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Boualem Sansal privé du Prix du roman arabe

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Boualem Sansal privé du Prix du roman arabe Empty Boualem Sansal privé du Prix du roman arabe

Message  Azul Dim 17 Juin - 17:21

Boualem Sansal a obtenu cette année le Prix du roman arabe. Or, à la suite de son voyage en Israël du 13 au 17 mai pour la troisième édition du Festival international des écrivains à Jérusalem, dont il était l'invité d'honneur, le Conseil des ambassadeurs arabes qui ont créé ce prix à Paris a pris la décision, contre l'avis du jury, de ne pas le lui attribuer le 6 juin.

Boualem Sansal porte en lui cette chose rare en littérature : une puissance littéraire enveloppée d'une suavité qui vous pénètre d'un charme poignant et persiste en vous, pour toujours. Ecrivain algérien, ses personnages ne sont que les facettes de son être sensitif et doux, des êtres traversés du malheur de l'histoire, du frisson de pitié pour la condition humaine, livrée à l'abandon des siens, de ses proches, de leurs Etats qui ne leur ont pas rendu le miracle d'exister, dans un pays qu'on vénère plus que tout.

Dans les romans de Boualem Sansal, la noblesse de l'algérianité s'élève vers la patrie de tous les hommes avec une intensité tragique qui ne renonce pas à la beauté d'une terre où brille encore le lancinant instinct de joie dans le regard ouvert du chagrin. Les membres du jury du Prix du roman arabe, en couronnant cette année Rue Darwin (Gallimard, 2011), ce livre où le héros marche vers les mystères de sa naissance en compagnie de son lecteur, ébloui et déchiré, ont su ce qu'ils couronnaient : la réconciliation éperdue avec les hommes, tous les hommes.

C'est ce livre primé que Boualem Sansal est allé défendre en Israël, celui où la femme est célébrée dans le tourment de sa condition, sous le sourire lumineux d'un écrivain tout pénétré de sa passion spirituelle pour les sacrifiées, les héroïques, les surhumaines créatures, dont il est à la fois le fils et l'auteur, l'orphelin, le chevalier servant et le père rédempteur. Cette faculté viscérale qu'a Boualem Sansal de chanter la condition féminine, et à travers elle tout ce qui dans l'homme est voué à l'artificielle cruauté de l'ordre social, à la destruction de l'enfance, au massacre de l'innocence, vaut pour tous les peuples.

Le peuple chez Boualem Sansal n'est pas une chose d'Etat, il est le fond flamboyant qui dévoile la bêtise belliqueuse des puissants, il est l'humble visage de ceux que la guerre religieuse ou raciale transforme en traîtres ou martyrs, il est le coeur serré du romancier qui embrasse ses personnages souffrants avec la vénération qu'il voue pareillement aux Arabes, aux Juifs, aux Palestiniens, aux Israéliens, aux Algériens, aux Tunisiens, à tous ceux qui n'acceptent pas que leur soit retiré le bien le plus pur de leur long supplice historique : la paix.

C'est la paix qui voltige comme une caresse consolante dans le style de Boualem Sansal, dans le labeur lucide de sa prose enluminée, dans sa quête où palpite l'aile de son insoumission.

Et, ce prix de la paix, on voudrait aujourd'hui le lui enlever ? A quel titre ? Au nom de quelle guerre ? De quelle haine ? De quelle peur ? De quelle religion ? De quelle raison d'Etat ? Les voyages que fait Boualem Sansal dans n'importe quel pays du monde sont le même voyage intérieur de celui qui va chercher au fond des tragédies brûlantes la braise cachée où les frères humains se reconnaissent, celle qui survivra, celle de la réconciliation et du pardon.

Et il faudrait lui retirer cette promesse d'avenir, il faudrait se priver de ce présage poétique fulgurant que la paix sera le fin mot de toute cette histoire, que la paix adviendra quoi qu'il arrive ? Non. Personne ne peut accepter que la paix, ce pain délicieux dont Boualem Sensal rompt la croûte avec nous et les autres, cette saveur de paix qui descend dans notre gorge avec un sanglot quand nous le lisons, nous soit ôtée de la bouche. Non. Ce pain humain de la paix nourricière, ce pain pacifique et bon, l'écrivain en sème le champ plantureux dont les épis font bruire dans ses pages le parfum de leur moisson claire.

Et ce bout de pain si tendre, si fragile, nous le jetterions au lieu de le conserver comme un trésor qu'aucun prix sans doute ne vaut, mais qu'aucun prix ne peut profaner après l'avoir consacré ? Non. Ce petit bout de prix, de pain, de paix pétri de nos lectures infimes, nous ne le laisserons pas s'effriter dans les poubelles comme un morceau rassis, car il est fabriqué de ce grain gonflé du fleuve de vie qui coule secrètement dans les veines de chacun, même ennemis, et dont l'écorce de haine se broie sous la meule magique de Boualem Sansal en une mie fondante qu'on partage les yeux brillants.

Oui, nous remettrons ce prix, lecteurs sans vanité, à la noblesse de l'écrivain. J'eusse souhaité que les ambassadeurs arabes qui ont eu le mérite de créer cette distinction il y a quatre ans, afin d'honorer leur culture dans ses oeuvres vivantes, nous suivent dans notre décision. J'eusse souhaité qu'ils déclarent à Boualem Sansal, même sous l'uniforme obligé de leurs raisons d'Etat : "Nous déplorons, nous condamnons ton voyage en Israël, nous nous révoltons contre tes propos qui nous blessent le coeur, car nous aussi en avons un ; nous nous sentons offensés par tes paroles, par ton insolence intellectuelle qui nous heurte, par ta dissidence avec notre cause, qui nous inflige une peine cuisante.

Cependant, malgré la gravité de notre dissension, nous tenons à te décerner ce prix, envers et contre tout, car nous portons en nous l'antique vertu de la magnanimité. Nous te l'attribuons pour te prouver que la paix que tu prêches nous est aussi chère qu'à toi. Sauf que, n'étant pas des écrivains, seulement des consciences engagées dans l'opacité d'un rude combat, nous la cherchons avec d'autres moyens que les tiens, ceux de nos Etats imparfaits pour lesquels nous nous sommes engagés parce que nous y croyons.

Ta patrie à toi, si apparemment éloignée de nos tâches ingrates, est pourtant celle-là même de l'humanité que nous défendons, dont nos diplomaties ne sont que masques officiels de nos vrais sentiments de justice. Mais, malgré notre colère et notre tristesse, nous te remettrons ce prix, car nous te reconnaissons comme l'un des nôtres, un ambassadeur, mais d'une autre sorte, vêtu d'un habit surhaussé de beauté et liberté.

Notre étoffe n'est pas différente, mais alourdie de l'armure de la nécessité, de la mission à laquelle nous avons prêté serment par conviction. Oui, nous te décernons le prix car ton livre bouleversant nous émeut par-delà nos fonctions de soldats empêtrés dans une guerre qui n'est que l'âpre et cruelle accoucheuse de paix. Nous te couronnons, car ton message tremble dans la petite lumière pâle et juste que nous fixons de nos yeux éclaboussés de drames."

Voilà comment, peut-être, les ambassadeurs arabes, soulevés de nouvelles révolutions, auraient pu parler à leur écrivain le plus distingué. Voilà comment, meurtris mais altiers, ils auraient offert à Boualem Sansal, avec une âme stoïque, le prix de leur foi dans une réconciliation future des Israéliens et des Palestiniens. Qui sait ? Il n'est peut-être pas trop tard, il n'est jamais trop tard.

Hélé Béji est l'auteure de "Nous, décolonisés" (Arlea, 2008) et d'"Islam Pride. Derrière le voile" (Gallimard, 2011).

Hélé Béji, écrivaine, membre du jury du Prix du roman arabe
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Message  Azul Dim 17 Juin - 17:21

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