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Entretien avec la romancière algérienne Malika Mokeddem

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Entretien avec la romancière algérienne Malika Mokeddem Empty Entretien avec la romancière algérienne Malika Mokeddem

Message  laic-aokas Mar 21 Juin - 17:53

«La mer, mon autre désert»




Autour de son dernier roman et de divers sujets d’actualités ou non, l’écrivaine se livre.

- Vos livres ont souvent pour cadre Montpellier où vous vivez, et le désert algérien où vous êtes née et avez grandi. Cette fois-ci, vous prenez la mer…
Mon besoin de la Méditerranée et de ses lumières m’a fait quitter Paris pour Montpellier. A mon insu, la nécessité de l’espace me restait chevillée au corps. La mer est devenue mon autre désert ; un désert assouvi, celui-là, à l’inverse des immensités de mon enfance et de mon adolescence qui ne reflétaient jamais que l’enfermement et la privation. A Montpellier, je suis devenue navigatrice. J’ai apprivoisé des horizons qui m’ont restitué ceux du désert comme je ne les avais jamais vécus. J’ai appris à aimer le désert en pleine mer. Et c’est alors seulement que j’ai pu l’écrire. «Mer et désert, je fonds et les confonds en une même image, la blessure lumineuse de ma liberté», ai-je noté aux balbutiements de l’écriture. J’ai déjà commis un autre texte de navigatrice, N’zid (Seuil, 2001). La Méditerranée fait partie de mon univers. Elle est très présente dans la plupart de mes livres. Elle donne tout son souffle à La Désirante.
- La Désirante après L’Interdite en 1993. La femme se serait-elle plus affirmée ?
Dans L’Interdite, Sultana, le personnage principal, a le même caractère trempé que la Shamsa de La Désirante. Mais les deux textes expriment des trajectoires inverses. La mort de son grand amour propulse
Sultana vers ce désert qu’elle avait fui. Shamsa prend la mer avec la détermination de retrouver son compagnon vivant. Et c’est la vie qui triomphe à l’issue d’une traversée dans La Désirante. J’ai écrit L’Interdite au début de la tragédie algérienne des années quatre-vingt-dix tandis que La Désirante sort pour «le printemps arabe». Un journaliste montpelliérain m’a dit que «le concentré de volonté et d’énergie» de mon dernier livre avait «dégoupillé» celles de la rive sud. J’aurais aimé le croire. Mais cette concomitance est-elle totalement fortuite ? D’autant que l’intrigue du roman se dénoue entre Tunisie, Libye et Italie…
- Depuis le début, votre combat pour l’émancipation de la femme n’a jamais failli. Comment voyez-vous le statut de la femme en 2011 ?
Il est très divers selon les contrées. Des femmes sont maintenant ministres, présidentes de la République, ici ou là, alors que d’autres restent encore réduites à l’esclavage. Quoi qu’il en soit, leur statut demeure le meilleur indicateur de l’évolution des sociétés. Encore que l’émancipation de quelques-unes peut voisiner avec l’oppression de leur majorité, voire lui servir d’alibi et ce, dans le même pays.



- En Algérie, des femmes ne sont-elles pas ministres, cadres de haut rang de l’administration ou du secteur privé, en demeurant des sous-individus dans le Code de la Famille, soit aux yeux de la loi ?
Le président Bouteflika nous a longtemps fait miroiter un projet de réforme de cette loi infâme, dont nous attendions l’abrogation, pour finir par une lamentable machination : deux ou trois retouches… Mais grâce à la scolarisation obligatoire des enfants, les filles de ce pays se sont engouffrées dans la seule brèche qui leur était ouverte. Elles se sont emparées du savoir, ont conquis l’espace public. Là où le bât blesse, c’est que la mainmise des intégristes sur l’enseignement, trente ans durant, laisse de lourdes séquelles. La bigoterie de beaucoup de femmes, de l’intérieur de l’Algérie notamment, relève du crétinisme. Ce sont celles-là qui s’arrogent le droit de mettre à l’index les filles qui osent envoyer au diable la camisole de leurs traditions et leur tartuferie. Il faudra du temps pour qu’une qualité restaurée de l’enseignement parvienne à débarrasser le pays de ces entraves. Le souffle rafraîchissant qui provient de la Tunisie pourra-t-il aider les Algériens à se délivrer de l’infernal attelage religion/corruption ?
- On ne vous a pas entendue lors des débats, ici, en France, sur la burqa. Pourquoi ce retrait sinon ce recul ?
J’ai fait partie des premières signataires, dans le magazine Elle, de la pétition demandant une loi pour interdire le port du foulard au sein de l’école. Il s’agissait alors de préserver un lieu de laïcité, l’école, et des jeunes filles qui n’avaient pas encore leur majorité. Mais la mascarade de ces femmes revendiquant le port de l’uniforme intégriste, c’était trop exaspérant pour moi. Je ne me suis jamais rendue dans les Etats du Golfe à cause de leurs régimes pourris et pour n’avoir pas à côtoyer ces femmes corbeaux. Mon propos aurait été tellement dur et sa récupération facile par l’extrême droite française… Un écrivain n’est pas obligé de toujours «réagir». Du reste, la meilleure façon de combattre les archaïsmes, c’est d’offrir à mes lecteurs des héroïnes dont les aspirations sont aux antipodes. Si, pour moi, écrire est un acte éminemment politique, il m’engage pour la vie. Et la réflexion exige souvent un retrait de la gesticulation des pouvoirs en place afin de livrer, dans un roman, la complexité de l’Histoire, ses nuances, ses avancées comme ses reculades.
- Que dites-vous à ceux qui pensent que vous avez une écriture féministe ?
J’ai été nourrie par les textes d’écrivains des deux sexes. Leurs livres ont jalonné mon parcours, m’ont portée dans nombre de difficultés. Je suis préoccupée par toutes les injustices, les privations de libertés. Il se trouve que les femmes en sont les plus grandes victimes. Des victimes hélas parfois consentantes et même partie prenante. Pourquoi dit-on «écrivain engagé» lorsqu’il s’agit d’un homme, et «féministe» lorsqu’il qu’il s’agit d’une femme ? Je connais pourtant des hommes écrivains et féministes. Et mon écriture comporte aussi une peinture de la société dans sa globalité, une charge politique, historique. Je ne renie rien du féminisme auquel nous devons tant d’acquis. Je soupçonne seulement que des esprits chagrins n’appliquent ce qualificatif à une femme que pour la reléguer à l’arrière-banc des écrivains. D’ailleurs, dans mon prochain livre, je me mets dans la peau de deux hommes.
- Votre travail littéraire consiste en partie à vous tenir à l’écoute du monde. Qu’évoque pour vous le printemps arabe ?
J’ai été ivre de bonheur et scotchée à l’info pendant trois mois. J’ai été corps et âme dans la fulgurance de ce mouvement massif qui a déboulonné des tyrans, des clichés, des préjugés de plomb et, très vite, atteint des exigences d’une maturité inouïe ! Après l’ère des indépendances confisquées voici, enfin, celle des libertés et du droit. Certes, le chemin vers la démocratie sera encore ardu. Et il y aura encore des écueils, des soubresauts des pouvoirs anciens. Mais d’autres dictateurs tremblent déjà. C’est la plus belle nouvelle depuis des décennies.
Repères :

Née le 5 octobre 1949, à Kenadsa (wilaya de Béchar, sud-ouest algérien), cette brillante élève a effectué ses études de médecine à l’université d’Oran avant de les poursuivre à Paris et devenir spécialiste en néphrologie. En 1979, elle s’installe à Montpellier et exerce sa profession jusqu’en 1985, année où elle décide de se consacrer exclusivement à l’écriture littéraire.

Avec d’autres types de publications (ouvrages collectifs, beaux livres…), sa bibliographie est d’abord celle d’une romancière : Les Hommes qui marchent (Ramsay, 1990) ; Le Siècle des sauterelles (Ramsay, 1992) ; L’Interdite (1993) qui marque le véritable essor de sa popularité ; Des rêves et des assassins (1995) ; La Nuit de la lézarde (1998) ; N’zid (Seuil, 2001) ; La Transe des insoumis (2003) ; Mes hommes (2005) ; Je dois tout à ton oubli (2008) ; enfin La Désirante paru cette année. (Tous les derniers titres cités sont publiés chez son éditeur actuel, Grasset). Malika Mokeddem a obtenu plusieurs prix et distinctions. Son premier roman, Les Hommes qui marchent, lui vaut en 1990 une reconnaissance initiale, récompensée par le Prix Littré du Festival du Premier roman de Chamberry, de même que le prix de la Fondation Noureddine Abba.

Le second, Le Siècle des sauterelles, reçoit en 1992 le Prix Afrique-Méditerranée de l’Association des écrivains de langue française. Mais c’est avec le troisième, L’Interdite, Prix Méditerranée 1994, que sa popularité littéraire et médiatique prend son essor. L’ouvrage, édité en format de poche, a connu des ventes appréciables. Auteur de l’interview, notre confrère, Rémi Yacine (Bureau de Paris), affirme plaisamment : «Sans concession, Malika Mokeddem nous rappelle, livre après livre, que les hommes sont des femmes comme les autres.

Ou le contraire. Que l’égalité entre les deux sexes est un combat permanent. Que le relativisme est déjà une première lâcheté. Son dernier livre, La Désirante, nous renvoie à notre humanité. Rien n’est écrit, la fatalité est une aberration asservissante».



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Message  laic-aokas Mar 21 Juin - 17:53

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