Le charlatanisme a le vent en poupe

Un entrefilet, où s'allient parfaitement la rage de dénonciation et l'humour sarcastique, est passé dans notre supplément de Tamazight de lundi dernier. Néanmoins, dans le cas qui nous occupe, la gravité du contenu dépasse les blandices du style. Et pour cause, le sujet est loin d'être anodin, même s'il fait malheureusement partie presque toujours de notre quotidienneté stressante. Sous le titre "Init-asen isendyak-nni n kif, wwdhen-d gher Bgayet!", évoquant un passage d'une chanson du grand poète Aït Menguellet, l'auteur de l'article s'est intéressé à la distribution de certains documents dans quelques restaurants de Béjaïa portant sur des "orientations" religieuses, sous forme de fatwas venant de Riyad, capitale Saoudienne. Ces "conseils" sont inhérents à la vigilance qu'il y a lieu de développer en direction des femmes (épouse, sœur,…) dans leur conduite quotidienne, sachant que, pour ces prêcheurs, les femmes ne se "maîtrisent" pas ! On revient également sur l'origine des séismes qui seraient des avertissements de Dieu par lesquels il tient à montrer son pouvoir et son omnipotence.  Le premier sujet, celui de la surveillance des femmes, est devenu plus que galvaudé. Il a occupé, de façon malsaine et hystérique, les prêches dans les mosquées, les discussions dans les établissements scolaires et les cancans dans les trolleys. La psychanalyse serait sans doute d'une certaine utilité pour sonder ce qui trotte dans la tête de ceux qui font de ce sujet leur repas de chaque jour. Quant au second point, celui des séismes, il intéresse au plus au point les Algériens depuis au moins une année. La répétitivité des secousses à Hammam Melouane (wilaya de Blida), depuis le séisme principal de 2013, a fait couler beaucoup d'encre et de salive, après avoir semé inutilement la panique au sein des populations. Une panique nourrie par des imams ou certains pseudo-muftis qui relient directement ce phénomène naturel au comportement des hommes, les citoyens de la région, qui serait "immoral et dépravé". L'on se serait rabattu sur le classique argument de l'ignorance scientifique des imams et on fermerait les yeux (et les oreilles) si certains responsables officiels ne reprenaient pas les mêmes explications. Eux, s'ils versent dans de telles turpitudes, c'est essentiellement pour se dérober de leur responsabilité en matière de qualité des constructions et de l'obligation de relogement des sinistrés. Le burlesque et l'absurde ne s'arrêtent pas en si bon chemin, puisqu'une autre explication, sans doute la plus déstabilisatrice, est venue se greffer à ces déjà nombreuses divagations. Il s'agit de ce pseudo-scientifique qui, après avoir vainement tenté de placer le méridien zéro à la Mecque- en remplacement de Greenwich-, a semé la panique chez les populations en leur expliquant, à travers certaines feuilles de choux qui lui ouvrent les tribunes, que les tremblements de terres sont liés aux saisons, à la chaleur, à la forte pluviométrie, à la sécheresse et à la pression des eaux souterraines. C'est-à-dire, toutes les causes sauf celle connue dans les livres de géologie, à savoir la tectonique des plaques. Après Hammam Melouane, ce sont les habitants de la région de Merouana, dans la wilaya de Batna, qui sont les nouvelles "victimes", non pas des dernières secousses légères enregistrées au début du mois de mars, mais des élucubrations de ce personnage qui avait postulé, en avril 2014, à la candidature à la présidence de la République. Il n'avait pu récolter que quelques signatures. Refusant de se maintenir dans l'anonymat de laboratoire- puisqu'il est fonctionnaire et émargeant au budget de l'État-, il tire un malin plaisir à semer la psychose et la panique chez des populations déjà frappées par le sort, comme il jubile à trôner sur les pages de journaux en annonçant des séismes ravageurs au cours des mois prochains. Son chef hiérarchique, directeur de centre de recherche, l'a dénoncé publiquement en le qualifiant de charlatan et en appelant les populations à ne pas ajouter foi à ses déclarations. Vous vous imaginez le poids combiné, la masse critique, de ces trois acteurs- les religieux, les bureaucrates et les charlatans- dans la société, lorsqu'ils se livrent à des explications fatalistes, farfelues ou alarmantes des phénomènes telluriques ! Même la dernière éclipse solaire n'a pas échappé à ces porteurs d'obscurité, expliquant le phénomène par la "dépravation" de la société algérienne. Il est vrai que la bêtise n'a pas de limite, puisque, en février 2015, un certain cheikh Saoudien, Al-Bandar Khaibari, a "démontré" que la terre ne tourne pas ! Il ne s'est même pas posé la question comment le satellite qui transmet cette hérésie, via la télévision, a été réglé pour qu'il suive exactement la vitesse de la terre; autrement, sa bêtise ne parviendrait pas au public. L'administration de Nilsat ne l'a sans doute pas informé de ce détail technique. L'on se souvient aussi de ce séisme qui a frappé le Caire en octobre 1992, faisant plusieurs centaines de morts. Un charlatan affairiste a conçu de petits billets, sort de "Sokok El Ghofran" (indulgences) qu'il vendait au petit peuple du Caire, en leur annonçant que, d'ici quelques semaines un séisme plus grand secouerait leur ville, et que ceux qui achèteraient ses indulgences seraient sauvés. En quelques jours, il fit fortune et prit la poudre d'escampette. Il en est ainsi lorsque la religion est mise à "toutes les sauces", lorsque l'école est plongée dans un "parcoeurisme" ravageur, lorsque les médias ne jouent pas le jeu du service public et lorsque la science et la vulgarisation scientifique se sentent en terre étrangère.