Kabylie, construire une nouvelle identité touristique
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Kabylie, construire une nouvelle identité touristique
Kabylie, construire une nouvelle identité touristique
Mots clés : Algerie, Kabylie, Tourisme, Environnement, Gestion, Hygiène
Par Le Matin | 09/10/2013 20:28:00 | 6255 lecture(s) | Réactions (2)
Le tourisme se clochardise dans la région Kabyle ! L’une des toutes premières destinations nationales, cantonnée dans le loisir balnéaire saisonnier, souffre de l’absence d’une vision globale moderne qui organiserait l’activité touristique autour de la mise en valeur et la sauvegarde et la revitalisation du patrimoine culturel local en symbiose avec le développement socio-économique durable.
On possède les lieux, reste, l'hygiène environnementale à encourager pour lancer le secteur. Construire une nouvelle identité touristique en Kabylie, nécessite la parfaite connaissance des atouts humains, naturels, historiques, culturels, civilisationnels et patrimoniaux mais aussi le dépassement des obstacles liés à une mentalité anti-citoyenne et à l’incivisme généralisé ! Il ne peut y avoir de tourisme sans de bonnes conditions d’hygiène environnementale et d’entretien des réseaux routiers inter villageois, sans infrastructures d’accueil, sans institutions de formation, sans changement du rapport prédateur du citoyen à l’espace public… Cette modeste contribution se propose de lancer la réflexion autour de l'idée novatrice consistant dans la mise en valeur des atouts touristiques locaux au service d'une politique de relance culturelle par la sauvegarde et la revitalisation du patrimoine culturel immatériel.
La vision jacobine coloniale qui frappe la culture ancestrale en général et le patrimoine populaire en particulier repose sur une conception tronquée de l’histoire de l’Algérie et un déni identitaire qui frappe la culture Amazighe fondement premier de notre personnalité. Pour imaginer un tourisme en relation avec notre patrimoine vernaculaire multimillénaire, il faudra une volonté politique qui assume l’héritage culturel et qui se débarrasse de la vision idéologique qui fonde le regard syncrétique de l’Etat sur l’Histoire du pays. Traiter avec le même égard le patrimoine Amazigh comme l’est le patrimoine arabo-musulman ! Cesser de voir dans le génie amazigh des ruines Romaines et des reproductions de l’art architectural musulman, voilà des conditions de base pour renouer avec nos racines culturelles profondes qui affleurent sur tout le territoire national. Le mépris institutionnel dans lequel est tenu le patrimoine culturel immatériel algérien dans toutes ses dimensions poussent à l’inquiétude et à l’interrogation. Le "tourisme créatif" est l’une des formules modernes de sauvegarde des traditions et des savoir-faire qui fondent l’identité algérienne et ses spécificités régionales, elle ne peut être mise en branle tant que perdurera le mépris de la culture des ancêtres.
En matière de tourisme, l’identité c’est, sommairement, la première image qu’un pays projette aux visiteurs qui le voient de loin et qui aimeraient mieux le connaitre ! Les économistes appellent cela "l’offre touristique". Elle englobe l’ensemble des atouts humains, naturels, historiques, culturels, civilisationnels et patrimoniaux qu’une région peut mettre en valeur pour organiser le commerce touristique. C’est l’image multidimensionnelle qui est proposée au regard des autres. Le brouillard institutionnel et le déni officiel de l’identité Amazighe entretiennent une image floue de la "destination Algérie" ! Nous sommes encore sous le prisme culturel colonial, nous avons gagné la guerre de libération mais nous avons encore à entreprendre la décolonisation des esprits. Construire une identité touristique nouvelle participe de cette décolonisation, cet effort de désaliénation culturelle !
L’Algérie accuse un retard d’un demi-siècle en matière de vision et d’apport du tourisme à la stabilisation de la société et à la construction de la nation. Bejaia en Kabylie est l’exemple de cette incurie qui confine à la clochardisation du secteur touristique hérité de la colonisation. Il résume la situation de blocage entretenue par les autorités centrales allergiques à la culture populaire.
Identité touristique et paradoxe Kabyle
La Kabylie donne une très mauvaise image de son histoire et de sa culture. La clochardisation rampante du secteur touristique est une réalité perceptible par le premier visiteur qui descend en Kabylie. On ne peut parler de tourisme tant que le problème de l’hygiène environnementale n’est pas pris en charge. On ne peut attirer des touristes sur des circuits jalonnés de décharges publiques entrecoupés de plaies environnementales béantes exhalant des odeurs nauséabondes! L’incivisme et La mentalité Anti-touristique qui sévissent dans la culture ambiante marquée par une faiblesse professionnelle criarde, l’absence de structures d’accueil au niveau des aéroports, des ports, des gares ferroviaires et routières ne plaident pas en faveur d’une politique touristique intégrable dans le développement durable. En l’absence d’un réseau routier inter villageois, les trois grands axes routiers de la wilaya de Bgayet (la RN 12, la RN 26 et la RN 9) sont régulièrement saturés, et les professionnels du tourisme peinent à exercer leur activité. La clochardisation du secteur est caractérisée par le développement d’un tourisme sexuel incontrôlé qui réunit dans des bars sordides disséminés à travers le territoire de la wilaya des prostituées de nombreuses régions d’Algérie. La privatisation de la côte est une donne irréfutable. Une mafia locale s’est emparée du patrimoine naturel de la région, des plages, des parcs, des espaces publics notamment.
Le paradoxe de Béjaia, qui exprime le mauvais visage touristique de la Kabylie, réside dans la possession de tous les atouts naturels sans pouvoir organiser leur mise en valeur. Deux chaînes de hautes montagnes, 140 km de cote merveilleuse, 42 plages, un parc forestier mondialement classé, des villages d’architecture kabyle ancienne, un tissu artisanal unique, deux barrages et une dizaine de zones humides, une agriculture de montagne, une première place en Algérie dans l’oléiculture de pointe, une histoire multimillénaire, une aura anticoloniale singulière avec l’insurrection de 1871, les événements du 8 mai 1945 à Kherrata, le congrès de la Soummam en 1956 à Ifri, et bien d’autres atouts que lui envient les autres régions du pays sont réunis à l’état potentiel à Bejaia. La centralisation et la vision jacobine ne laissent aucun espace d’action à l’initiative locale.
Les institutions locales cantonnent l’activité touristique dans le secteur balnéaire et la saisonnalité. Les décideurs limitent la problématique aux capacités d’hébergement (nombre de lits) et à des projections chimériques auxquelles on change régulièrement de dénomination. Après les ZET, voilà les Pôles ! Mais sur les 11 zones touristiques programmées, il y a une dizaine d’années, une seule est en voie de réalisation. Aucun pôle n’est encore opérationnel sur les 7 prévus. L’Algérie avec le nouveau schéma touristique est en train de refaire les erreurs européennes des années 1970 : bétonner la côte par des complexes touristiques géants qui resteront vides 9 mois sur 12. Le schéma directeur de l’activité touristique (SDAT) qui projette pour 2025 le tourisme comme industrie support de la diversification économique et du développement durable est une vision qui exclut le tourisme local avec son histoire multimillénaire.
Tourisme et richesse nationale
Pour des raisons historiques, Le tourisme a été rejeté après l’indépendance comme une scorie de la colonisation. L’existence d’une forte rente pétrolière aidant, la politique touristique est toujours restée dans les projections pour l’après-pétrole !
L’Algérie accuse un retard incommensurable en matière d’Economie touristique. En regard de l’histoire du tourisme dans le monde et ses principales étapes, nous relevons l’intérêt croissant accordé à ce secteur dans le développement durable et l’importance actuelle de l’industrie touristique en termes de contribution à la création de la richesse nationale exprimée à travers la participation de la branche au produit intérieur brut (PIB) et aux autres agrégats de la comptabilité nationale de chaque nation. A titre d’exemple, au Maroc l’activité touristique contribue à hauteur de 7% au PIB (moyenne des 5 dernières années). La Tunisie, malgré ses problèmes politiques est encore dans les mêmes eaux, alors que l’Algérie est à la traine avec une part inferieure à 2%. L’abandon du tourisme dans les options du développement Algériennes représente un manque à gagner estimé à plus de 5% du PIB, la perte des milliers d’emplois durables, un déficit flagrant dans la contribution à l’exportation de services. Le tourisme comme ressort du développement durable ne peut demeurer comme simple option mais il constitue dans les économies dépendantes de l’exportation des hydrocarbures un axe central d’une vision de croissance dans l’après pétrole. Rappelons à titre indicatif que le tourisme a représenté en 2012 une moyenne mondiale de 5% de participation au PIB, un milliard de dollars de recettes, plus d’un milliards de touristes internationaux dans les grandes destinations planétaires et 30% des exportations de services dans le monde. Sans oublier la plus importante des contributions, le tourisme occupe 235 millions d’emplois dans le monde ! Ces paramètres appliqués à L’Algérie ne revêtent aucune signification, tant les chiffres sont insignifiants de l’aveu même des autorités sectorielles concernées
Une mentalité anti-touristique
Longtemps assimilé au prolongement de l’humiliation coloniale avec toutes ses images de servitude esclavagiste, le tourisme est encore de nos jours rejeté par une fierté nationaliste justifiée à la sortie de la guerre de libération, mais qui devient de plus en plus contreproductive tant le rôle du tourisme dans la protection et la valorisation des multiples patrimoines identitaires s’avère irremplaçable à côté de ses apports au développement de l’éducation environnementale et au maintien de l’hygiène publique.
Le tourisme de l’époque coloniale a généré dans l’âme algérienne des frustrations indélébiles. La ségrégation touristique des colons avait forgé dans la mentalité de l’Algérien le rejet actuel du tourisme assimilé à l’humiliation de la servitude. Les fondements patriarcaux de notre culture voient dans le tourisme un "ensemble de tâches ménagères" qui dévalorisent l’homme ! Le paysan avec sa Redjla, ne peut les accomplir sans se sentir diminué. Cette culture s’est transmise entre générations instaurant un manque de civisme et un rapport agressif par rapport aux espaces publics considérés comme Beylik ou "bien vacant".
C’est là que le volet formation intervient. Et Chez nous la formation aux techniques touristiques s’est faite durant des décennies sur le tas ; dans les gargotes, les hôtels sordides, les bar-bordels et accessoirement dans des centres de formation. Les profils d’entrée exigés par nos centres de formation professionnelle sont très loin des standards internationaux. Ce sont les jeunes élèves exclus du système éducatif qui se replient sur le pis-aller de l’activité touristique ! Nous comprenons alors la déficience en niveau culturel et tous les manques qu’elle engendre dans l’accueil, l’accompagnement, l’hébergement et l’image de la destination touristique. En résumé nous ne possédons pas la ressource humaine en quantité et en qualité pour se prévaloir d’une politique touristique qui rivalisera avec celle des pays du pourtour méditerranéen, de nos proches voisins, la Tunisie, le Maroc, la Turquie, la France…notamment qui constituent paradoxalement des destinations pour la classe moyenne algérienne.
Le tourisme intérieur en Kabylie
Les Kabyles font du tourisme depuis l’aube des temps, ils n’ont pas attendu son invention par les aristocrates Anglais au 16e siècle ! Ni sa démocratisation grâce aux congés payés acquis par les luttes sociales anticapitalistes de la première moitié du 20ème siècle avec l’expression des besoins de loisir de la classe ouvrière en occident après la seconde guerre mondiale.
Le thermalisme fait partie de la culture locale comme pratique de soins de la médecine traditionnelle. le tourisme cultuel qui consiste dans le pèlerinage dans les mausolées villageois (Waada, Ziara, Zerda,…) concerne des milliers de personnes chaque année, les fêtes rituelles du calendrier agraire (yennayer, Anzar, Tafsout, Tiwizi…) rassemblent périodiquement dans de nombreux villages des centaines de personnes dans une atmosphère festive conviviale. Le tourisme d’affaires qui se pratique vers les lointains Souks de l’Algérie profonde est une réalité de la culture paysanne et enfin le pèlerinage à la Mecque est une donne cultuelle séculaire locale. Voilà des vecteurs d’une politique touristique qui sont autant de liens avec le patrimoine culturel immatériel. Les villages de l’artisanat avec leurs besoins de survivre, les Souks hebdomadaires avec leur dynamique d’échange, les sources thermales et leurs séjours médicaux, les routes de l’eau, les zones humides, les savoir-faire agricole biologique de montagne, les dernières transhumances pastorales, renferment autant de curiosités et de singularités qui constituent l’identité touristique locale.
Le tourisme contribue à la fixation des populations sur les espaces non urbains et participe à la sauvegarde du patrimoine culturel vivant. Le tourisme dans sa version moderne non prédatrice peut sans conteste, contribuer au développement économique et social de la région Kabyle à partir de ses richesses propres : petite agriculture biologique de montagne, Oléiculture, artisanat, patrimoine architectural villageois, traditions et pratiques culturelles vernaculaires et autres dimensions du patrimoine immatériel.
Tourisme créatif et sauvegarde du patrimoine culturel immatériel
Le tourisme créatif consiste, grosso-modo, dans la participation du touriste à la sauvegarde d’une pratique culturelle sur l’espace qu’il va visiter. A titre d’exemple, tisser un burnous de laine en Kabylie est un savoir-faire artisanal valorisant mais qui va disparaitre si on n’organise pas sa sauvegarde. Aménager un séjour de groupes touristiques qui participeront concrètement à un stage de tissage de burnous est tout à fait concevable. Avec les retombées financières, on pourra stabiliser le savoir-faire, créer des emplois directs et indirects et démultiplier l’expérience sur d’autres segments du patrimoine artisanal comme la poterie, la forge, la vannerie, la gastronomie …
Le lancement du tourisme créatif nécessite une bonne connaissance du patrimoine culturel immatériel de la région. Il y a de multiples pratiques touristiques qui généreront des rentes et permettront la sauvegarde des cinq dimensions du PCI telles que définies par la convention de l’UNESCO de 2003. La notion de « pole touristique » avec plusieurs produits est positive pour peu que les retombées soient captées localement. L’écotourisme, le tourisme vert, le tourisme culturel et historique sont autant de pistes auxquelles il faut donner un contenu en liaison avec les besoins de sauvegarde des survivances culturelles de la région. Toute activité touristique se devra de garantir le respect des pratiques culturelles locales et des savoir-faire et savoir-vivre qui fondent l’identité régionale.
D’une façon localisée il y a des villes et villages algériens jumelés avec des cités urbaines et des villages historiques de la rive nord de la Mméditerranée. Ce qui importe de nos jours est de savoir si les pratiques touristiques peuvent contribuer à la sauvegarde des activités de la culture traditionnelle qui stabilise le tissu social et perpétuent le sentiment d’appartenance identitaire à une communauté, une nation ? Le jumelage a pris des tournures plus protocolaires voire politiques que culturelles. Ç’ est une vieille pratique qui n’a rien apporté à la mise en valeur de nos atouts. Elle n’a pas empêché le déclin de la culture locale dans les villes et les cités concernées. Nous plaidons pour une nouvelle pratique fondée sur l’objectif de connaissance et de sauvegarde des multiples pans du patrimoine immatériel, a commencer par la langue comme vecteur de transmission de toutes les connaissances et des traditions millénaires. On peut à titre d’exemple organiser des séjours linguistiques pour l’apprentissage et la vulgarisation internationale de Tamazight autour d’activités traditionnelles comme l’artisanat, les transhumances, l’oléiculture, l’élevage, la petite industrie locale, le maraîchage et le jardinage biologique… Pour nous connaitre les étrangers devront connaitre notre langue et contribuer à son épanouissement universel.
La stratégie touristique algérienne est archaïque
Rejeté après l’indépendance comme secteur de développement durable, le tourisme en Algérie est demeuré à l’état embryonnaire et végétatif. La gestion de l’héritage touristique colonial était confiée à un ministère dont le poids institutionnel et les moyens budgétaires étaient insignifiants. L’Etat, fort de ses rentes pétrolières, avait exclu au lendemain de l’indépendance le tourisme de toute participation à la création de la richesse nationale. Les dernières orientations des autorités algériennes, option pour un Schéma directeur de l’activité touristique, SDAT projette pour 2025 le rôle économique du Tourisme à travers la promotion de la "destination Algérie". A la lumière de cette nouvelle doctrine nous déduisons d’emblée le choix pour le tourisme à l’occidentale, et la reproduction des parcours et des erreurs faites par les européens aux lendemains de la seconde guerre mondiale dans le processus de démocratisation de la pratique touristique autrefois réservée à la technocratie dirigeante et à des élites aristocratiques. C’est encore le Tourisme pour les Riches sans aucun lien avec les besoins populaires notamment la sauvegarde du patrimoine immatériel dans ces cinq dimensions définies par la convention de l’UNESCO de 2003. Pour résumer, je dirai que "tant qu’il y aura du pétrole, il n’y aura pas d’idées". Le ministre de l’Energie vient de déclarer que la production du pétrole sera doublée dans la prochaine décennie, je ne peux qu’être pessimiste. Le tourisme est finalement un problème d’ordre politique ! Tant que l’option rentière sévira au sommet de l’Etat, le tourisme comme vecteur de sauvegarde du patrimoine restera une chimère. Le tourisme de prédation a encore de beaux jours devant lui, la chasse à l’outarde et le tourisme sexuel continueront à enlaidir l’image de la "destination Algérie".
R. O.
(*) Rachid Oulebsir est écrivain, journaliste et chercheur en culture populaire
Mots clés : Algerie, Kabylie, Tourisme, Environnement, Gestion, Hygiène
Par Le Matin | 09/10/2013 20:28:00 | 6255 lecture(s) | Réactions (2)
Le tourisme se clochardise dans la région Kabyle ! L’une des toutes premières destinations nationales, cantonnée dans le loisir balnéaire saisonnier, souffre de l’absence d’une vision globale moderne qui organiserait l’activité touristique autour de la mise en valeur et la sauvegarde et la revitalisation du patrimoine culturel local en symbiose avec le développement socio-économique durable.
On possède les lieux, reste, l'hygiène environnementale à encourager pour lancer le secteur. Construire une nouvelle identité touristique en Kabylie, nécessite la parfaite connaissance des atouts humains, naturels, historiques, culturels, civilisationnels et patrimoniaux mais aussi le dépassement des obstacles liés à une mentalité anti-citoyenne et à l’incivisme généralisé ! Il ne peut y avoir de tourisme sans de bonnes conditions d’hygiène environnementale et d’entretien des réseaux routiers inter villageois, sans infrastructures d’accueil, sans institutions de formation, sans changement du rapport prédateur du citoyen à l’espace public… Cette modeste contribution se propose de lancer la réflexion autour de l'idée novatrice consistant dans la mise en valeur des atouts touristiques locaux au service d'une politique de relance culturelle par la sauvegarde et la revitalisation du patrimoine culturel immatériel.
La vision jacobine coloniale qui frappe la culture ancestrale en général et le patrimoine populaire en particulier repose sur une conception tronquée de l’histoire de l’Algérie et un déni identitaire qui frappe la culture Amazighe fondement premier de notre personnalité. Pour imaginer un tourisme en relation avec notre patrimoine vernaculaire multimillénaire, il faudra une volonté politique qui assume l’héritage culturel et qui se débarrasse de la vision idéologique qui fonde le regard syncrétique de l’Etat sur l’Histoire du pays. Traiter avec le même égard le patrimoine Amazigh comme l’est le patrimoine arabo-musulman ! Cesser de voir dans le génie amazigh des ruines Romaines et des reproductions de l’art architectural musulman, voilà des conditions de base pour renouer avec nos racines culturelles profondes qui affleurent sur tout le territoire national. Le mépris institutionnel dans lequel est tenu le patrimoine culturel immatériel algérien dans toutes ses dimensions poussent à l’inquiétude et à l’interrogation. Le "tourisme créatif" est l’une des formules modernes de sauvegarde des traditions et des savoir-faire qui fondent l’identité algérienne et ses spécificités régionales, elle ne peut être mise en branle tant que perdurera le mépris de la culture des ancêtres.
En matière de tourisme, l’identité c’est, sommairement, la première image qu’un pays projette aux visiteurs qui le voient de loin et qui aimeraient mieux le connaitre ! Les économistes appellent cela "l’offre touristique". Elle englobe l’ensemble des atouts humains, naturels, historiques, culturels, civilisationnels et patrimoniaux qu’une région peut mettre en valeur pour organiser le commerce touristique. C’est l’image multidimensionnelle qui est proposée au regard des autres. Le brouillard institutionnel et le déni officiel de l’identité Amazighe entretiennent une image floue de la "destination Algérie" ! Nous sommes encore sous le prisme culturel colonial, nous avons gagné la guerre de libération mais nous avons encore à entreprendre la décolonisation des esprits. Construire une identité touristique nouvelle participe de cette décolonisation, cet effort de désaliénation culturelle !
L’Algérie accuse un retard d’un demi-siècle en matière de vision et d’apport du tourisme à la stabilisation de la société et à la construction de la nation. Bejaia en Kabylie est l’exemple de cette incurie qui confine à la clochardisation du secteur touristique hérité de la colonisation. Il résume la situation de blocage entretenue par les autorités centrales allergiques à la culture populaire.
Identité touristique et paradoxe Kabyle
La Kabylie donne une très mauvaise image de son histoire et de sa culture. La clochardisation rampante du secteur touristique est une réalité perceptible par le premier visiteur qui descend en Kabylie. On ne peut parler de tourisme tant que le problème de l’hygiène environnementale n’est pas pris en charge. On ne peut attirer des touristes sur des circuits jalonnés de décharges publiques entrecoupés de plaies environnementales béantes exhalant des odeurs nauséabondes! L’incivisme et La mentalité Anti-touristique qui sévissent dans la culture ambiante marquée par une faiblesse professionnelle criarde, l’absence de structures d’accueil au niveau des aéroports, des ports, des gares ferroviaires et routières ne plaident pas en faveur d’une politique touristique intégrable dans le développement durable. En l’absence d’un réseau routier inter villageois, les trois grands axes routiers de la wilaya de Bgayet (la RN 12, la RN 26 et la RN 9) sont régulièrement saturés, et les professionnels du tourisme peinent à exercer leur activité. La clochardisation du secteur est caractérisée par le développement d’un tourisme sexuel incontrôlé qui réunit dans des bars sordides disséminés à travers le territoire de la wilaya des prostituées de nombreuses régions d’Algérie. La privatisation de la côte est une donne irréfutable. Une mafia locale s’est emparée du patrimoine naturel de la région, des plages, des parcs, des espaces publics notamment.
Le paradoxe de Béjaia, qui exprime le mauvais visage touristique de la Kabylie, réside dans la possession de tous les atouts naturels sans pouvoir organiser leur mise en valeur. Deux chaînes de hautes montagnes, 140 km de cote merveilleuse, 42 plages, un parc forestier mondialement classé, des villages d’architecture kabyle ancienne, un tissu artisanal unique, deux barrages et une dizaine de zones humides, une agriculture de montagne, une première place en Algérie dans l’oléiculture de pointe, une histoire multimillénaire, une aura anticoloniale singulière avec l’insurrection de 1871, les événements du 8 mai 1945 à Kherrata, le congrès de la Soummam en 1956 à Ifri, et bien d’autres atouts que lui envient les autres régions du pays sont réunis à l’état potentiel à Bejaia. La centralisation et la vision jacobine ne laissent aucun espace d’action à l’initiative locale.
Les institutions locales cantonnent l’activité touristique dans le secteur balnéaire et la saisonnalité. Les décideurs limitent la problématique aux capacités d’hébergement (nombre de lits) et à des projections chimériques auxquelles on change régulièrement de dénomination. Après les ZET, voilà les Pôles ! Mais sur les 11 zones touristiques programmées, il y a une dizaine d’années, une seule est en voie de réalisation. Aucun pôle n’est encore opérationnel sur les 7 prévus. L’Algérie avec le nouveau schéma touristique est en train de refaire les erreurs européennes des années 1970 : bétonner la côte par des complexes touristiques géants qui resteront vides 9 mois sur 12. Le schéma directeur de l’activité touristique (SDAT) qui projette pour 2025 le tourisme comme industrie support de la diversification économique et du développement durable est une vision qui exclut le tourisme local avec son histoire multimillénaire.
Tourisme et richesse nationale
Pour des raisons historiques, Le tourisme a été rejeté après l’indépendance comme une scorie de la colonisation. L’existence d’une forte rente pétrolière aidant, la politique touristique est toujours restée dans les projections pour l’après-pétrole !
L’Algérie accuse un retard incommensurable en matière d’Economie touristique. En regard de l’histoire du tourisme dans le monde et ses principales étapes, nous relevons l’intérêt croissant accordé à ce secteur dans le développement durable et l’importance actuelle de l’industrie touristique en termes de contribution à la création de la richesse nationale exprimée à travers la participation de la branche au produit intérieur brut (PIB) et aux autres agrégats de la comptabilité nationale de chaque nation. A titre d’exemple, au Maroc l’activité touristique contribue à hauteur de 7% au PIB (moyenne des 5 dernières années). La Tunisie, malgré ses problèmes politiques est encore dans les mêmes eaux, alors que l’Algérie est à la traine avec une part inferieure à 2%. L’abandon du tourisme dans les options du développement Algériennes représente un manque à gagner estimé à plus de 5% du PIB, la perte des milliers d’emplois durables, un déficit flagrant dans la contribution à l’exportation de services. Le tourisme comme ressort du développement durable ne peut demeurer comme simple option mais il constitue dans les économies dépendantes de l’exportation des hydrocarbures un axe central d’une vision de croissance dans l’après pétrole. Rappelons à titre indicatif que le tourisme a représenté en 2012 une moyenne mondiale de 5% de participation au PIB, un milliard de dollars de recettes, plus d’un milliards de touristes internationaux dans les grandes destinations planétaires et 30% des exportations de services dans le monde. Sans oublier la plus importante des contributions, le tourisme occupe 235 millions d’emplois dans le monde ! Ces paramètres appliqués à L’Algérie ne revêtent aucune signification, tant les chiffres sont insignifiants de l’aveu même des autorités sectorielles concernées
Une mentalité anti-touristique
Longtemps assimilé au prolongement de l’humiliation coloniale avec toutes ses images de servitude esclavagiste, le tourisme est encore de nos jours rejeté par une fierté nationaliste justifiée à la sortie de la guerre de libération, mais qui devient de plus en plus contreproductive tant le rôle du tourisme dans la protection et la valorisation des multiples patrimoines identitaires s’avère irremplaçable à côté de ses apports au développement de l’éducation environnementale et au maintien de l’hygiène publique.
Le tourisme de l’époque coloniale a généré dans l’âme algérienne des frustrations indélébiles. La ségrégation touristique des colons avait forgé dans la mentalité de l’Algérien le rejet actuel du tourisme assimilé à l’humiliation de la servitude. Les fondements patriarcaux de notre culture voient dans le tourisme un "ensemble de tâches ménagères" qui dévalorisent l’homme ! Le paysan avec sa Redjla, ne peut les accomplir sans se sentir diminué. Cette culture s’est transmise entre générations instaurant un manque de civisme et un rapport agressif par rapport aux espaces publics considérés comme Beylik ou "bien vacant".
C’est là que le volet formation intervient. Et Chez nous la formation aux techniques touristiques s’est faite durant des décennies sur le tas ; dans les gargotes, les hôtels sordides, les bar-bordels et accessoirement dans des centres de formation. Les profils d’entrée exigés par nos centres de formation professionnelle sont très loin des standards internationaux. Ce sont les jeunes élèves exclus du système éducatif qui se replient sur le pis-aller de l’activité touristique ! Nous comprenons alors la déficience en niveau culturel et tous les manques qu’elle engendre dans l’accueil, l’accompagnement, l’hébergement et l’image de la destination touristique. En résumé nous ne possédons pas la ressource humaine en quantité et en qualité pour se prévaloir d’une politique touristique qui rivalisera avec celle des pays du pourtour méditerranéen, de nos proches voisins, la Tunisie, le Maroc, la Turquie, la France…notamment qui constituent paradoxalement des destinations pour la classe moyenne algérienne.
Le tourisme intérieur en Kabylie
Les Kabyles font du tourisme depuis l’aube des temps, ils n’ont pas attendu son invention par les aristocrates Anglais au 16e siècle ! Ni sa démocratisation grâce aux congés payés acquis par les luttes sociales anticapitalistes de la première moitié du 20ème siècle avec l’expression des besoins de loisir de la classe ouvrière en occident après la seconde guerre mondiale.
Le thermalisme fait partie de la culture locale comme pratique de soins de la médecine traditionnelle. le tourisme cultuel qui consiste dans le pèlerinage dans les mausolées villageois (Waada, Ziara, Zerda,…) concerne des milliers de personnes chaque année, les fêtes rituelles du calendrier agraire (yennayer, Anzar, Tafsout, Tiwizi…) rassemblent périodiquement dans de nombreux villages des centaines de personnes dans une atmosphère festive conviviale. Le tourisme d’affaires qui se pratique vers les lointains Souks de l’Algérie profonde est une réalité de la culture paysanne et enfin le pèlerinage à la Mecque est une donne cultuelle séculaire locale. Voilà des vecteurs d’une politique touristique qui sont autant de liens avec le patrimoine culturel immatériel. Les villages de l’artisanat avec leurs besoins de survivre, les Souks hebdomadaires avec leur dynamique d’échange, les sources thermales et leurs séjours médicaux, les routes de l’eau, les zones humides, les savoir-faire agricole biologique de montagne, les dernières transhumances pastorales, renferment autant de curiosités et de singularités qui constituent l’identité touristique locale.
Le tourisme contribue à la fixation des populations sur les espaces non urbains et participe à la sauvegarde du patrimoine culturel vivant. Le tourisme dans sa version moderne non prédatrice peut sans conteste, contribuer au développement économique et social de la région Kabyle à partir de ses richesses propres : petite agriculture biologique de montagne, Oléiculture, artisanat, patrimoine architectural villageois, traditions et pratiques culturelles vernaculaires et autres dimensions du patrimoine immatériel.
Tourisme créatif et sauvegarde du patrimoine culturel immatériel
Le tourisme créatif consiste, grosso-modo, dans la participation du touriste à la sauvegarde d’une pratique culturelle sur l’espace qu’il va visiter. A titre d’exemple, tisser un burnous de laine en Kabylie est un savoir-faire artisanal valorisant mais qui va disparaitre si on n’organise pas sa sauvegarde. Aménager un séjour de groupes touristiques qui participeront concrètement à un stage de tissage de burnous est tout à fait concevable. Avec les retombées financières, on pourra stabiliser le savoir-faire, créer des emplois directs et indirects et démultiplier l’expérience sur d’autres segments du patrimoine artisanal comme la poterie, la forge, la vannerie, la gastronomie …
Le lancement du tourisme créatif nécessite une bonne connaissance du patrimoine culturel immatériel de la région. Il y a de multiples pratiques touristiques qui généreront des rentes et permettront la sauvegarde des cinq dimensions du PCI telles que définies par la convention de l’UNESCO de 2003. La notion de « pole touristique » avec plusieurs produits est positive pour peu que les retombées soient captées localement. L’écotourisme, le tourisme vert, le tourisme culturel et historique sont autant de pistes auxquelles il faut donner un contenu en liaison avec les besoins de sauvegarde des survivances culturelles de la région. Toute activité touristique se devra de garantir le respect des pratiques culturelles locales et des savoir-faire et savoir-vivre qui fondent l’identité régionale.
D’une façon localisée il y a des villes et villages algériens jumelés avec des cités urbaines et des villages historiques de la rive nord de la Mméditerranée. Ce qui importe de nos jours est de savoir si les pratiques touristiques peuvent contribuer à la sauvegarde des activités de la culture traditionnelle qui stabilise le tissu social et perpétuent le sentiment d’appartenance identitaire à une communauté, une nation ? Le jumelage a pris des tournures plus protocolaires voire politiques que culturelles. Ç’ est une vieille pratique qui n’a rien apporté à la mise en valeur de nos atouts. Elle n’a pas empêché le déclin de la culture locale dans les villes et les cités concernées. Nous plaidons pour une nouvelle pratique fondée sur l’objectif de connaissance et de sauvegarde des multiples pans du patrimoine immatériel, a commencer par la langue comme vecteur de transmission de toutes les connaissances et des traditions millénaires. On peut à titre d’exemple organiser des séjours linguistiques pour l’apprentissage et la vulgarisation internationale de Tamazight autour d’activités traditionnelles comme l’artisanat, les transhumances, l’oléiculture, l’élevage, la petite industrie locale, le maraîchage et le jardinage biologique… Pour nous connaitre les étrangers devront connaitre notre langue et contribuer à son épanouissement universel.
La stratégie touristique algérienne est archaïque
Rejeté après l’indépendance comme secteur de développement durable, le tourisme en Algérie est demeuré à l’état embryonnaire et végétatif. La gestion de l’héritage touristique colonial était confiée à un ministère dont le poids institutionnel et les moyens budgétaires étaient insignifiants. L’Etat, fort de ses rentes pétrolières, avait exclu au lendemain de l’indépendance le tourisme de toute participation à la création de la richesse nationale. Les dernières orientations des autorités algériennes, option pour un Schéma directeur de l’activité touristique, SDAT projette pour 2025 le rôle économique du Tourisme à travers la promotion de la "destination Algérie". A la lumière de cette nouvelle doctrine nous déduisons d’emblée le choix pour le tourisme à l’occidentale, et la reproduction des parcours et des erreurs faites par les européens aux lendemains de la seconde guerre mondiale dans le processus de démocratisation de la pratique touristique autrefois réservée à la technocratie dirigeante et à des élites aristocratiques. C’est encore le Tourisme pour les Riches sans aucun lien avec les besoins populaires notamment la sauvegarde du patrimoine immatériel dans ces cinq dimensions définies par la convention de l’UNESCO de 2003. Pour résumer, je dirai que "tant qu’il y aura du pétrole, il n’y aura pas d’idées". Le ministre de l’Energie vient de déclarer que la production du pétrole sera doublée dans la prochaine décennie, je ne peux qu’être pessimiste. Le tourisme est finalement un problème d’ordre politique ! Tant que l’option rentière sévira au sommet de l’Etat, le tourisme comme vecteur de sauvegarde du patrimoine restera une chimère. Le tourisme de prédation a encore de beaux jours devant lui, la chasse à l’outarde et le tourisme sexuel continueront à enlaidir l’image de la "destination Algérie".
R. O.
(*) Rachid Oulebsir est écrivain, journaliste et chercheur en culture populaire
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Date d'inscription : 30/01/2009
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