La vision des jeunes du féminisme
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La vision des jeunes du féminisme
Questions d’éthiques et dilemme liées au statut de féministe dans une société traditionnaliste
Ici, beaucoup croient qu’une féministe est forcément frigide, lesbienne, haineuse et agressive envers le sexe opposé. J’en suis une et je ne m’identifie à aucun de ces qualificatifs. Que signifie le féminisme ? Je ne prétendrai pas donner ici une définition générale et omnisciente de ce mot. Mais juste exposer une conception exhaustive de ce qu’être féministe au Sénégal implique. D’ores et déjà, je peux dire que je ne me retrouve pas dans le féminisme occidental dont les combats ne s’adressent pas toujours à moi. En plus, je me vois mal ôter mon soutien gorge et le brûler en public.
Je vois le féminisme d’abord comme une révolte contre un système injuste (le patriarcat) et dégradant pour les femmes. Elle défend essentiellement la cause des femmes, notamment par l’établissement de nouvelles pratiques, des luttes, des discours. Sa finalité est la transformation en profondeur d’un ordre social défavorable aux femmes. En gros, mettre un terme, pour reprendre Alain Touraine (1), au « monopole du sens et du pouvoir dont disposaient les hommes ».
Plusieurs jeunes femmes interrogées sur le féminisme rejettent fortement toute affiliation à ce mouvement. Certaines parlent de catégorisation, de victimisation de la femme (2). D’autres pensent simplement qu’il s’agit d’une lutte ringarde et dépassée, qui n’a plus de raison d’être. D’autres encore se mettent dans une optique traditionnaliste et patriarcale de la place de la femme et des rapports de pouvoirs homme/femme. Selon elles, il est impensable qu’une femme ait les mêmes droits ou les mêmes prétentions qu’un homme. Ce dernier étant l’être supérieur par excellence. Ce mode de pensée est fortement renforcé par le discours traditionnel et la religion (99% de la population sénégalaise est musulmane). Même dans la vie quotidienne, on manifeste une résistance à voir dans le féminisme une pierre centrale pour la construction d’un monde nouveau. Notre société, à travers les media surtout (qui véhiculent une certaine image de la femme, comment elle doit être ; obéissante, soumise aux souhaits de son mari), entretient une certaine résistance au féminisme et cela est fort souvent à l’origine de la difficulté, sinon du refus de plusieurs femmes, surtout parmi les plus jeunes, à s’identifier à un féminisme qu’elles perçoivent comme une idéologie importée de l’occident, ce qui à mon avis est absolument faux. D’autant plus que nous disposons de plusieurs figures historiques de femmes leaders fortes (Ndatté Yalla, Aline Sitoé Diatta, Rose Basse, etc.) Enfin, la recherche d’harmonie et de stabilité dans les relations amoureuses et familiales, tout comme “la présence d’un discours qui, sous couvert d’égalitarisme ou de rectitude politique, cherche à nous convaincre que les femmes, ont davantage perdu qu’elles n’ont gagné à travers les luttes féministes servent non seulement à entretenir les rapports souvent paradoxaux que les femmes elles-mêmes entretiennent avec la tradition” (3), la famille, les rapports hommes-femmes, le travail, etc., mais alimentent aussi une ambivalence qui sert à discréditer la poursuite des luttes féministes (en occultant souvent les grandes avancées qu’elle a permis) et qui se trouve souvent résumée par la question suivante : “Est-ce que les féministes ne seraient pas allées trop loin ?” Mais là encore on est en droit de se demander si l’on peut aller trop loin dans la lutte pour l’égalité, la justice sociale et la démocratie ? Ce qui m’amène à la question de l’éthique. En tant que féministe (je n’aime pas le terme jeune féministe. La seule chose qui peut différencier deux féministes, est le mode d’action utilisé par l’une ou par l’autre), quel comportement puis je me permettre. Quelle attitude dois-je avoir avec les autres dans ma vie quotidienne pour rester en accord avec mes principes. Mon mari tient des propos sexistes ; devrais-je les ignorer parce que cela va nous mener à un conflit et que je l’aime trop pour le fâcher ? Est-ce que je dois payer ce que j’ai consommé quand un homme m’invite au restaurant ? Je sous paye ma bonne et je la brime, mais tout le monde le fait alors c’est normal ? Mon avis personnel est que notre engagement doit être partie intégrante de notre vie de tous les jours. Ce n’est pas comme s’il s’agissait d’une couverture ou d’une veste qu’on peut retourner et enlever comme on veut. Il s’agit ici de nos convictions les plus profondes, nous ne pouvons pas juste compartimenter notre vie, séparer notre “vie de féministe” et “notre vie sociale bien conformiste” pour éviter les affrontements.
Il y a cependant une chose qui m’inquiète ; tous ces beaux principes, ces idées nobles et ce militantisme que je viens d’exprimer, vais-je les conserver jusqu’au bout ou vais-je moi aussi faire partie de la cohorte d’anciennes militantes féministes qui sont sagement retournées dans les rangs ? Ou encore celles qui se disent militantes et qui, avec le temps, se sont embourgeoisées et ne respectent même plus (si tant est qu’elles l’aient déjà fait) les principes de sororité ou de solidarité les plus élémentaires. Elles se transportent de Forums en colloques et entretiennent ce que j’appelle un féminisme alimentaire. C’est peut être pourquoi on a l’impression que le mouvement féministe au Sénégal subit un eternel recommencement. Le Yewwu yewwi (4) qui était très actif et prometteur a fini en feu de paille.
Bien que nous soyons jeunes — donc forcément subversifs et dotés d’une confiance inépuisable en nous —, nous ne prétendons pas « construire » le féminisme africain, ni balayer tout ce qui a été dit et fait jusqu’ici. Nous souhaitons cependant redéfinir certains domaines d’intervention. Nous sommes souvent interpellées sur des sujets tels que la parité (aussi bien dans le monde de l’emploi qu’en politique), le droit à l’avortement et au choix de l’orientation sexuelle, la lutte contre le VIH/SIDA, la pauvreté, le réchauffement climatique. Pour faire entendre notre voix et influencer les événements, nous avons surtout besoin qu’on nous fasse une place au sein des mouvements féministes, de cohésion, de solidarité et de l’engagement de tous. Le plus important serait peut être de mettre un terme aux clivages entre les mouvements et d’œuvrer, ensemble, sur la base d’un programme commun. Bien sur, nous ne demandons pas à tout le monde de penser de la même manière (ce qui est impossible), nous voulons juste un accord dans la direction à prendre afin d’éviter les dispersions. D’ores et déjà, il apparaît donc que la recherche féministe des prochaines années devra parvenir à proposer une théorie cohérente des rapports de sexes dans laquelle toutes les femmes – mères et non mères, femmes mariées et célibataires, hétérosexuelles et homosexuelles, travailleuses rémunérées et ménagères, pourront se reconnaître et se “comprendre”.
Alain TOURAINE. Pourrons-nous vivre ensemble ? Égaux et différents, Paris, Fayard, 1997, p. 226.
Catégoriser peut, en effet, vouloir dire réduire… taire les nuances, sélectionner, voire même enfermer ou créer une impression de statisme. Néanmoins, catégoriser veut aussi dire comprendre, poser systématiquement les éléments d’une compréhension commune et préciser une multitude de notions et de perspectives d’un phénomène donné.
Conseil du statut de la femme. Droits des femmes et diversité : avis du Conseil du statut de la femme, [recherche et rédaction : Marie Moisan], Québec, le Conseil, 1997.
Association féministe créée par des femmes intellectuelles Sénégalaises dans les années 80.
Source: African Feminist Forum
Ici, beaucoup croient qu’une féministe est forcément frigide, lesbienne, haineuse et agressive envers le sexe opposé. J’en suis une et je ne m’identifie à aucun de ces qualificatifs. Que signifie le féminisme ? Je ne prétendrai pas donner ici une définition générale et omnisciente de ce mot. Mais juste exposer une conception exhaustive de ce qu’être féministe au Sénégal implique. D’ores et déjà, je peux dire que je ne me retrouve pas dans le féminisme occidental dont les combats ne s’adressent pas toujours à moi. En plus, je me vois mal ôter mon soutien gorge et le brûler en public.
Je vois le féminisme d’abord comme une révolte contre un système injuste (le patriarcat) et dégradant pour les femmes. Elle défend essentiellement la cause des femmes, notamment par l’établissement de nouvelles pratiques, des luttes, des discours. Sa finalité est la transformation en profondeur d’un ordre social défavorable aux femmes. En gros, mettre un terme, pour reprendre Alain Touraine (1), au « monopole du sens et du pouvoir dont disposaient les hommes ».
Plusieurs jeunes femmes interrogées sur le féminisme rejettent fortement toute affiliation à ce mouvement. Certaines parlent de catégorisation, de victimisation de la femme (2). D’autres pensent simplement qu’il s’agit d’une lutte ringarde et dépassée, qui n’a plus de raison d’être. D’autres encore se mettent dans une optique traditionnaliste et patriarcale de la place de la femme et des rapports de pouvoirs homme/femme. Selon elles, il est impensable qu’une femme ait les mêmes droits ou les mêmes prétentions qu’un homme. Ce dernier étant l’être supérieur par excellence. Ce mode de pensée est fortement renforcé par le discours traditionnel et la religion (99% de la population sénégalaise est musulmane). Même dans la vie quotidienne, on manifeste une résistance à voir dans le féminisme une pierre centrale pour la construction d’un monde nouveau. Notre société, à travers les media surtout (qui véhiculent une certaine image de la femme, comment elle doit être ; obéissante, soumise aux souhaits de son mari), entretient une certaine résistance au féminisme et cela est fort souvent à l’origine de la difficulté, sinon du refus de plusieurs femmes, surtout parmi les plus jeunes, à s’identifier à un féminisme qu’elles perçoivent comme une idéologie importée de l’occident, ce qui à mon avis est absolument faux. D’autant plus que nous disposons de plusieurs figures historiques de femmes leaders fortes (Ndatté Yalla, Aline Sitoé Diatta, Rose Basse, etc.) Enfin, la recherche d’harmonie et de stabilité dans les relations amoureuses et familiales, tout comme “la présence d’un discours qui, sous couvert d’égalitarisme ou de rectitude politique, cherche à nous convaincre que les femmes, ont davantage perdu qu’elles n’ont gagné à travers les luttes féministes servent non seulement à entretenir les rapports souvent paradoxaux que les femmes elles-mêmes entretiennent avec la tradition” (3), la famille, les rapports hommes-femmes, le travail, etc., mais alimentent aussi une ambivalence qui sert à discréditer la poursuite des luttes féministes (en occultant souvent les grandes avancées qu’elle a permis) et qui se trouve souvent résumée par la question suivante : “Est-ce que les féministes ne seraient pas allées trop loin ?” Mais là encore on est en droit de se demander si l’on peut aller trop loin dans la lutte pour l’égalité, la justice sociale et la démocratie ? Ce qui m’amène à la question de l’éthique. En tant que féministe (je n’aime pas le terme jeune féministe. La seule chose qui peut différencier deux féministes, est le mode d’action utilisé par l’une ou par l’autre), quel comportement puis je me permettre. Quelle attitude dois-je avoir avec les autres dans ma vie quotidienne pour rester en accord avec mes principes. Mon mari tient des propos sexistes ; devrais-je les ignorer parce que cela va nous mener à un conflit et que je l’aime trop pour le fâcher ? Est-ce que je dois payer ce que j’ai consommé quand un homme m’invite au restaurant ? Je sous paye ma bonne et je la brime, mais tout le monde le fait alors c’est normal ? Mon avis personnel est que notre engagement doit être partie intégrante de notre vie de tous les jours. Ce n’est pas comme s’il s’agissait d’une couverture ou d’une veste qu’on peut retourner et enlever comme on veut. Il s’agit ici de nos convictions les plus profondes, nous ne pouvons pas juste compartimenter notre vie, séparer notre “vie de féministe” et “notre vie sociale bien conformiste” pour éviter les affrontements.
Il y a cependant une chose qui m’inquiète ; tous ces beaux principes, ces idées nobles et ce militantisme que je viens d’exprimer, vais-je les conserver jusqu’au bout ou vais-je moi aussi faire partie de la cohorte d’anciennes militantes féministes qui sont sagement retournées dans les rangs ? Ou encore celles qui se disent militantes et qui, avec le temps, se sont embourgeoisées et ne respectent même plus (si tant est qu’elles l’aient déjà fait) les principes de sororité ou de solidarité les plus élémentaires. Elles se transportent de Forums en colloques et entretiennent ce que j’appelle un féminisme alimentaire. C’est peut être pourquoi on a l’impression que le mouvement féministe au Sénégal subit un eternel recommencement. Le Yewwu yewwi (4) qui était très actif et prometteur a fini en feu de paille.
Bien que nous soyons jeunes — donc forcément subversifs et dotés d’une confiance inépuisable en nous —, nous ne prétendons pas « construire » le féminisme africain, ni balayer tout ce qui a été dit et fait jusqu’ici. Nous souhaitons cependant redéfinir certains domaines d’intervention. Nous sommes souvent interpellées sur des sujets tels que la parité (aussi bien dans le monde de l’emploi qu’en politique), le droit à l’avortement et au choix de l’orientation sexuelle, la lutte contre le VIH/SIDA, la pauvreté, le réchauffement climatique. Pour faire entendre notre voix et influencer les événements, nous avons surtout besoin qu’on nous fasse une place au sein des mouvements féministes, de cohésion, de solidarité et de l’engagement de tous. Le plus important serait peut être de mettre un terme aux clivages entre les mouvements et d’œuvrer, ensemble, sur la base d’un programme commun. Bien sur, nous ne demandons pas à tout le monde de penser de la même manière (ce qui est impossible), nous voulons juste un accord dans la direction à prendre afin d’éviter les dispersions. D’ores et déjà, il apparaît donc que la recherche féministe des prochaines années devra parvenir à proposer une théorie cohérente des rapports de sexes dans laquelle toutes les femmes – mères et non mères, femmes mariées et célibataires, hétérosexuelles et homosexuelles, travailleuses rémunérées et ménagères, pourront se reconnaître et se “comprendre”.
Alain TOURAINE. Pourrons-nous vivre ensemble ? Égaux et différents, Paris, Fayard, 1997, p. 226.
Catégoriser peut, en effet, vouloir dire réduire… taire les nuances, sélectionner, voire même enfermer ou créer une impression de statisme. Néanmoins, catégoriser veut aussi dire comprendre, poser systématiquement les éléments d’une compréhension commune et préciser une multitude de notions et de perspectives d’un phénomène donné.
Conseil du statut de la femme. Droits des femmes et diversité : avis du Conseil du statut de la femme, [recherche et rédaction : Marie Moisan], Québec, le Conseil, 1997.
Association féministe créée par des femmes intellectuelles Sénégalaises dans les années 80.
Source: African Feminist Forum
Nouara- Nombre de messages : 1104
Date d'inscription : 31/01/2009
Re: La vision des jeunes du féminisme
http://yfa.awid.org/fr/2011/01/la-vision-des-jeunes-du-feminisme-2/
Nouara- Nombre de messages : 1104
Date d'inscription : 31/01/2009
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