les enfants
morts sont placés dans le creux des rochers pour
renaître plus vite, car le roc est le domicile d'une
entité femelle, il symbolise la matrice et la
renaissance.
Le symbolisme des jeux enfantins
o Chez les Berbères, les jeunes enfants qui jouent à
de prétendus " jeux de poupées " accomplissent en
réalité des rites de fécondité qu'ils peuvent seuls
réaliser.
o Pour les enfants de Kabylie, il existe des jeux pour
les différentes saisons :
ß la toupie : jeu d'automne symbolisant le
recommencement de l'année agraire,
ß saute-mouton, au printemps, pour promouvoir la
fécondité des troupeaux,
ß jeux de balle, en été, destinés à faire connaître la
volonté de l'Invisible par la victoire d'une équipe
sur une autre.
Mariage
o Pour la femme kabyle, le mariage est la sortie de
trois cercles magiques qui l'entourent :
ß le cercle de la maison,
ß le cercle de la cité,
ß le cercle de protection de l'ancêtre fondateur de la
tribu.
o Cette désertion doit se faire sans offenser les
génies gardiens ; on utilise donc une violence
simulée, un enlèvement : la femme se débat, pleure...
o En entrant dans la nouvelle communauté, elle se
concilie ses nouveaux génies gardiens de deux manières
:
ß distribution d'amandes, devenues nos dragées,
ß partage d'un plat de nourriture avec son mari, en
utilisant à deux la même cuillère et en buvant du lait
dans le même verre.
Mythe de fondation de la civilisation kabyle
o On parle de Phraoh, un roi géant, parti de l'Est,
chargé des montagnes plantées de cèdres de son pays,
qu'il voulait emporter avec lui.
o Arrivé en Kabylie, il s'écroula ; de sa tête et de
ses quatre membres sortirent les cinq tribus kabyles
que les Romains appelaient encore quinque gentes.
o Les montagnes s'enracinèrent et devinrent le
Djurdjura.

Des problèmes historiques

L'histoire montre qu'un peuple vaincu adopte la
langue du conquérant si celui-ci a une supériorité
culturelle considérable, ce qui n'était pas le cas des
premiers groupes d'Arabes arrivés en Afrique du Nord
et, bien plus encore, quand il s'agissait des hordes
hilaliennes.
On sait que les livres primitifs du christianisme
étaient écrits en araméen, dont les juifs eux-mêmes se
servaient à Jérusalem. Puis les Évangiles ont été
rédigés en grec ancien, utilisé de la Méditerranée aux
Indes et qui restera la langue des chrétiens
orthodoxes et des communautés qui s'y rattachent.
Enfin, le latin fut adopté par le christianisme
romain.
En ce qui concerne l'islam, il convient de remarquer
que le Coran n'a appris l'arabe ni aux Turcs, ni aux
Indiens musulmans dont la langue est l'ourdou, ni aux
Chinois, ni aux Malais.
On pense actuellement que c'est le punique, langue
sémitique, qui a préparé les Berbères à l'emploi de
l'arabe dialectal, différent de l'arabe classique,
langue sacrale, de même que l'arianisme leur a fait
accepter l'islam.
La parenté des langues sémitiques est très étroite si
bien que des penseurs comme Arnobe, saint Augustin,
Procope attestent que, de leur temps, les paysans de
l'Afrique du Nord parlaient encore le punique. On a pu
dire, à juste titre : " Il est donc probable que la
langue punique fut parlée jusqu'à l'invasion
musulmane. Peut-être la facilité avec laquelle l'arabe
prit possession de ces contrées et la disparition
complète du latin tenaient-elles à la présence de
cette première couche sémitique. L'arabe, en effet,
n'absorba que les dialectes qui lui étaient
congénères, tels le syriaque, le chaldéen, le
samaritain. Partout ailleurs il ne put effacer les
idiomes établis. " (Ernest RENAN, Histoire générale
des langues sémitiques in : OEuvres complètes, volume
VIII, réédition Calmann-Lévy, 1958).
Les dialectes berbères sont issus des langues parlées
au Maghreb avant la conquête arabe au VIIIe siècle,
après laquelle des zones importantes sont demeurées
berbérophones jusqu'à nos jours. Le berbère, qui fait
partie du groupe chamito-sémitique s'est enrichi de
nombreux emprunts à l'arabe puis au français.
Les dialectes sont nombreux. Le Maroc comporte trois
groupes : le chleuh dans le Sud (Haut Atlas, le
tamazight dans le Mayen Atlas et le rifain dans le
Nord. En Algérie, le groupe principal est constitué
par le kabyle. Les autres parlers sont le chaouia dans
les Aurès, le mozabite au Mzab et le touareg dans le
Sahara. Ce qui reste de berbère en Tunisie se trouve
dans la région de Médénine, à l'extrême Sud du pays
(Voir Salem CHAKER, Textes en linguistique berbère
(introduction au domaine berbère, C.N.R.S., 1984).
Un renouveau berbère s'est manifesté récemment :
l'enseignement de la langue et la reconnaissance de sa
place dans la culture de l'Algérie sont l'objet de
revendications. Cette renaissance est liée aussi à la
politique d'arabisation qui veut faire de la langue du
Coran un moyen de communication débordant de l'usage
écrit et religieux.
Il est évident que, par-delà les fluctuations
conjoncturelles, le problème culturel kabyle est
profond, durable et non réductible. Il ne faut pas
dire que " les Berbères, du fond de la préhistoire,
attendaient la conquête arabe pour réaliser leur
destin historique : la disparition par osmose
harmonieuse dans l'arabité et l'islam ! En un mot, la
destinée des Berbères a été scellée une fois pour
toutes, il y a treize siècles... Les résolutions du
gouvernement (algérien) s'inscrivent sans nuances dans
la mouvance de l'arabisme intolérant, agrémenté d'une
vision bureaucratique de la culture. Le caractère
exclusif de la langue arabe et de la culture
arabo-islamique y est réaffirmé de façon virulente. "
(Salem CHAKER, Berbères, une identité en construction,
Edisud, 1987).
Il faut souligner que c'est la recherche
universitaire française au XIXe siècle qui a fait
découvrir l'existence d'une histoire pré-islamique
berbère, l'arabité et l'islamité du Maghreb étant des
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Message  Zhafit Jeu 4 Sep - 15:53

données relativement tardives.

L'idéologie politique contre le berbère

Tous les mouvements musulmans s'évertuent à nier la
nationalité berbère, qui existe pourtant. " Quelle que
soit la variété des types ethniques qu'il renferme, il
semble que le peuple berbère témoigne d'une
remarquable stabilité de moeurs. Il a conservé son
organisation en tribus, groupées, au cours de
l'histoire, non en nations, mais en fédérations
instables dont le prestige du chef était le principal
lien. S'il s'est adapté à la domination matérielle des
peuples étrangers dont il subit très vite mais
superficiellement les influences extérieures. Il est
demeuré rebelle à leur empreinte morale et a conservé,
à travers les siècles, sa civilisation presque
intacte. " (Charles-André JULIEN, L'Afrique du Nord en
marche, Julliard, 1952).
L'arabe s'est répandu difficilement en Berbérie. En
1526, Léon l'Africain écrivait : " Et usent de la
langue africaine ancienne, tellement qu'il s'en trouve
bien peu qui sachent parler arabe que corrompu à la
mode des paysans ". La situation n'a pas sensiblement
évolué, sauf en Tunisie. " Aujourd'hui ce parler (i.e.
le berbère), ou plutôt ces parlers sans écriture,
subsistent dans tout le Maghreb, à peu près éliminés
en Tunisie (1 %) mais fortement ancrés en Algérie (29
%) et surtout au Maroc (42 %). " (Charles-André
JULIEN, L'Afrique du Nord en marche, ouvrage cité).
À la veille de la guerre d'Algérie, le leader Ferhat
Abbas prononçait ses discours en français car il ne
maîtrisait pas suffisamment l'arabe. Au Maroc, pays
encore foncièrement berbère, l'homme politique qu'est
Mahjoubi Aberdan écrit : " Défendre le berbère n'est
pas protéger un vague folklore mais vouloir préserver
toute une culture, toute une richesse humaine et
spirituelle qui coule dans nos veines. " (in : Jeune
Afrique, 19 février 1968). Actuellement, des
associations, surtout universitaires, luttent pour
l'enseignement du berbère et mettent au point une
écriture à caractères latins. (voir : La formation à
l'Université de Paris VIII).

Les langues parlées par les Maghrébins

Il faut ajouter que les immigrés maghrébins, dans
leur immense majorité, ne savent pas l'arabe, parlent
un dialecte ou sont berbérophones. " Leur nombre peut
être évalué, avec une marge d'erreur assez grande, à
510 000 personnes, composées d'environ 300 000
berbérophones d'origine algérienne (soit quelque 30 %
de la population " algérienne ") et de 210 000
berbérophones d'origine marocaine (environ 50 % de la
population marocaine). Le tout sur un total de l'ordre
d'un million et demi de Maghrébins et assimilés ; la
proportion globale est donc d'un tiers. " (Salem
CHAKER, in Vingt-cinq communautés linguistiques de la
France, L'Harmattan, tome II, 1988).
Signalons aussi que le Maghreb a un important
peuplement berbère. " Dans cette région, 23 % des
Tripolitains, 1 % des Tunisiens, 30 % des Algériens,
40 % des Marocains, sont des berbérophones, parlant
des dialectes voisins, mais distincts. " Viviana
PQUES, Les peuples de l'Afrique, Bordas, 1974)
Pour toutes ces populations l'arabe est une langue
étrangère : c'est ainsi que l'hymne national Qasamân
ne peut être compris par la majorité du peuple
algérien. Dans ces conditions, enseigner cette langue
à des enfants nés en France est une atteinte aux
droits les plus élémentaires de la personne humaine.

Pérennité des lettres franco-maghrébines

Le bilinguisme qui existe actuellement en Algérie est
le produit d'une longue histoire qui a commencé avec
la conquête en 1830. On a dit : " Il constitue un
enrichissement certain de la littérature et de la
culture nationales. L'arabisation en cours [...] fait
retrouver à la littérature algérienne toute sa
dimension horizontale d'Ouest en Est, non plus
maintenant comme au temps de Camus à la hauteur de la
Grèce, mais à celle des rives méridionales de la
Méditerranée. Maroc et Tunisie sont aussi attachés au
français. La littérature de langue française, elle,
maintient une dimension verticale, non pas celle de
Rome et de la " mare nostrum " de Bertrand, mais celle
de l'ouverture vers la modernité, symbolisée par la
Ville des autres implantée sur le rivage algérien par
opposition au tréfonds rural et à l'arrière-pays,
terroir des paysans et territoire de parcours. Les
apports venus de l'Est et du Nord sont intégrés,
assimilés, algérianisés selon une manière propre à la
Berbérie reculée (Tidafi). " (Jean DEJEUX, La
littérature algérienne contemporaine, P.U.F., 1975).
Cela étant, il faut distinguer plusieurs étapes et
aspects dans l'évolution des lettres maghrébines.

L'école d'Alger

Il y a d'abord les écrivains dont l'ascension précède
les malheureux événements de 1954. Passionnément
attachés à l'Algérie, respectueux des religions de ce
pays, ils cherchent à définir un univers "
méditerranéen " qui concilierait les valeurs de
l'Europe et celles de l'Afrique.

Fils d'un ouvrier agricole tombé dans la bataille de
la Marne et d'une mère espagnole et paysanne, Albert
Camus, malgré les épreuves de sa jeunesse à Alger, a
toujours défendu la cause des humiliés et prêché
l'avènement d'une justice meilleure.
Il n'est pas, comme Sartre, le chantre du désespoir
littéraire. La lumière et la chaleur, la mer et le
soleil, ces biens du pauvre qui sont aussi la
propriété des Méditerranéens, lui ont inspiré des
pages sensuelles et colorées. Mais la flamme des étés
brûlants, la lutte contre les vagues, la possession du
sable et de la terre se dissipent avec le retour vers
la ville.
Un ciel vide, un monde déraisonnable, une existence
sans justification où l'être humain répète, jour après
jour, des gestes dénués de sens, voici le sort imposé
à tous. Comme Sisyphe, nous sommes condamnés à rouler
éternellement notre rocher.
Pourtant, la conscience de notre destin absurde nous
libère de la servitude et nous donne la grandeur
tragique du héros qui vit volontairement son sort.

Consentement ou révolte, le même dilemme s'est posé à
Jules Roy face à la Ruhr bombardée, aux affrontements
d'Indochine, de Corée et d'Algérie. Probité,
honnêteté, gravité tendue, toutes ces qualités
l'amènent à condamner la guerre absurde, en
particulier dans Les chevaux du soleil, roman cyclique
où est décrite la colonisation de l'Algérie.
Courageusement, il déclare : " D'Algérie, j'aurais dû
parler de grandeur française, de patriotisme
inaliénable, pour être conforme. Au lieu de cela, j'ai
dit que Bugeaud n'avait été qu'un salaud, un ignoble
assassin, et que l'Algérie devait être algérienne
comme le Vietnam vietnamien. Il n'y a pas de guerre
juste et propre, et pourtant, au coeur de l'horreur,
la chevalerie reste vraie. C'est insoluble. " (in : Le
Nouvel Observateur, 18 mai 1966).

Malgré cet écoeurement devant l'économisme à courtes
vues qui a dénaturé les rapports franco-maghrébins, le
sens de la vie reste le plus fort ; et Gabriel
Audisio, dans Rhapsodies de l'amour terrestre, loue la
beauté de la terre dont la lumière et la nuit
recoupent celles des territoires intérieurs.

Le même culte du paysage natal se retrouve chez
Emmanuel Roblès. Dans un roman comme Les hauteurs de
la ville ou dans l'action théâtrale de Montserrat,
règne toujours l'atmosphère dure et poignante de pays
livrés à la fatalité de la guerre et du sang. Nous
sommes très loin du régionalisme folklorique et
sentimental où certains critiques veulent ranger les
écrivains algériens. Ce n'est jamais dans les fumées
des rendez-vous de Saint-Germain-des-Prés, mais dans
les terres des affrontements, que l'on a le sentiment
aigu d'une histoire plongeant l'être humain dans
l'action violente et la proximité constante de la
mort.

La vie de Jean Amrouche, kabyle de religion
chrétienne, manifeste aussi ce drame. Quand il cherche
à définir " le héros méditerranéen ", il choisit une
figure de la résistance et de la révolte, Jugurtha,
ennemi des Romains. Et il dénonce dans ses derniers
poèmes - des " chants de guerre " - le mirage d'une "
intégration " impossible qui l'a exilé de sa patrie :
l'Algérie. L'échec de son rôle d'intercesseur l'a
plongé dans le désespoir et a usé ses forces.

Poésies et romans en langue arabe

De son côté, la littérature algérienne de langue
arabe a commencé à s'affirmer vers les années 1920.
(Voir Mûhammad Al-Hadi SANOUSI AZZAHIRI, Poètes
algériens de l'époque contemporaine, Tunis, 1926).

Poète du mouvement de la Nahda, Mûhammad Laïd a
surtout chanté la politique et la religion, dans des
poèmes sur le colonialisme, L'émir Khaled ou l'unité
du peuple, par exemple. Dans son Diwan, il fait un
effort sérieux pour renouveler tournures et images
d'origine traditionnelle orientale.

De son côté, Mûfdi Zakaria composa en prison le chant
national algérien Qasamân et sa grande oeuvre, La
flamme sacrée, est classique dans le meilleur sens du
terme.

Réda Houhou - fusillé en 1956 par une organisation
clandestine - ne voyait pas l'Algérie de son temps
sous un angle optimiste. Dans son livre Avec l'âne de
Hakim, il traite à partir d'une série d'entretiens des
sujets d'une actualité brûlante : le mariage, la
femme, les arts, l'enseignement, la politique...

Il faut dire pourtant qu'on rencontre surtout des
auteurs de courtes nouvelles. Ainsi, Mûhammad Saïd
Zahiri, qui verse dans le moralisme avec ses deux
textes : La coutume chez les femmes d'Algérie (qu'il
veut voilées) et : En visite chez Sidi Abed (où il
critique la décadence des moeurs et la superstition
sur un ton assez pédant). (Voir A. KHATIBI, Le roman
maghrébin, Maspero, 1968).
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Message  Zhafit Jeu 4 Sep - 15:53

La génération de la guerre

Aux alentours de 1952, les écrivains maghrébins
s'efforcent non seulement de raconter l'histoire de
l'Afrique du Nord mais aussi de dénoncer les
injustices du système colonial et de montrer les
problèmes complexes d'une société qui éclate.

Le Tunisien Albert Memmi analyse le drame de
l'incommunicabilité d'hommes et de femmes pris entre
diverses cultures comme, entre autres, dans son roman
La statue de sel où est décrite la situation
particulière de l'israélite. Et, dans toute une série
d'essais, il brosse le tableau de l'oppression dont
sont victimes le colonisé, le juif, le noir et la
femme, dans une société où la phraséologie libérale
essaie de dissimuler l'exploitation économique et les
crises culturelles.

De son côté, le Marocain Driss Chraïbi crie sa
révolte dans Les boucs et montre les humiliations que
subissent en France les travailleurs maghrébins.
Toujours dans le domaine chérifien, Ahmed Sefrioui
décrit, en 1954, dans La boîte à merveilles, la vie
intérieure des habitants de la ville de Fès. Quant à
Tahar ben Jelloun, son oeuvre lui a valu le prix Nobel
en 1988.

Dans La grande maison, de l'Algérien Mûhammad Dib est
analysée l'âme de cette région, sa sensibilité et le
lent processus qui l'amène à se détacher de la France.
Mais l'écrivain reste dans une éternelle quête de soi,
car la vie et le rêve sont au-dessus de toutes les
haines et méprisent les compromissions. Ainsi, Qui se
souvient de la mer est un des plus beaux textes
oniriques de la littérature algérienne. " La nuit est
tombée ; je sors, je vais au devant de la mer. Cette
nuit sera peut-être la dernière. Tout au bout de
l'avenue, immobile, elle est à l'affût. Puis, d'un
coup, elle m'appelle et me poursuit, m'entoure et me
déroute à travers la machinerie des rues. Elle parle
avec un rire brusque qui la change de proche en
proche. Toute la nuit, je marcherai dans cette ville,
et loin dans une autre, sous son escorte ".

Jean Sénac est un poète qui a vécu, jusqu'à son
assassinat non encore éclairci, tous les drames, les
joies et les déboires de l'algérianité. Il chante
l'amour, la liberté et la beauté avec naïveté,
grandiloquence parfois et un grand luxe d'images :
" Et maintenant nous chanterons l'amour
Car il n'y a pas de révolution sans amour ".
(Citoyens de beauté, 1967)

De même, chez Rachid Boudjedra, un roman comme La
répudiation (1969) témoigne moins de la volonté
d'exprimer les problèmes de l'actuel État algérien que
de l'ascendant encore exercé dans ce pays par la
langue et la culture françaises, objets d'un choix et
d'une prédilection chez tous les écrivains à la
recherche d'une statement universelle.

L'arabisation et la littérature

Le fait est que la longue stagnation des siècles
passés pèse actuellement sur l'effort de renouveau en
Algérie. Les habitants sont peu nombreux à lire les
poèmes et les nouvelles en langue arabe. Chez beaucoup
d'écrivains, on note un certain académisme, avec des
formes figées, des clichés, des images trop
conventionnelles.
Radio et télévision sont livrées souvent à un
discours monocorde, le présentateur se contentant de
lire son texte tandis que les rares images sont
muettes.
La plupart des journaux - El Djeich (L'Armée), El
Moudjahid, Révolution africaine, Algérie Actualité -
sont édités en arabe et en français, et la majorité
des lecteurs choisissent cette dernière langue.
Ach-Cha'b (Le Peuple), écrit uniquement en arabe, est
de diffusion très restreinte.
Le français reste la langue de travail de la majorité
des cadres, à tous les niveaux du pays. Le peuple
algérien - même arabophone - a établi un compromis
réaliste entre la langue du coeur (lughat al galb),
français ou berbère, et la langue du pain (lughat al
khobz), l'arabe exigé par les pouvoirs en place.
À part de rares exceptions, les écrivains algériens -
à la différence de leurs collègues d'Égypte ou du
Proche-Orient - restent prisonniers d'une langue et de
formes archaïques.
On a écrit, à leur sujet : " Il faut affirmer avec
force qu'en Algérie, la culture arabe est aux mains de
la plus bornée des " élites ". [...] Non d'ailleurs
que nous n'ayons quelques noms à citer et quelques
oeuvres, rares mais honorables. Mais que peuvent Ben
Haddouga et Wattar contre l'enlisement ? Pourquoi
Ahlam Mustghanmi va-t-elle publier ses poèmes à
Beyrouth et non pas à Alger ? Paix aux cendres de
l'émir Abd-al-Kadir et paix à Mûhammad Al'Id et à
Muffdi Zakaria, ils ont dit ce qu'ils avaient à dire
en des temps où il n'était pas facile de le faire.
Mais la littérature n'est ni un musée ni une maison de
retraite. Alors où sont nos jeunes poètes arabes
d'Algérie et s'ils ne répondent pas à l'appel, qui les
empêche de le faire ? (Jamel Eddine ben CHEIKH, in Les
Temps modernes, n° 375 bis, 1977).
Ajoutons qu'au théâtre, le public impose sa langue
parlée. Les pièces sont marquées par l'imitation du
répertoire français et ce sont des artistes de
formation francophone qui contribuent à son
épanouissement.

La littérature algérienne actuelle et la langue
française

Les jeunes intellectuels veulent regarder l'avenir et
refusent les formules consacrées, les poncifs
officialisés, le vocabulaire reçu. Comme le poète
marocain Abdelatif Laâbi, dans L'oeil et la nuit
(1969), ils posent la question : " Et maintenant nous
sommes exténués du passé... Mais qui sommes-nous ?
Comment sortir de la caverne ? "
Mourad Bourbonne montre, dans Le Muezzin (1968), un
messager du gai savoir qui veut retrouver l'humus
profond, " l'authentique qui a péri étouffé ". Et
Nabile Farès évoque la montée d'un monde nouveau où il
faut s'accepter mélangé, multiple, pour " redécouvrir
sa vraie peau ". Quant à Ali Bonmahdi, il raconte la
déception des combattants du F.L.N.
Une tendance nouvelle se dessine, qui met en question
société, condition humaine, religion traditionnelle,
situation de la femme. On peut citer, entre autres :
Abdallâh Chaamba, Djamila Débèche, Assia Djebar,
Haddad Hadj Ali, Abdelkader Khatibi, Tahar Ouattar,
Malek Ouary, Ahmed Sefrioui. A propos de ces
écrivains, le grand dramaturge égyptien Taoufiq El
Hakim a dit : " La production algérienne en langue
française est devenue célèbre dans le monde entier ".

Le renouveau de la littérature berbère de langue
française

Il faut dire aussi que se développent, peu à peu, des
oeuvres littéraires très marquées par la référence
kabyle et l'ancrage dans un passé culturel
pluriséculaire.
Le lyrisme de Mouloud Feraoun s'était traduit dans
ses romans simples, au réalisme émouvant, avec une
vision du monde candide qu'enseignaient les
instituteurs de son époque. Mais il y a aussi le drame
psychologique d'une jeunesse qui se débat contre la
stagnation sociale parce qu'elle a entendu l'appel
d'une civilisation répondant à ses voeux inconscients,
alors que le monde qui l'entoure est fait de passions
politiques et de haines. Dans des romans comme La
terre et le sang et Les chemins qui montent, il n'y a
pas seulement la terrible aventure passionnelle d'Amer
n'Amer, fils d'un Kabyle et d'une Française, mais
également des interrogations sur le conflit de l'Islam
et de l'Occident chrétien.
Dans l'introduction à ses Poèmes kabyles anciens,
Mouloud Mammeri insiste sur ce patrimoine berbère
s'exprimant par trois types de personnages :
le poète (Amedyaz), sensible, réceptif, qui présente
en vers, avec justesse, son époque à travers toutes
les situations vécues par ses contemporains ;
l'aède, le troubadour (Amedah), qui va de village en
village porter les paroles des poètes passés et
présents ;
le sage (Amusnaw), qui est dépositaire du passé
culturel kabyle depuis des siècles (poèmes, proverbes,
faits et gestes de personnages célèbres... ) et sait
s'en servir pour éclairer et, parfois, prendre des
décisions. (Voir Horizons, Alger, 28 février 1991).
Cette affirmation identitaire s'exprime avec passion
chez Kateb Yacine. Son roman Nedjma est un poème
d'amour et une tragédie comme les Grecs les
concevaient. Son héroïne, nommée Étoile, exprime sous
forme de mythe la tragédie de l'Algérie. Quatre jeunes
gens sont amoureux d'elle et, derrière leurs misères,
se fait jour l'humiliation des colonisés, pris entre
la présence légendaire des ancêtres et les exigences
du monde moderne, conflit que peur résoudre la dignité
restaurée d'un peuple. Dans une oeuvre au lyrisme
puissant - et derrière un nationalisme souvent de
façade - se devinent les influences de Beckett ou de
Brecht, celles du coryphée antique et toute une
culture confiante en une fraternité à redécouvrir et
un avenir qui s'annonce
" Au sein des chastes altitudes
Où le baiser surabonde en étoiles
Où la crinière commence au talon
Où le savoir est un éclair fidèle
Et l'amour une seule nuit sans mémoire ".

Dans cette littérature d'statement française, il y a
un choix et un appel de l'écrivain maghrébin,
c'est-à-dire la volonté d'exprimer les révoltes et les
conflits dans une langue, une manière de penser qu'il
admire à cause de son caractère d'universalité
Zhafit
Zhafit
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LE PROBLÈME BERBÈRE ET LA PROTECTION D'UNE CULTURE FONCIÈREMENT MÉDITERRANÉENNE Empty Re: LE PROBLÈME BERBÈRE ET LA PROTECTION D'UNE CULTURE FONCIÈREMENT MÉDITERRANÉENNE

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