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L’écrivaine Salima Ait Mohamed se confie à KabyleUniversel.com

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Message  Taremant.Ighil.Alemmas Lun 14 Mai - 17:30

Salima est née en 1969 dans le village Ait Arbah (village des fortunés), en Haute Kabylie. Elle avait vécu depuis sa tendre enfance à Alger. En 1994, fuyant la série d’attentats terroristes, qui avait emporté, entre autres, son ami et collégue Tahar Djaout, elle est allée s’installer dans le sud de la France où elle vit aujourd’hui. Ses liens avec sa Kabylie natale, elle les a assués grâce aux relations d’amour et de parenté qu’ elle avait incessamment entretenus avec sa grand-mére, “yaya” Tawes. Aujourd’hui, elle se dit tenir à ses convictions mieux que jamais. Nul doute, l’époque délicate que nous traversons et qui exacerbe les opinions lui donne matière à réflexion. Elle se dit à l’écoute des préoccupations de son siècle. Sur son œuvre, sur les engagements qui lui sont chers, sur ses récentes inquiétudes, l’écrivaine, poétesse , conférencière et calligraphiste Salima Aït-Mohamed, auteure, entre autres, « d’Alger, Triste soir », « d’Alger et d’Amour », « Contes Magiques de Kabylie », s’explique longuement. KU : Vous sentez-vous toujours chez-vous en Méditerranée ? Croyez-vous à cette singularité dont parlait Fernand Braudel ? Salima Aït-Mohamed : Je crois savoir que Braudel avait déclaré aimer La Méditerranée passionnément. Il l’avait sans doute aimée intimement, par la contrée algérienne où il vécut et pour laquelle il revendiqua une meilleure considération de ses composantes culturelles et identitaires. Décriant, tout comme Camus, l’extrême misère qui accablait la Kabylie, durant cette époque coloniale. Je peux rejoindre Fernand Braudel, quand il conçoit La Méditerranée, comme un territoire d’échange, d’empreint culturel et quelques fois de grands conflits. J’aurai des réserves, cependant, pour concevoir cette région comme un lac à prédominance européenne. En revanche, les apports de Braudel et de ses contemporains nous seront toujours utiles dans la construction de notre vision culturelle et historique de cet espace si passionnant, si polémique qu’est la Méditerranée. J’aurais souhaité vous dire que la Méditerranée est un territoire paisible et joyeux. Hélas, actuellement, il y a dans beaucoup de régions méditerranéennes de l’instabilité politique, de fortes inquiétudes économiques et de sérieuses tensions religieuses. Le moins que l’on puisse dire est que l’actualité en Méditerranée nous montre un territoire en turbulences et en incertitudes. Peut-être même une Méditerranée à réinventer. Mais je préfère penser à cette Méditerranée comme berceau commun où ont émergé les plus belles civilisations que l’Humanité ait connues, ce territoire fabuleux par ces paysages, ses vestiges et ses cultures. Il est vrai que la fréquentation des artistes et poètes méditerranéens me ravit et me donne l’impression d’être parmi les miens. Et puis les Berbères ont été présents à l’élaboration de certaines prestigieuses civilisations méditerranéennes comme la civilisation pharaonique. Par ailleurs, un regard comparatif sur les us et coutumes dans les sociétés méditerranéennes nous montre à quel point l’organisation sociale ancestrale a été souvent semblable. A travers le chant, le conte, la poésie, la musique, la poterie, le tissage, le bijou, l’architecture le génie méditerranéen est presque le même partout. En se promenant sur des rivages grecs, on se croirait en Kabylie. La mer y est partout saisissante, émouvante. KU : Vous avez souvent dit que votre aïeule a été votre première muse. Elle vous a transmis ce don à charger les choses de plus de sensibilité. Comment s’est fait, vous concernant, le passage de l’oralité à l’écrit ? Salima Aït-Mohamed : J’ai passé certains moments de mon enfance, en Kabylie. J’y ai approché ma grand-mère, « yaya Tawes ». Je l’ai beaucoup observée. Elle me fascine toujours autant, par sa beauté, sa forte personnalité, sa gravité, son courage, sa droiture et son endurance. Femme de martyre de la révolution, elle s’est battue, comme une lionne pour élever ses enfants. Comme toute veuve de guerre, elle a dû affronter les aléas de la vie, courageusement et dignement. En son attitude quotidienne, en sa parole, elle nous a influencés. J’ai toujours adoré l’écouter. Certaines de ses paroles ne résonnent que maintenant. Et je ne cesserai jamais de l’admirer, de me nourrir de ce lien si fort qu’elle m’offre. Ce lien indéfectible d’avec ma culture et ses valeurs essentielles. A mes yeux, elle est l’authenticité et la force de ma culture. Donc, elle est précieusement incontournable, inoubliable. D’une manière générale, il me semble que l’on a besoin d’avoir des repères solides dans son histoire personnelle pour pouvoir se construire et se projeter dans l’avenir. Sans cela, nous demeurons des êtres très vulnérables ?ce que nous sommes par ailleurs. Ces repères-là deviennent encore plus déterminants, lorsque l’on devient soi-même parent. La question de la transmission et de ses contenus me travaille, et j’aime croire que, choisir de transmettre de jolies choses, dans la mesure du possible, fera de nos enfants des citoyens responsables. Mon aïeule m’a transmis son oralité, comme un trésor. A travers l’écrit que j’ai acquis, je tente de parler de cette oralité, donc de la transmettre, à mon tour, dans ses fragilités et ses espoirs, aussi fidèlement que possible. KU : Croyez-vous qu’il faille transcrire tout le capital culturel berbère ? Salima Aït-Mohamed : Avons-nous vraiment le choix, aujourd’hui ? Je crois, effectivement, à la nécessité de transcrire l’oralité berbère. Ça me semble même tenir de l’urgence. L’écrivain malien Amadou Hampaté Ba avait dit : « Chaque vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle ». Alors comment assister à l’extinction d’un patrimoine millénaire, sans crier à sa sauvegarde ? Il est certain que, j’aurais aimé bénéficier de la sérénité qu’il faut, pour entreprendre avec d’autres, le recueil des chants, des contes, des proverbes, des savoirs populaires amazighs dans leur grande diversité et variante. Sans parler du fait que, découvrir et honorer notre patrimoine éviterait à notre jeunesse la tentation d’importer ce qui ne nous ressemble pas du tout. Le patrimoine culturel berbère est très riche. A travers toutes ses composantes, il a besoin de sentinelles qui veillent à sa sauvegarde et à son immuabilité. Mouloud Mammeri a été, sans nul doute, une de ces vaillantes sentinelles. En dotant l’oralité kabyle d’une écriture, il a fait entrer la culture kabyle dans l’universalité et l’immortalité. Car, en définitive, seuls les écrits demeurent. KU : Vous avez connu Tahar Djoaut. C’est du reste lui qui vous avait recrutée dans l’emblématique « Algérie Actualité » où exerçaient, faut-il le rappeler, les meilleurs journalistes de l’Algérie indépendante. Un journal résolument moderne et porteur de grands idéaux. Quelle est la part de cette expérience en l’auteur que vous êtes ? Salima Aït-Mohamed : La rencontre d’avec Tahar Djaout fut un immense privilège pour moi. Même si je ne l’ai pas connu intimement, j’ai approché le journaliste, le poète, et le formidable humain qui rayonnait en lui. J’ai vu un homme subtil, pertinent, exigent, précis, consciencieux, calme et pudique. Je pense que des hommes comme lui auraient inspiré tellement de bien à cette Algérie assoiffée de liberté et de modernité. Je travaillais au quotidien Le Matin. Tahar était proche de mon compagnon de l’époque qui était journaliste aussi, partageant le même amour pour leur Kabylie maritime, lieu de leurs naissances. C’est comme ça que j’ai rencontré Tahar, la toute première fois. A l’époque, il était responsable de rédaction en culture et société à « Algérie Actualité ». Je lui avais dit mon admiration pour son talent et pour cet hebdomadaire. Il a suggéré que je pouvais rejoindre ce journal. Ce fut un moment merveilleux. Mais, quelques mois plus tard, il quitta « Algérie Actualité » pour fonder son excellent hebdomadaire: « Ruptures ». Et ensuite, connaître le sort tragique et injuste qui lui a été réservé. J’ai donc peu de souvenirs de cet homme précieux, mais de très forts souvenirs. Je peux vous en citer deux, entres autres : J’ai partagé avec lui et un autre journaliste un moment formidable de théâtre : Un soir, nous étions allés voir « sin-nni » (ces deux-là), l’adaptation que fit le grand Mohya de l’œuvre « Les émigrés » du dramaturge polonais Mrozek. Nous avions adoré. J’étais également présente, lorsqu’un jour, il reçut un courrier d’un homme politique très important, qui lui exprimait son souhait de le voir à l’Assemblée Algérienne. Il avait esquissé alors, un sourire qui me fit comprendre qu’il tenait la politique à l’écart de sa vie.Que vous dire ? La disparition de Tahar est une blessure indigne et inconsolable de notre époque. Il nous reste à découvrir sa précieuse écriture et à nous approprier sa vision des choses.Pour revenir à « Algérie Actualité », cet hebdomadaire a, en effet, donné au pays de belles plumes. Pour moi, ce fut une importante école de journalisme. Je crois aussi, que des journalistes de cet organe ont tenté d’envisager, dans leurs écrits, un bel avenir pour l’Algérie. Sans doute, l’Algérie n’était-elle pas prête à l’envisager elle-même. Il y a, je crois, des discours qui demandent à mûrir. Quand les peuples sont prêts, ils finissent par les adopter..Pour tout vous dire, malgré l’extrême violence qui a marqué cette période, je garde un souvenir de liberté et de passion pour ce beau métier de l’information, quand il est accompli avec foi et exigence. Je pense que mon écriture, mon regard sur les choses portent les stigmates de cette période dans ce qu’elle avait de meilleure comme de pire. J’espère que l’Histoire retiendra au moins nos rêves de démocratie, de liberté. Ces rêves que nous avons tant nourris pour le pays que nous avons emporté dans nos exils. KU : Vous avez également exercé à la Chaîne II et à la Chaîne III. Quelles émissions aviez-vous animées ? Trouviez-vous une différence entre la presse écrite et la presse radiophonique ? Salima Aït-Mohamed : J’exerçais déjà dans la presse écrite, quand j’ai rejoint la radio et pour des émissions culturelles. D’ailleurs, j’ai plus travaillé à la chaîne II qu’à la chaîne III, où j’ai juste animé des chroniques littéraires sur nos plus grands écrivains. A la chaîne II, j’ai, durant quelques années, produit et animé un magazine culturel hebdomadaire : « awal af yedles » (un mot de culture), où je recevais auteurs et artistes. C’est ce magazine qui a eu l’immense honneur de recueillir la dernière interview de Tahar Djaout, en kabyle. Il y avait dans cette émission un journal culturel qui couvrait l’actualité culturelle algérienne, en Algérie et celle présente à l’étranger. J’animais aussi des émissions féminines. Ce fut une période très riche humainement et culturellement. Et Grâce à ce travail entamé exclusivement en langue kabyle, j’ai pu me rapprocher un peu plus de ma culture maternelle et rencontrer ses préoccupations.Il y a, en effet, des différences entre la presse écrite et la presse radiophonique. Les différences qu’il peut y avoir entre des choses immédiates, et d’autres qui prennent plus ou moins de recul. Et puis, l’effet de la voix est très important. Certaines choses passent mieux à travers la voix. L’auditeur peut être plus attentif que le lecteur, donc plus propice à la réflexion. Pour ma part, j’aime les deux univers et je les ai exercés simultanément, en favorisant leur enrichissement mutuel, du moins je le crois. KU : Ce n’est, tout de même, pas commun qu’une algérienne issue d’un background algérois et arabisant travaille en kabyle et en français ! Salima Aït-Mohamed : Quel cliché ! Non, je ne crois pas que l’apprentissage des langues soit figé et manichéen auprès des êtres libres, aussi obligatoire soit-il. La philosophie que je voulais étudier avait été très tôt arabisée. Je complétais mon enseignement universitaire qui avait de sérieuses lacunes, avec la lecture de philosophes occidentaux et en français. Par ailleurs, chez-moi, il y avait toujours des livres en français et je me souviens aussi que la lecture était un des rares loisirs que nous possédions. Ceci étant dit, Alger est une ville peuplée de Kabyles, une cité berbère, le DZIRI qui désigne l’Algérois viendrait du mot berbère « TIZIRI » : Clair de lune, toute une poésie ! Que la langue arabe l’ait gagnée politiquement, nul ne peut le nier. Mais l’enracinement d’Alger dans l’histoire berbère n’est plus à démontrer. Je fais donc partie de ces « trilingues » qui jonglent avec leurs langues, et qui n’ont pas envie de sombrer dans le déni de l’une d’entre elle. Même si, aujourd’hui, je parle plus le français et le kabyle et très rarement l’arabe. A ce propos, je me souviens d’avoir interviewé le poète marocain Abellatif Laabi qui avait parfait son apprentissage du français et de l’espagnol, lors de son emprisonnement, durant le règne de Hassan II. Je lui avais demandé dans quelle langue il pensait, en écrivant sa poésie. Il répondit : « Je pense avec toutes les langues que je connais ! » Aussi, je partage ce point de vue, la connaissance linguistique n’est pas compartimentée, dissociée et fragmentée. Il me semble que lorsque nous pensons ou nous parlons, nous le faisons avec la somme de tout ce que nous avons acquis. Mais dans l’intimité, la plus proche intimité, nous sommes dans ce qui nous a été donné durant les premiers jours de notre vie. Pour revenir à ma langue maternelle le kabyle, elle vit en moi comme une lumière qui m’accompagne et qui signe de sa grâce tout ce qu’il m’est donné de produire. La langue kabyle vit sereinement et allègrement en moi. Et le fait que je publie en Français, ne fera jamais obstacle à mon identité amazighe, car elle est première et fondatrice de toutes les autres.Enfin, je ne crois pas qu’il existe un procédé précis et établi pour vivre sa langue ou son authenticité. Chaque individu agit selon sa conscience et ce qui lui est permit de faire et d’espérer. L’identité berbère a, certes, souffert de censure, de sectarisme et de persécution, mais je crois que nous avons tout à gagner, en évitant de reproduire ce dont nous avons été victimes. J’observe, peut-être naïvement, depuis toujours, mon amazighité comme une richesse, un honneur, sans obsession, sans agressivité, avec don et partage, parmi les autres, en présence d’autres cultures et en respectant leurs différences.Au fait, je tiens à tout ce qui fait ma personnalité et mon parcours ; ma vie algéroise, ma francophonie, et ma naissance hautement symbolique en Kabylie. KU: On a envie de dire qu’il est plus facile pour un kabyle de Kabylie d’être militant pour son identité ? Salima Aït-Mohamed : Ça aussi, peut se discuter. Le Kabyle de Kabylie me semble plus proche des réalités quotidiennes de la Kabylie, certes, puisqu’il y est confronté. Mais a-t-il toujours conscience de son identité et peut-il ou a-t-il les moyens de militer pour la sauvegarde de son identité ? Ce qui est indéniable, c’est que l’identité amazighe où qu’elle soit est fragile, aujourd’hui. Il importe donc d’aller au secours de cette identité dans tous ses aspects culturel, social, économique pour lui permettre une existence sereine, afin d’envisager sa transmission et sa continuité. Et cet espoir-là ne peut se réaliser que lorsque les pouvoirs politiques, les Etats le décideront. Il y a des acquis dans ce sens, mais il reste beaucoup à faire. Pour nous autres auteurs, artistes et citoyens, nous pouvons prendre part à cette sauvegarde, dans nos espaces privés, chacun dans son domaine et selon ses possibilités. Je crois que militer pour son identité ou pour toute autre cause juste dépend plus de l’éveil des consciences que des frontières géographiques. Personnellement, je ne dissocie pas ce combat-là du combat pour la liberté d’expression, de celui du respect des droits de l’homme, de la justice, de l’émancipation des femmes, de la protection de l’enfance, du respect de l’environnement, notamment. KU : L’anthropologie est sans doute l’une des sciences les plus outillées pour comprendre les sociétés. Pensez-vous que votre formation en ethnologie, qui en est une branche, ait davantage aiguisé votre regard ? Comment ? Salima Aït-Mohamed : Excellente question ! Si l’anthropologie s’occupe globalement de l’étude de l’homme, parmi d’autres espèces, l’ethnologie est sans doute sa discipline la plus comparative, la plus efficace pour comprendre les fondements des groupes et leurs évolutions sociales et culturelles. C’est précisément ces deux domaines qui interpellent la littéraire que je suis. L’écrivain poursuit le rêve de comprendre les siens, de participer à leur destin, d’en témoigner. L’ethnologie met la lumière sur l’expression culturelle, linguistique et symbolique des groupes ethniques. Par ailleurs, elle relativise les dictats de la finance et de politique, elle offre ainsi des perspectives de compréhension plus proches de l’humain qui demeure, malgré tout ce que l’on a appris sur l’homme, imprévisible, inattendu, surprenant. Je n’ai qu’une modeste licence d’ethnologie. Mais elle m’a quand même servi dans mon approche du conte kabyle. Je peux affirmer aussi que l’ethnologie a rendu certaines de mes croyances conscientes et donc me permet de comprendre certains de mes gestes. Ceci dit, quels que soient les savoirs par lesquels nous transitons dans nos tentatives de la compréhension du monde, il y a une vigilance à observer : éviter de tomber dans une unique explication, éviter d’adopter un seul point de vue. Je crois à l’efficacité de la connaissance dans sa diversité, quand elle choisit l’amour de l’homme et son évolution comme préoccupation première. Et en tant que poète, j’aime croire à cette part de mystère que nulle science ne peut saisir complètement. Ce mystère qui tient du génie de la nature humaine. Seuls la poésie et l’art nous en livre des fragments, quelques prodigieuses fois. KU : Souhaitez-vous être publiée chez-vous ? Quel regard portez-vous sur l’édition en Algérie ? Salima Aït-Mohamed : « Nul n’est prophète chez soi », dit l’adage ! Je pense que les écrivains de l’exil sont rarement célébrés chez-eux, sinon pourquoi en seraient-ils partis ! A l’origine de l’exil, il y a un désamour ou du moins un malentendu. Ce qui ajoute au sentiment du déchirement une douleur supplémentaire. Chacun gère cette blessure comme il peut et ce n’est absolument pas aisé d’en sortir indemne. Cependant, on peut se rebeller contre cette fatalité, qui n’en est pas une en réalité. En décidant de l’explorer, de l’interroger, de l’analyser, on peut croiser de fabuleuses choses sur soi. La littérature et l’art de l’exil offrent à l’Algérie, depuis des décennies, de belles et authentiques œuvres sur elle-même. Qu’elle les ait reconnues ou pas ! Oui, j’aurais souhaité que mes ouvrages soient réédités et lus dans mon pays d’origine, d’autant que je possède le copyright pour certains d’entre eux. Partie, voilà 17ans, je ne me permettrai pas de juger de l’édition en Algérie. Mais je crois que l’édition, d’une manière générale est confrontée aux nouveaux défis imposés par les nouveaux médias et les nouvelles technologies, ainsi qu’aux nouvelles habitudes que nous créent sans cesse notre évolution. Elle doit donc s’adapter comme le reste aux nouvelles exigences de notre époque. KU : Les révolutions « arabes » ont soufflé le changement sur plusieurs régions. Au Maroc, on a vite fait d’officialiser Tamazight. En Tunisie, cette question préoccupe les esprits. Pensez-vous que ce vent de révolte soit salvateur pour les libertés et la reconnaissance des identités authentiques des pays ? Salima Aït-mohamed : N’étant pas passionnée de politique, j’avoue que je suis plus à l’aise face aux entretiens littéraires. Je vais tenter néanmoins de vous répondre. Dans cette question, je vois se poser l’épineux problème des identités et celui de la pratique politique plus ou moins démocratique. Concernant les identités, nous savons qu’elles sont un enjeu redoutable dans l’exercice du pouvoir. Chaque pouvoir politique a une manière de considérer l’identité. Selon qu’il soit légitime, éclairé ou pas. Si nous vivions dans des républiques platoniciennes, où le sage, incorruptible et mesuré, celui qui saisit l’essence de toute chose, celui qui maîtrise la connaissance de la politique entre autres et gouverne en toute intelligence, il n’y aurait pas de souci, à priori, puisque le sage-gouvernant saurait que baser la politique sur une connaissance juste de l’identité, de l’Histoire et de la culture est garant de stabilité et de justice pour les administrés. Or, à ma connaissance, aucune république platonicienne n’a été instaurée nulle part !L’Histoire retient que, souvent, dans les régimes totalitaires l’identité est une revendication déterminante. En effet, ce qui est illégitime s’installe grâce à la manipulation, à la propagande, au mensonge, à l’abus et parfois, à la terreur. Dans ces cas-là, la revendication identitaire accompagne dignement le combat pour la liberté, pour la démocratie, pour la justice et tout autre combat aidant les populations à mieux vivre. Sur un plan individuel et intime, nous vivons nos identités, consciemment ou inconsciemment, selon ce que nous recevons comme éducation, instruction, apprentissage et culture. Nous y travaillons tous, non sans difficultés, car, et dans tous les cas, il n’est pas simple de gérer l’interrogation : Qui suis-je ? Quant aux « printemps arabes », je crois qu’ils sont nés, après une très longue exaspération des populations abusées, brimées, démunies et opprimées. Ces peuples ont pris leur destin en main, tout récemment, ils feront des choix qui seront confrontés aux réalités du monde et de la somme de leurs expériences et ils finiront par aboutir, je l’espère, à des systèmes politiques et économiques adéquats. Ces « printemps » ont réalisé d’abord l’urgence du changement et de la rupture. Ils seront bientôt confrontés à l’épineux problème du choix. Ces peuples ont-ils déjà réfléchi aux Etats qu’ils aimeraient installer ? Vers quels types de sociétés avancent-ils ? L’Histoire nous le dira ! Cependant, chaque peuple forge son Etat selon son propre rythme.Personnellement, je ne crois pas aux vertus de l’exportation des modèles politiques sous prétexte qu’ils sont plus modernes ou plus avancés. Il est bien entendu douloureux et long d’instaurer un système juste, mais pas impossible. Il faut espérer que ces nouveaux régimes s’approprient les revendications de peuples qui les ont hissés au pouvoir, dont les revendications identitaires et qu’ils n’oublient pas leurs premiers rêves de liberté et de justice. Dans mon idéal démocratique, les peuples sont acteurs de leurs destins et aspirent au mieux de la condition humaine. KU : Justement, à propos de votre combat pour l’égalité, pour l’émancipation des femmes, pour la laïcité. Comment des combats comme ceux-là peuvent-t-ils être envisagés dans les régimes islamistes en Egypte et en Tunisie ? Salima Aït-Mohamed : Il est clair que les Tunisiens et les Egyptiens entament une nouvelle ère dans leur histoire politique, ce qui aura sans doute des implications sur tous les domaines de leur existence. Il appartient à ces deux peuples de trouver leurs voies et de composer leur Histoire actuelle à la lumière de leurs propres expériences et de leurs convictions. Je ne fais pas partie de ceux qui projettent leurs idéaux sur les autres. Comme tout poète, j’aimerai appartenir à un monde juste, libre et paisible. Mais, je ne me fais pas d’illusion quant aux possibilités de son accomplissement. Et même avec la meilleure générosité du monde, on ne peut vouloir le bien à un peuple, s’il ne se le veut lui-même. Mes convictions sont le fruit d’un cheminement, d’une souffrance, d’un travail sur soi, d’une sensibilité. Je souhaite, naturellement les partager avec le plus grand nombre, mais j’admets de vivre et d’évoluer parmi des gens différents, aux opinions différentes, à condition que les uns et les autres partagent au moins la valeur du respect de la liberté d’expression, ce qui est une belle avancée en soi. KU : Que pensez-vous du statut de la femme kabyle ? Salima Aït-Mohamed : Même s’il est ethnologiquement particulier, le statut de la femme kabyle relève de celui du code qui régit la famille en Algérie. Il y a près de 20 ans, j’avais déjà écrit dans la presse que ce code de la famille est en deçà de l’idéal d’égalité entre citoyens. Il me semble qu’une société équilibrée et crédible est celle qui offre les mêmes chances, les mêmes droits et qui attend les mêmes exigences des uns et des autres. Autrefois, durant mon enfance, quand j’allais souvent en Kabylie, j’observais les femmes travailler, quelques fois péniblement, sous le poids d’une tradition rigoureuse et des aléas d’une vie plus que modeste. Ces femmes bien qu’agissant conformément aux us et coutumes, dont certaines sont inspirées par la religion, ne me donnaient pas l’impression d’être brimées. J’ai parlé précédemment de ma grand –mère, je l’ai toujours vue, forte, capable d’interpeller des hommes, donner son avis, et se faire respecter dans ses choix. Je me suis souvent demandé ce qu’un caractère comme le sien pouvait inspirer, si ma grand-mère avait été scolarisée, si elle avait acquis de l’instruction ! De même, mes cousines et des filles du village que je connaissais, ont fait des études qu’elles voulaient et épousé les hommes qu’elles voulaient. Ce que j’affirme est probablement un regard subjectif, mais je n’ai pas souvenance d’avoir assisté dans mon village à des comportements sexistes. Je crois que ce qui accable les femmes kabyles, c’est la misère, le manque de moyens, l’absence de perspectives. La femme kabyle est berbère et je ne crois pas que les berbères, qui ont permis à des femmes comme La Kahéna, Tin Hinane, Fadhma Nsoumer d’émerger et d’exercer la politique, de commander des armées, puissent être d’horribles et d’irrémédiables machistes. Ceci dit, je crois que la femme kabyle et plus globalement la population kabyle affronte une dure réalité depuis assez longtemps et qu’elle sera appelée, de plus en plus à s’interroger sur sa condition. KU : Qu’est-ce que la Kabylie pour vous ? Salima Aït-mohamed : J’aime beaucoup votre question. Elle ne m’a jamais été posée, et pourtant je l’ai toujours attendue ! La Kabylie est d’abord le lieu de ma naissance, avec tout ce qu’une naissance véhicule de tendre, de significatif, d’emblématique, de profond et d’authentique. Bien que j’aie ouvert les yeux sur une Kabylie où les conditions de vie étaient déjà extrêmement pénibles, elle demeure liée, dans ma mémoire, à un univers enchanteur, et pénétrant de beauté et de résistance. J’y ai vu des êtres de parole, de caractère, d’entêtement, de souffrance, de révolution, de courage, de valeur et de principe. Quand je songe à la Kabylie, me vient à l’esprit un univers beau et inquiet. Et ce paradoxe est presque toujours présent dans mon écriture et dans mes calligraphies. Parfois, je me dis que les mots, même ceux du poète, sont vains, car presque incapables de rendre l’amour que je nourris pour cette terre qui veille au fond de mon cœur comme une lumière d’absolue espérance. Naturellement, je souhaite que la Kabylie s’en sorte. Je voudrais que les Kabyles s’obstinent à préserver leurs symboles essentiels. Ceux-là mêmes que nous tentons, nous autres poètes et artistes, de décrire et de célébrer, sans cesse. KU : Nous avons appris que vous avez, récemment, eu des ennuis de piratage, d’écoute et de censure. Comment avez-vous traversé cette épreuve ? Où en êtes-vous dans le règlement de cette situation difficile ? Salima Aït-Mohamed : Je n’ai pas fini de traverser cette rude épreuve à laquelle je fais face depuis des mois. J’ai d’abord eu un piratage de mes espaces Internet, une censure de mes pages face book, avec un harcèlement téléphonique suivi de menaces graves. Tout ça a été d’une violence inouïe et inattendue. Cette affaire que j’ai rendue publique, car devenue insoutenable et inadmissible, n’est pas résolue, à ce jour. J’attends des autorités françaises auxquelles j’ai fait appel, l’explication qui me permettra de me reconstruire et de dépasser cette période traumatisante. Je peux dire néanmoins, que le sombre individu qui a choisi de m’inquiéter devrait avoir honte de persécuter une femme écrivaine et artiste kabyle, dont le discours a toujours été mesuré et respectueux de tous. Il semblerait que cet abominable individu ait servi des détracteurs locaux ravagés par la haine du racisme. Quant à moi, je n’oublie pas que je vis dans un pays de droit, et je ne tolèrerai aucune forme de censure, d’abus ou de harcèlement.Pour l’instant, je renvois chacun à sa conscience. Et j’ai l’espoir d’obtenir un jour des réponses à mes interrogations.Ce que je retiens de cette affaire, c’est que mon travail artistique et littéraire, que je croyais discret et inintéressant pour les politiques semble être observé. J’étais à mille lieux d’imaginer que je pouvais déranger, étant donnés la modération de mes propos et mon éloignement de la politique. Pour relativiser cette dramatique histoire, disons que je fais partie de la très longue liste de poètes et d’artistes inquiétés, persécutés, pour la raison qu’ils expriment, avec authenticité et sans concession, des opinions et des convictions. KU: Ne vous paraît-il pas impensable que ces ennuis vous frappent en France, pays des droits de l’homme ? Salima Aït-Mohamed : Pour moi, il n’y a pas d’amalgame à faire : Ces individus haineux et extrémistes qui m’ont inquiétée ne représentent qu’eux-mêmes. Ils ne représentent certainement pas la France des droits de l’Homme que je connais et qui honore les écrivains et les artistes. Je vis en France depuis 17ans, sans le moindre souci de sécurité. J’ai travaillé paisiblement dans le respect et l’estime de mes paires. Beaucoup de Français se sont sentis offusqués par ce qui m’est arrivé et solidaires de ma situation. Pour moi, il n’y a pas de confusion possible. Par contre, on peut en effet souhaiter des autorités françaises qu’elles soient plus à l’écoute des soucis et des préoccupations des auteurs et intellectuels étrangers qu’elle autorise à demeurer sur leur territoire. Il est inconcevable qu’ils subissent la moindre inquiétude à cause de leurs activités ou de leurs opinions. KU : Vos écrits, vos travaux vous rendent visible. Avez-vous vécu des tentatives de récupération ? Salima Aït-Mohamed : Même sans être visible, on peut subir des tentatives de manipulation ou de récupération. Nous vivons une époque où nos rêves se heurtent régulièrement aux abus à l’outrance et à l’extrémisme. Que l’on soit visible, peut attirer davantage des manipulateurs et autres véreux personnages dont le but est de duper, perturber, déstabiliser.J’ai, en effet, été « démarchée » par des groupes d’opinion, sans que cela ait abouti à quelque résultat. Car, je crois que le poète a son propre univers, ciselé de solitude et d’émoi. Il paraît suffisant de le déclarer, mais cette solitude est une authentique indépendance. Et elle n’est pas négociable. Ce qui n’empêche pas des élans de solidarité avec un groupe ou un autre, quand l’enjeu du débat l’exige. J’ai, hélas, remarqué que cette indépendance-là est peu appréciée, comme si l’intellectuel devait forcément s’engager politiquement. Comme s’il devait forcément rejoindre un camp. Je me suis rendu compte que plaider pour la retenue devant des choix politiques pouvait être perçu comme une indifférence. Ce qui me semble insensé, contradictoire avec la définition même de l’intellectuel. Je pense qu’il faut respecter la réserve de l’intellectuel, quant à aborder les questions politiques. A chacun son rôle. Et je ne vois, pour ma part, aucun rapprochement entre le travail de l’intellectuel et l’exercice du pouvoir politique. Au mieux, quand les politiques sont éclairées, les intellectuels peuvent les conseiller ou leur inspirer des lois. KU : Comment peut-on passer du journalisme à l’écriture littéraire, et de l’écrit ethnologique à la calligraphie berbère ? Salima Aït-Mohamed : Pour moi, tous ces univers sont essentiellement liés et dépendants les uns des autres. Ils représentent en tout cas le cheminement naturel, nécessaire et conséquent de mes choix, de mes aspirations et de mes convictions. Ils résument ma curiosité et mon inspiration. J’évolue avec un très fort désir de connaître, de comprendre, mon époque et mes contemporains, et j’adhère à tout ce qui me semble capable d’une approche précise et fiable. Et la culture est à mes yeux l’approche idéale. Je considère que tout outil culturel peut servir le génie et le talent et aide son auteur à accéder à ses objectifs de création, d’existence, et d’échange. Ainsi, me concernant, ce qui n’arrive pas à passer à travers la poésie passe par la calligraphie et inversement. Ce qui peut être exquis, c’est que, quelques fois, tous ces univers s’entremêlent et offrent conjugués, de belles œuvres accomplies. Le but étant de comprendre l’homme, lui espérer un monde agréable et épanoui. Le poète, l’artiste participe à cette lumineuse espérance. KU : Comment a eu lieu votre première publication ? Avez-vous un conseil à donner pour ceux qui ambitionnent d’accéder au statut d’écrivain et qui peinent à trouver un éditeur ? Salima Aït-Mohamed : Je commencerai par dire, que le hasard, dans ce genre de situation y est pour beaucoup. J’étais en vacances dans le sud de la France en 1992, je m’étais rendue à une fête du livre à Marseille. C’est là que j’y ai rencontré mon premier éditeur. A l’époque l’Algérie qui traversait une période très violente intéressait beaucoup l’édition française. Cet éditeur m’avait demandé des écrits sur l’Algérie. De retour à Alger, je lui avais envoyé mon recueil de poèmes, « Alger, Triste soir » qui fut publié quelques mois plus tard. Je suggère à ceux qui écrivent et qui sont persuadés d’avoir du talent, d’envoyer leurs écrits aux éditeurs, tout simplement. Toutefois, je crois d’une part, que tout ce qui s’écrit n’est pas forcément à partager, et d’autre part, le monde de l’édition est aléatoire. Certaines grandes œuvres ont accusé plusieurs rejets avant d’être révélées ! KU: Que diriez-vous de votre statut d’écrivaine ? Vous assure-t-il un revenu ? Salima Aït-Mohamed : Ecrire est rarement récompensé financièrement, sauf pour quelques élus, dont je ne fais pas partie. Mais, le but de l’écriture est-ce de gagner sa vie ? Personnellement, j’écris pour témoigner de mon parcours, pour partager quelques notions culturelles des miens. En récompense, j’espère arriver à transmettre mes contributions et les partager avec les personnes susceptibles d’apprécier, de réagir et d’échanger autour de ce que j’écris. Les écrivains nous alertent, ainsi sur les thématiques graves, ils nous font voyager, ils nous cultivent. Ils éduquent nos goûts et améliorent notre compréhension du monde. Il y a peu de choses à dire sur ce statut d’écrivain. Car, il relève du symbolisme. Et ce statut dépend de l’importance qu’accordent les pays pour leurs écrivains. Parmi les nations modernes et éclairées, l’écrivain est respecté et son utilité est célébrée, car avérée. Je vis ce statut, d’une façon modeste mais lucide et consciente de ce qu’il peut représenter. KU : Que pensez-vous de KabyleUniversel.COM ? Salima Aït-mohamed : Je pense que vous avez réalisé là une belle opportunité pour la culture kabyle et ses réalités. Votre site permet l’information, l’échange autour de la Kabylie et d’une façon que j’aime bien, c’est à dire universelle. Je partage totalement ce point de vue. Comme précédemment expliqué, j’aime vivre ma culture kabyle, au milieu d’autres cultures. Je vous encourage ainsi que tout média qui contribue à sensibiliser autour de la culture kabyle. KU : Quel est votre rêve suprême ? Salima Aït-Mohamed : Il est un rêve fabuleux mais sans doute irréalisable : Vivre définitivement dans un monde juste et paisible. Y a-t-il plus heureux, plus beau que la justice et la paix ? Je me le demande. La justice et la paix me semblent indispensables et primordiales à tout dessein de bonheur.

Taremant.Ighil.Alemmas

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L’écrivaine Salima Ait Mohamed se confie à KabyleUniversel.com Empty Re: L’écrivaine Salima Ait Mohamed se confie à KabyleUniversel.com

Message  Taremant.Ighil.Alemmas Lun 14 Mai - 17:31

http://www.kabyleuniversel.com/2012/04/06/lecrivaine-salima-ait-mohamed-se-confie-a-kabyleuniversel-com-remise-en-ligne/

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