Ben Hanafi : le tribun de la radio kabyle nous a quittés
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Ben Hanafi : le tribun de la radio kabyle nous a quittés
Commissaire politique, orateur durant la guerre de libération à Tiaret où il était tisserand, il devient, à l'indépendance, poète de la radio kabyle qu'il intègre en 1963. Ses nombreuses émissions ont fait beaucoup d'émules parmi des générations d'animateurs radio. Ben Hanafi nous a quittés ce dimanche 4 février à l'âge de 85 ans.
Ben Hanafi Né le 7 février 1927 à Sidi Athmane, dans la wilaya de Tizi Ouzou, Aït Tahar Mohamed, plus connu sous le célèbre et beau pseudonyme que ne prennent que les tribuns à l’écoute des saints, Ben Hanafi, est, depuis les premières années de l’indépendance de l’Algérie, le tribun de la radio kabyle, un cachetier itinérant entre son village natal qu’il n’a plus quitté depuis son retour de Tiaret où il fut commissaire politique des maquis de cette région de l’ouest algérien et sa présence assidue et discrète dans les studios d’enregistrement, accompagné, toujours et immanquablement de son groupe de jeunes collaboratrices.
Issu d’une famille de tisserands dont les membres ont investi dans le commerce de la confection à Tiaret, dans la localité de Medrissa. Ben Hanafi a sacrifié fortune et réussite personnelle pour la cause algérienne dont il ne parle qu’avec condescendance, le ton affable et le verbe nourri aux aèdes de la tradition kabyle. Il refuse le panache pour la modestie, une modestie royale qui ne cède en rien à l’exigence de la précision du verbe, de la rime, du vocable. Au maquis, Ben Hanafi était orateur ; un tribun qui sillonnait les plaines pour haranguer les foules, puisant du gynécée de sa culture orale des confins du Djurdjura, les paraboles enracinées dans la résistance algérienne à l’occupant. La vaillante Fadhma N’Soumeur, les chefs de l’insurrection agraire de 1871, cheikh Aheddad, son fils Aziz déporté, Ben Abderrahmane El Burnoussi Bou Qabrine, de la confrérie Errahmania de Bounouh, à Draâ El Mizan, sont ses références historiques et son inspiration poétique. La mémoire vive, comme aux aguets de l’oubli et des amnésies ambiantes, il peut réciter un poème épique ou élégiaque sur la résistance de Fadhma N’Soumeur qu’il tient de ses grands-parents. Ce conteur averti et passionné de l’histoire de la résistance paysanne à l’occupant, semble plus écrire dans sa mémoire que sur du papier ou dans ses joutes poétiques à la radio.
Orateur, Ben Hanafi l’est resté. Dans une conversation anodine, de tous les jours, aux propos insipides, il prend à la volée une situation, une phrase, un geste pour, tel un conteur des places publiques et des marchés, il attire foule par ses paraboles, ses dictons, ses belles tournures poétiques : "J’étais orateur au maquis, je suis devenu poète à l’indépendance" Ben Hanafi voit en l’orateur des qualités de persuasion ; il est face à la foule alors que le poète, au contraire de la poigne et de la fermeté, inquiète. Il en a connu, de célèbres orateurs, comme Ferhat Abbas qu’il a rencontré à Mayot en 1948 au temps du parti de l’UDMA, le Docteur Saâdane. Arrêté et incarcéré, il forge sa puissance du verbe au contact de la ténacité de ces figures emblématiques de la résistance algérienne. Il aime à rappeler le propos de Ferhat Abbas :"L’Europe craint deux nations: la Turquie et l’Algérie". Ben Hanafi, sur ce passé, n’en tire aucune gloriole, ni pension d’ancien moudjahid et de l'indépendance aucune rente, aucun salaire, aucune couverture sociale, si ce n'est un modique cachet de producteur conventionné. Le seul document officiel en sa possession depuis peu, c’est une carte d’identité.
Le devoir accompli et l’indépendance recouvrée, Ben Hanafi regagne Alger et son coin natal. L’orateur des maquis cède la place au conteur de l’histoire et au poète des temps modernes, qui va puiser son verbe, ses octosyllabes, dans l’oralité du folklore kabyle. S’il y a un maître mot cher à Ben Hanafi, c’est le "folklore" qu’il oppose au "moderne" et à tout autre qualificatif pétaradant. Il en pèse et sait sa valeur sémantique au contact du célébrissime musicologue Mohamed Iguerbouchène. A la radio, il est rentré grâce à la poésie, à l’art et non par les relations. Il s’en souvient : "Je me suis présenté à la radio devant Mohamed Hilmi et Ahmed Aïman. Je leur ai lu deux poèmes et depuis, je suis toujours là, producteur hebdomadaire. L’un des poèmes s’intitule Leqlam Ajdid (nouvelle plume), un poème révolutionnaire, patriotique, de mon cru, dans lequel la référence idoine est notre héroïne, Lalla Fadhma N’Soumeur." C’est sans doute la première fois que cette figure légendaire et néanmoins de chair et de sang, apparaît dans la poésie kabyle de la période de la post-indépendance. Cette icône reviendra quelques années dans l’une des plus belles œuvres artistiques de Ben Hanafi, jamais réalisée à ce jour avec autant d’abnégation et d’ardeur : "Tulas n Fadhma N’Soumeur", ces lycéennes des lycées El Khansa et Fadhma n'Soumeur de Tizi–Ouzou vont succéder à l’émission des chants traditionnels des voix pionnières de la radio Berthezène et faire jonction avec la revendication amazighe aux portes des années 1980. : "J’en ai trouvé quelques belles ritournelles dans le recueil de Hanoteau" précise-t-il. Mais, à la différence de leurs aînées qui sont restées à Alger - Lla Yamina, Lla Zina, Lla Ounassa et plus tard Cherifa, les lycéennes de Tizi-Ouzou, venues à l’insu de leurs parents sont reparties accompagnées par Ben Hanafi après avoir enregistré à la radio kabyle dans la même journée. Un aller-retour, Tizi Ouzou-Alger, Alger-Tizi-Ouzou mais de ce court voyage naîtront des voix fraîches, modernes ; couplées à la tradition de l’"ourar" (chant de fête). Une autre esthétique vocale, qui n’a rien à voir avec les litanies et les complaintes de la meunière naîtront en cette fin des années 1970 sur les ondes de la chaîne II.
De ce groupe féminin précurseur naîtra la trublion Malika Domrane et constituera le levain de l’éveil de la conscience et de la revendication identitaire amazigh des débuts des années mille neuf cent soixante-dix, dans l’ambiance estudiantine de l’Académie berbère de Paris et de la chaire berbère à la fac centrale d’Alger de Mouloud Mammeri. Ben Hanafi, comme lorsqu’il évoque la révolution, parle avec humilité de sa formation féminine Tulas n Fadhma N'Soumeur : "Ce n’est pas moi qui leur ai donné ce nom, c’est venu comme cela. Il faut rappeler que c’est grâce à Zoher Abdellatif, alors directeur de la radio à l’époque, que j’avais pris contact avec Mesdames Tafet, Azzem et Boubrit, alors proviseurs de lycées et directrices d’Ecole normale. Nous répétions à Tizi Ouzou, à El Khansa, dans la plus complète discrétion. 45 filles issues des deux lycées, El Khansa et Fadhma N’Soumeur apprenaient et répétaient des chants que j’avais choisis. Le jour J de l’enregistrement à Alger, Medjahed Mohamed et moi-même louâmes deux fourgons. Arrivés à la RTA, nous constituâmes deux chorales, chacune représentant son lycée. L’enregistrement a duré une quarantaine de minutes et nous revînmes dans les mêmes conditions à Tizi-Ouzou. La cheville ouvrière du lycée Fadhma N'Soumeur était Dahbia Aït Abdeslam. De ce groupe, je me souviens de Kati Aldjia, Chetouhi Saliha, Djoudi Saliha et bien sûr de Malika Domrane qui m’appelle aujourd’hui Amghar Azemni (le vieux de la vieille, NDLR) comme si j’étais sorti d’un conte !". Pour souligner l’onde de choc produite auprès des auditeurs dès la diffusion de ces chants chorales par la chaîne II, Ben Hanafi se fait, cette fois, affirmatif et il est vain d’apporter une quelconque contradiction ou de polémiquer sur ce sujet : "Sans cette chorale, il n’y aurait pas eu de chansons kabyles, proprement kabyles dans le genre ourar que j’ai voulu réhabiliter dans une forme rajeunie"
Parallèlement, le tribun toujours accompagné de "ses filles", des lycéennes, universitaires, enchaîne à la radio émission sur émission ; des émissions qui feront date dans l’histoire de la production radiophonique de création : il est le fondateur de l’émission enfantine dont il se verra dessaisi par les responsables : "On m’a signifié d’arrêter cette émission. Je suppose qu’ils (les responsables) voyaient d’un mauvais œil que j’inculque aux enfants notre culture et notre langue". Il y avait dans cette émission Nouara, Mouloud Habib alors enfants. L’intitulé de cette émission pourrait faire sourire aujourd’hui : Tibhirin, ijedjigan, aman issemadhen, noiuba nwen ay ilmezyen" (Jardins, fleurs, eau fraîche, c'est votre tour d'en profiter, les enfants!). Il y eut par la suite "Nouba g amjuhad", consacrée à la guerre de libération et "Tudrin n leqbayel" (La place du village). Ces trois émissions resteront conceptuelles à la chaine II et certaines obtiendront des prix avec d’autres producteurs animateurs.
Tuksa n lxiq est son émission actuelle. Il l’enregistre le vendredi en mi-journée avec "ses filles" et elle est diffusée le jour même en soirée. Ces émissions de 27 minutes ont introduit à la chaine II une approche moderne du temps d’occupation de l’antenne. En 27 minutes, trois voix féminines, la sienne, et une chanson. Qui peut faire mieux dans une brièveté qui charme et captive les auditeurs : "Je ne voudrais pas que les auditeurs éteignent leur poste radio par ennui. Je vais à l’essentiel. J’écris tout ce qui est dit." Voilà le mot clé. L’écriture de contes gnomiques théâtralisés, poétisés, dits dans un kabyle succulent, loin des artifices de cette langue tamazight, inodore et incolore. Mais sa particularité reste la préparation écrite de ses émissions sur des cahiers d’écoliers et la distribution des temps d’antenne aux jeunes filles qui travaillent avec lui dans la rigueur et la discipline.
Ben Hanafi n’a pas une seule corde à son arc et un seul genre dans son art. Ses fréquentations intellectuelles avec les étudiants de Ben Aknoun à la fin des années soixante-dix lui feront rencontrer Idir qui chantera l’un de ses poèmes "Iw azgar di djane lemtal…" (les dits du boeuf) : "Je ne lui ai pas composé ce poème. Je l’ai lu dans une soirée, il lui a plu et il l’a chanté. Moi, je compose et chante ce que je veux." Il croise Mouloud Mammeri et s’élève contre l’interdiction de la conférence à Tizi Ouzou sur Les poèmes kabyles anciens. Il a condamné au début des années soixante l’interdiction faite à un livre de Mohamed Iguerbouchène, saisi sous presse, intitulé A travers les montagnes du Djurdjura. La parole de l’orateur qu’il fut à Tiaret lui manque. Il se lance dans l’animation de galas et sillonne la Kabylie, "Bejaia surtout". Avec Lounis Aït Menguellet, Athmani, Mouloud Habib, Dalil Omar, Aït Meslayen, durant une dizaine d’années.
Ben Hanafi a récemment édité un CD chez Tadukli Editions. Sur la jaquette, il est qualifié de "Un homme historique de la culture berbère." Son titre, "Ad nnedj awal skud ur nezdigh akal" (Nous laisserons une parole avant la mort), regroupe, avec la participation d’une de "ses filles" Tiziri, six titres : "Boulifa", "Si Mohand" ; "Adrar Taddart", "Isefra", "Amezruy", "tenna yi yemma et Nekkenti". Une jeune animatrice de la chaîne II et réalisatrice de ses émissions, lui a consacré un opus biographique.
Ce bout d’homme, pas plus haut que trois pommes, une boule d’énergie et un réservoir inépuisable de créations, a fait son chemin hors des sentiers battus et des autoroutes officielles. Un maquisard du verbe pour plagier Kateb Yacine.
Vendredi dernier, jour de l’enregistrement de son émission, comme de coutume, depuis un demi-siècle, il venait de son village de Ouacifs à Alger, à bord d’une fourgonnette de location pour un aller-retour. Il avait 85 ans.
Rachid Mokhtari
Ben Hanafi Né le 7 février 1927 à Sidi Athmane, dans la wilaya de Tizi Ouzou, Aït Tahar Mohamed, plus connu sous le célèbre et beau pseudonyme que ne prennent que les tribuns à l’écoute des saints, Ben Hanafi, est, depuis les premières années de l’indépendance de l’Algérie, le tribun de la radio kabyle, un cachetier itinérant entre son village natal qu’il n’a plus quitté depuis son retour de Tiaret où il fut commissaire politique des maquis de cette région de l’ouest algérien et sa présence assidue et discrète dans les studios d’enregistrement, accompagné, toujours et immanquablement de son groupe de jeunes collaboratrices.
Issu d’une famille de tisserands dont les membres ont investi dans le commerce de la confection à Tiaret, dans la localité de Medrissa. Ben Hanafi a sacrifié fortune et réussite personnelle pour la cause algérienne dont il ne parle qu’avec condescendance, le ton affable et le verbe nourri aux aèdes de la tradition kabyle. Il refuse le panache pour la modestie, une modestie royale qui ne cède en rien à l’exigence de la précision du verbe, de la rime, du vocable. Au maquis, Ben Hanafi était orateur ; un tribun qui sillonnait les plaines pour haranguer les foules, puisant du gynécée de sa culture orale des confins du Djurdjura, les paraboles enracinées dans la résistance algérienne à l’occupant. La vaillante Fadhma N’Soumeur, les chefs de l’insurrection agraire de 1871, cheikh Aheddad, son fils Aziz déporté, Ben Abderrahmane El Burnoussi Bou Qabrine, de la confrérie Errahmania de Bounouh, à Draâ El Mizan, sont ses références historiques et son inspiration poétique. La mémoire vive, comme aux aguets de l’oubli et des amnésies ambiantes, il peut réciter un poème épique ou élégiaque sur la résistance de Fadhma N’Soumeur qu’il tient de ses grands-parents. Ce conteur averti et passionné de l’histoire de la résistance paysanne à l’occupant, semble plus écrire dans sa mémoire que sur du papier ou dans ses joutes poétiques à la radio.
Orateur, Ben Hanafi l’est resté. Dans une conversation anodine, de tous les jours, aux propos insipides, il prend à la volée une situation, une phrase, un geste pour, tel un conteur des places publiques et des marchés, il attire foule par ses paraboles, ses dictons, ses belles tournures poétiques : "J’étais orateur au maquis, je suis devenu poète à l’indépendance" Ben Hanafi voit en l’orateur des qualités de persuasion ; il est face à la foule alors que le poète, au contraire de la poigne et de la fermeté, inquiète. Il en a connu, de célèbres orateurs, comme Ferhat Abbas qu’il a rencontré à Mayot en 1948 au temps du parti de l’UDMA, le Docteur Saâdane. Arrêté et incarcéré, il forge sa puissance du verbe au contact de la ténacité de ces figures emblématiques de la résistance algérienne. Il aime à rappeler le propos de Ferhat Abbas :"L’Europe craint deux nations: la Turquie et l’Algérie". Ben Hanafi, sur ce passé, n’en tire aucune gloriole, ni pension d’ancien moudjahid et de l'indépendance aucune rente, aucun salaire, aucune couverture sociale, si ce n'est un modique cachet de producteur conventionné. Le seul document officiel en sa possession depuis peu, c’est une carte d’identité.
Le devoir accompli et l’indépendance recouvrée, Ben Hanafi regagne Alger et son coin natal. L’orateur des maquis cède la place au conteur de l’histoire et au poète des temps modernes, qui va puiser son verbe, ses octosyllabes, dans l’oralité du folklore kabyle. S’il y a un maître mot cher à Ben Hanafi, c’est le "folklore" qu’il oppose au "moderne" et à tout autre qualificatif pétaradant. Il en pèse et sait sa valeur sémantique au contact du célébrissime musicologue Mohamed Iguerbouchène. A la radio, il est rentré grâce à la poésie, à l’art et non par les relations. Il s’en souvient : "Je me suis présenté à la radio devant Mohamed Hilmi et Ahmed Aïman. Je leur ai lu deux poèmes et depuis, je suis toujours là, producteur hebdomadaire. L’un des poèmes s’intitule Leqlam Ajdid (nouvelle plume), un poème révolutionnaire, patriotique, de mon cru, dans lequel la référence idoine est notre héroïne, Lalla Fadhma N’Soumeur." C’est sans doute la première fois que cette figure légendaire et néanmoins de chair et de sang, apparaît dans la poésie kabyle de la période de la post-indépendance. Cette icône reviendra quelques années dans l’une des plus belles œuvres artistiques de Ben Hanafi, jamais réalisée à ce jour avec autant d’abnégation et d’ardeur : "Tulas n Fadhma N’Soumeur", ces lycéennes des lycées El Khansa et Fadhma n'Soumeur de Tizi–Ouzou vont succéder à l’émission des chants traditionnels des voix pionnières de la radio Berthezène et faire jonction avec la revendication amazighe aux portes des années 1980. : "J’en ai trouvé quelques belles ritournelles dans le recueil de Hanoteau" précise-t-il. Mais, à la différence de leurs aînées qui sont restées à Alger - Lla Yamina, Lla Zina, Lla Ounassa et plus tard Cherifa, les lycéennes de Tizi-Ouzou, venues à l’insu de leurs parents sont reparties accompagnées par Ben Hanafi après avoir enregistré à la radio kabyle dans la même journée. Un aller-retour, Tizi Ouzou-Alger, Alger-Tizi-Ouzou mais de ce court voyage naîtront des voix fraîches, modernes ; couplées à la tradition de l’"ourar" (chant de fête). Une autre esthétique vocale, qui n’a rien à voir avec les litanies et les complaintes de la meunière naîtront en cette fin des années 1970 sur les ondes de la chaîne II.
De ce groupe féminin précurseur naîtra la trublion Malika Domrane et constituera le levain de l’éveil de la conscience et de la revendication identitaire amazigh des débuts des années mille neuf cent soixante-dix, dans l’ambiance estudiantine de l’Académie berbère de Paris et de la chaire berbère à la fac centrale d’Alger de Mouloud Mammeri. Ben Hanafi, comme lorsqu’il évoque la révolution, parle avec humilité de sa formation féminine Tulas n Fadhma N'Soumeur : "Ce n’est pas moi qui leur ai donné ce nom, c’est venu comme cela. Il faut rappeler que c’est grâce à Zoher Abdellatif, alors directeur de la radio à l’époque, que j’avais pris contact avec Mesdames Tafet, Azzem et Boubrit, alors proviseurs de lycées et directrices d’Ecole normale. Nous répétions à Tizi Ouzou, à El Khansa, dans la plus complète discrétion. 45 filles issues des deux lycées, El Khansa et Fadhma N’Soumeur apprenaient et répétaient des chants que j’avais choisis. Le jour J de l’enregistrement à Alger, Medjahed Mohamed et moi-même louâmes deux fourgons. Arrivés à la RTA, nous constituâmes deux chorales, chacune représentant son lycée. L’enregistrement a duré une quarantaine de minutes et nous revînmes dans les mêmes conditions à Tizi-Ouzou. La cheville ouvrière du lycée Fadhma N'Soumeur était Dahbia Aït Abdeslam. De ce groupe, je me souviens de Kati Aldjia, Chetouhi Saliha, Djoudi Saliha et bien sûr de Malika Domrane qui m’appelle aujourd’hui Amghar Azemni (le vieux de la vieille, NDLR) comme si j’étais sorti d’un conte !". Pour souligner l’onde de choc produite auprès des auditeurs dès la diffusion de ces chants chorales par la chaîne II, Ben Hanafi se fait, cette fois, affirmatif et il est vain d’apporter une quelconque contradiction ou de polémiquer sur ce sujet : "Sans cette chorale, il n’y aurait pas eu de chansons kabyles, proprement kabyles dans le genre ourar que j’ai voulu réhabiliter dans une forme rajeunie"
Parallèlement, le tribun toujours accompagné de "ses filles", des lycéennes, universitaires, enchaîne à la radio émission sur émission ; des émissions qui feront date dans l’histoire de la production radiophonique de création : il est le fondateur de l’émission enfantine dont il se verra dessaisi par les responsables : "On m’a signifié d’arrêter cette émission. Je suppose qu’ils (les responsables) voyaient d’un mauvais œil que j’inculque aux enfants notre culture et notre langue". Il y avait dans cette émission Nouara, Mouloud Habib alors enfants. L’intitulé de cette émission pourrait faire sourire aujourd’hui : Tibhirin, ijedjigan, aman issemadhen, noiuba nwen ay ilmezyen" (Jardins, fleurs, eau fraîche, c'est votre tour d'en profiter, les enfants!). Il y eut par la suite "Nouba g amjuhad", consacrée à la guerre de libération et "Tudrin n leqbayel" (La place du village). Ces trois émissions resteront conceptuelles à la chaine II et certaines obtiendront des prix avec d’autres producteurs animateurs.
Tuksa n lxiq est son émission actuelle. Il l’enregistre le vendredi en mi-journée avec "ses filles" et elle est diffusée le jour même en soirée. Ces émissions de 27 minutes ont introduit à la chaine II une approche moderne du temps d’occupation de l’antenne. En 27 minutes, trois voix féminines, la sienne, et une chanson. Qui peut faire mieux dans une brièveté qui charme et captive les auditeurs : "Je ne voudrais pas que les auditeurs éteignent leur poste radio par ennui. Je vais à l’essentiel. J’écris tout ce qui est dit." Voilà le mot clé. L’écriture de contes gnomiques théâtralisés, poétisés, dits dans un kabyle succulent, loin des artifices de cette langue tamazight, inodore et incolore. Mais sa particularité reste la préparation écrite de ses émissions sur des cahiers d’écoliers et la distribution des temps d’antenne aux jeunes filles qui travaillent avec lui dans la rigueur et la discipline.
Ben Hanafi n’a pas une seule corde à son arc et un seul genre dans son art. Ses fréquentations intellectuelles avec les étudiants de Ben Aknoun à la fin des années soixante-dix lui feront rencontrer Idir qui chantera l’un de ses poèmes "Iw azgar di djane lemtal…" (les dits du boeuf) : "Je ne lui ai pas composé ce poème. Je l’ai lu dans une soirée, il lui a plu et il l’a chanté. Moi, je compose et chante ce que je veux." Il croise Mouloud Mammeri et s’élève contre l’interdiction de la conférence à Tizi Ouzou sur Les poèmes kabyles anciens. Il a condamné au début des années soixante l’interdiction faite à un livre de Mohamed Iguerbouchène, saisi sous presse, intitulé A travers les montagnes du Djurdjura. La parole de l’orateur qu’il fut à Tiaret lui manque. Il se lance dans l’animation de galas et sillonne la Kabylie, "Bejaia surtout". Avec Lounis Aït Menguellet, Athmani, Mouloud Habib, Dalil Omar, Aït Meslayen, durant une dizaine d’années.
Ben Hanafi a récemment édité un CD chez Tadukli Editions. Sur la jaquette, il est qualifié de "Un homme historique de la culture berbère." Son titre, "Ad nnedj awal skud ur nezdigh akal" (Nous laisserons une parole avant la mort), regroupe, avec la participation d’une de "ses filles" Tiziri, six titres : "Boulifa", "Si Mohand" ; "Adrar Taddart", "Isefra", "Amezruy", "tenna yi yemma et Nekkenti". Une jeune animatrice de la chaîne II et réalisatrice de ses émissions, lui a consacré un opus biographique.
Ce bout d’homme, pas plus haut que trois pommes, une boule d’énergie et un réservoir inépuisable de créations, a fait son chemin hors des sentiers battus et des autoroutes officielles. Un maquisard du verbe pour plagier Kateb Yacine.
Vendredi dernier, jour de l’enregistrement de son émission, comme de coutume, depuis un demi-siècle, il venait de son village de Ouacifs à Alger, à bord d’une fourgonnette de location pour un aller-retour. Il avait 85 ans.
Rachid Mokhtari
rebelle kabyle- Nombre de messages : 6838
Date d'inscription : 12/02/2011
Re: Ben Hanafi : le tribun de la radio kabyle nous a quittés
http://www.lematindz.net/news/7529-ben-hanafi-le-tribun-de-la-radio-kabyle-nous-a-quittes.html
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